Belgian Trafik

La sixième édition du Balkan Trafik présente aussi des projets belgo-balkaniques, par exemple le Brussels Underground de Nicolas Hauzeur embarquant musiciens bulgares et roumains et le projet Rembetiko de Michel Hatzigeorgiou.

BALKAN TRAFIK A LIEU DU 12 AU 15/04 AU BOZAR À BRUXELLES, WWW.1001VALISES.COM

BRUSSELS UNDERGROUND LE 15/04 À 17H, MICHEL HATZI AND REMBETIKO PROJECT LE 13/04 À 21H ET 23H45, LE 14 À 21H, 23H45 ET 01H30

La voiture ralentit, et deux gueules raisonnablement patibulaires regardent la scène sur un coin de trottoir: Nicolas Hauzeur fait glisser son violon à la slave en compagnie d’un accordéoniste grec et d’un guitariste simplement belge. Même dans ce coin de Molenbeek, où en 100 mètres on peut croiser une burqa, deux plombiers polonais, trois shamans éthiopiens et quatre jeunes maroxelloises, cette tranche de Balkan fait encore arrêter le Trafik. En face du beau centre culturel de la rue Mommaerts, Nicolas attend les deux musiciens qui, romani time oblige, ont une heure de retard. Les répétitions du projet Brussels Underground s’y tiennent depuis quelques semaines avec une vingtaine d’interprètes, roms pour la plupart, rencontrés dans les rues de Bruxelles ou via ces orchestres de mariages qui parcourent l’Europe chargés de flonflons mirifiques. C’est le quatrième projet concocté pour Balkan Trafik par Nicolas Hauzeur. Gamin, il fantasme sur l’Est, ses gymnastes à la Comaneci et les reliques d’une grand-mère venue de Russie. « Je n’y vais pas en novembre 89 pour chercher un morceau du Mur mais l’été suivant, je fais un premier voyage à l’Est, en Hongrie. » Plus tard, alors que la guerre finit de charcuter la Yougoslavie, Nicolas part dans un camp de réfugiés bosniaques en Slovénie, des violons dans ses bagages. Il apprend le serbo-croate (avant le roumain et le bulgare) et finit par étudier six mois à Plovdiv la musique traditionnelle bulgare. L’ailleurs éternellement fantasmé? « J’ai été frappé par l’importance de la musique, par son omniprésence dans les vies de là-bas, par l’humanité des gens aussi, par la notion du temps qui n’est pas la même. J’ai eu le désir de présenter une musique que l’on ne connaissait pas du tout à l’Ouest, découvrant la latinité des Roumains et les gammes ottomanes des Bulgares. » Il fera donc venir en Belgique des inconnus puis des vedettes, comme le clarinettiste Ivo Papasov -« le Miles Davis bulgare »-, également de cette édition 2012. Diplômé en Sciences éco de l’UCL, Nicolas vagabonde dans les familles roms de Bruxelles, apprend leur musique, découvre la fragilité des migrations . Entretemps, les films de Kusturica baignés des musiques syncrétiques de Goran Bregovic ont dévoilé la beauté tellurique des rythmes du sud-est européen où se mélangent confluences klezmer, tziganes, slaves et roumaines. « Pour ce concert au Bozar, je reçois des demandes multiples, y compris de musiciens klezmer d’Amsterdam. D’une certaine façon, ces musiciens qui voyagent de pays en pays sont les nouveaux nomades. Ce concert, c’est aussi le signe d’une autre urbanité. »

Pope is beautiful

Dans une rue bruyante d’Ixelles, Michel Hatzigeorgiou pince les six cordes de son bouzouki, pointe de cristal qui émerge des carbones bruyants de la ville. L’instrument phare du rebetiko, blues venu des portes de l’Orient, remonte d’emblée aux yeux d’Hatzi: « On ne peut pas contourner le rebetiko, comme il est impossible d’ignorer le blues, le fado ou le flamenco, c’est quelque chose qui, littéralement, coule dans ton sang. C’est la musique que j’entendais gamin chez mes parents à Charleroi: mon père est venu de l’île de Rhodes dans les années 50 parce que la Belgique avait échangé avec la Grèce des travailleurs contre du charbon. Je me suis nourri de ça jusqu’à ma rencontre avec Hendrix. Là, j’ai absolument voulu une guitare électrique, la mandoline c’était terminé (sourire). » Il y a environ huit ans, le bassiste d’AKA Moon est en vacances dans la petite maison laissée en héritage parental, à Rhodes. « Je rentre au Café chantant (sic) et je tombe sur ce type à l’allure de pope imposant qui joue d’un bouzouki hallucinant. Je ne savais pas qu’il s’agissait de Yorgos Poulos, l’un des plus grands instrumentistes de Grèce, donc du monde (rires). » D’autres rencontres ramènent Hatzi à ce doublé brûlant-mélancolique, d’un genre musical venu des Grecs chassés d’Asie mineure et adoubé par les immigrés de l’intérieur, à Athènes ou Thessalonique. Près d’un siècle plus tard, le chaos économique de la Grèce actuelle fomente un écho inédit à une musique parfois interdite par le pouvoir pour sa « barbarie » supposée ou sa simple association aux fumeurs de narguilé. « Pour moi, c’est la nostalgie à fond, dit Mixali Xatziyeoryiou (en VO), cela ramène les souvenirs des fêtes en famille ou à la Maison des Hellènes à Charleroi. Mais le rebetiko pourrait être la B.O. de la Grèce d’aujourd’hui, d’Athènes mise à genoux par les banques. » Le dernier club où l’on entendait cette musique est mort à Bruxelles il y a quatre ou cinq ans: « Je me souviens d’avoir fréquenté, dans les années 80, des bars d’Anvers où on en jouait toute la nuit. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’en Grèce comme dans les communautés d’ici, un jeune public vient réécouter du rebetiko. » Alors, le môme expulsé des cours carolos de grec pour chahut s’est remis à l’étude de sa langue d’origine et, aidé d’une amie, a composé les mots de Tou kato kosmou y aggeli, Les anges de ce bas monde. Ce sera l’une des chansons interprétées à Balkan Trafik par Hatzi dans un répertoire essentiellement « venu de là-bas »: en compagnie de la chanteuse Anatoli Margiola, du guitariste Nikos Giras et de Manolis Pappos, « l’un des compositeurs et joueurs de bouzouki les plus importants de ces 50 dernières années ». Auteur de 800 chansons: toutes ne seront pas jouées au Bozar.

Philippe Cornet

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