Justice: « l’ironie ne fonctionne pas du tout sur nous »

© Olivier Donnet

Aussi rock soit-il, le festival de Werchter prend toujours soin d’intégrer quelques gros calibres électro pour remuer les kids. Exemple avec Justice, tête d’affiche de ce jeudi.

Pendant un court moment, certains ont pu éventuellement se poser la question: les musiques électroniques ont-elles leur place dans un festival comme Rock Werchter? Cela fait pourtant bien longtemps que la question est réglée. Dès 96, des groupes comme Prodigy et Underworld forçaient les grilles de la plaine principale. L’année précédente déjà, Orbital avait été invité à se produire à Werchter -à ce moment-là, encore reclus sur une scène dressée dans le camping. Sur la main stage, The Cure était alors une des têtes d’affiche (avec REM). Dix-sept ans plus tard, Robert Smith et sa bande sont toujours là, programmés le premier jour de la cuvée 2012 de Rock Werchter. Mais c’est bien un duo électro qui ponctuera la soirée: Justice.

Depuis leur premier remix (l’hymne Never Be Alone en 2004), Justice pratique la politique du compromis: entre beat électronique et attitude rock, perfecto de métalleux et bidouillages house. Le binôme français était encore à l’Ancienne Belgique en mars dernier, déroulant devant un public chauffé à blanc. Quelques jours auparavant, ils recevaient la Victoire de la musique du meilleur album de musique électronique pour Audio, Video, Disco. Un deuxième album qui fracasse moins, mais qui ose certains emprunts à des genres aussi honnis que le prog-rock. Second degré? Gaspard Augé et Xavier de Rosnay continuent de nier, revendiquant une certaine naïveté. Explications.

Avec le succès du premier album, avez-vous vécu par moments le syndrome d’imposture, l’impression de ne pas être à votre place?

Gaspard Augé: Bien sûr. Après, qui l’est? On ne s’est pas inventé des vies de mecs qui rêvaient d’être musiciens depuis l’âge de 12 ans. Ou raconté avoir bidouillé des démos pendant 10 ans dans notre chambre avant de sortir des disques.

Qu’est-ce qui a changé entre vous depuis?

Xavier de Rosnay: Rien. On fonctionne exactement de la même manière. C’est juste plus fluide, cela va plus vite. C’est normal: à force de traîner ensemble 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, on se connaît encore mieux. C’est très spécial et précieux, comme type de relation humaine. Pour l’album, par exemple, on n’a jamais bossé séparément. Ce n’est pas faute d’avoir essayé: l’un des deux arrivait parfois au studio pour avancer. Avec pour résultat qu’il passait souvent un temps bête sur des choses qui étaient réglées en 5 minutes quand l’autre était là.

Audio, Video, Disco emprunte certaines couleurs à des genres souvent décriés. L’intro de Canon, par exemple, sonne comme du prog-rock médiéval…

XdR: On a toujours prôné des partis pris radicaux dans tous les morceaux qu’on a proposés. Aujourd’hui, on a cette liberté incroyable de faire ce qu’on veut. Cela pourrait nous arriver un jour, mais jusqu’ici on a eu l’immense chance de n’avoir jamais eu à produire de la musique « alimentaire ». Il faut en profiter. Aller au bout de chaque idée, sans compromis.

Brianvision fait référence à Brian May, le guitariste de Queen…

XdR: Pour moi, Queen est un des plus grands groupes anglais de tous les temps: que ce soit au niveau de l’écriture, de l’interprétation, de la production… On a toujours écouté ce groupe. Je sais qu’ils n’ont pas toujours eu bonne presse, mais je ne vois pas ce qu’il y a de naze dans Bohemian Rhapsody, un des titres pop les plus fous qui soit. Ils ont réussi à faire un hit avec une chanson de 7 minutes, qui change 5 fois de registre en cours de morceau!

GA: Il y a toujours ce truc étrange, où quand il y a plus de 3 notes dans une chanson, elle devient soi-disant cheesy. Nous, on ne fonctionne pas comme ça. On a une vision hyper naïve et romantique de la musique qui nous fait aimer des mecs comme les Buggles ou ELO. Des groupes assez copieux, en termes d’écriture, dans le bon sens du terme.

Justice, c’est du pop art? Un discours sur la musique?

XdR: Pas du tout, il n’y a absolument aucun second degré dans ce que l’on fait! Notre démarche est hyper sincère. On est perçus à tort comme des gens qui proposent des sortes de statement sur la musique ou l’art en général. On veut juste faire une musique qu’on trouve agréable, touchante, et pertinente au moment où on la sort. C’est tout. Cela ne nous empêche pas d’avoir des opinions sur plein de choses. Mais nos disques restent super honnêtes. Le but est d’amener une charge émotionnelle, qu’elle soit romantique, voire fleur bleue; ou au contraire plus violente, presque guerrière. On n’a jamais fait par exemple de morceaux dance strictement fonctionnels, qui ne servaient qu’à faire danser. Nos disques sont sans second degré. Cela ne veut pas dire qu’on se prend au sérieux pour autant. Mais pour nous, la première qualité qu’on demande à un groupe ou un disque, c’est d’être touchant. Or c’est difficile d’être émouvant en étant dans le second degré, en faisant des blagues. L’ironie ne fonctionne pas du tout sur nous.

Des disques comme ceux de Frank Zappa ne vous touchent pas?

XdR: Pas du tout. En fait, il y a assez peu de musiques intelligentes qui nous attirent. A la limite, celles qui y arrivent sont celles qui ont su garder un côté poignant. Quelqu’un comme Kubrick par exemple prônait l’expérimentation, mais tout en précisant que si à la fin, on l’entendait ou on la voyait, c’était raté. Peu importe les références, les expériences, il faut toujours qu’à la fin cela reste prenant et touchant. Sinon, pour nous, cela ne sert à rien.

Entretien Laurent Hoebrechts

JUSTICE, AUDIO, VIDEO, DISCO, DISTRIBUÉ PAR WARNER. *** Notre chronique.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content