Critique

Journey: le rêve d’Icare

AVENTURE | Production indé à la réalisation haut de gamme, Journey lévite à la frontière de l’art gaming. Ce trip aérien confirme l’immense talent du créateur Jenova Chen.

JOURNEY, ÉDITÉ PAR SONY COMPUTER ENTERTAINMENT, ÂGE 7+, DISPONIBLE SUR PLAYSTATION 3 (PLAYSTATION STORE). *****

Oublié le game over. Le jeu vidéo mainstream aussi. Journey déconstruit les codes ludiques de consommation courante pour élever le medium interactif. Comme dans ses trois précédents titres, Jenova Chen y développe l’idée de flottaison. Mieux, le créateur originaire du Sichuan en Chine opte pour un format court. Pas question de balader le joueur au fil de détours de level design inutiles et longs d’une dizaine d’heures. L’homme-orchestre aujourd’hui basé à Santa Monica offre un voyage au bout de la solitude proche d’un long métrage. Et va droit à l’essentiel pour développer son expérience de lévitation contemplative.

Journey est traversé d’un plaisir vidéoludique devenu aujourd’hui rare: celui de la découverte. Aucun dialogue, pas de menus, ni même un sous-titre. Dès ses premiers pas au beau milieu d’un désert nu, le joueur avance par tâtonnement, déduit les conséquences de ses interactions avec des petits bouts de parchemins volants. Complètement hudless (1), la plastique cinématographique audacieuse de Journey emprunte énormément au séminal Another World d’Eric Chahi. Mieux qu’un dialogue ou une cinématique plan-plan, le jeu déroule un monologue muet au joueur, au fil de nombreux indices visuels lourds de sens.

Au loin, dans les décors mille et une nuits de la première partie du voyage, on aperçoit des monstres en flottaison exprimant leurs intentions par des comportements. Tout au long du périple, à l’horizon, le sommet d’une montagne coiffé d’un pic de lumière se profile comme un objectif lourd de questions. Portant la découverte du gameplay en plaisir de jeu, Journey marche et plane dans des environnements qui contrairement à Flower sont dénués de toute végétation. Seule présence « humaine », l’avatar sans nom que le joueur dirige et quelques dieux inconnus évoquant le fantôme noir et blanc du Voyage de Chihiro.

Monts et merveilles

Visuellement, au-delà du style élégant et dépouillé de son jeu, Jenova Chen décline le sable comme nul autre créateur. Des étendues comme du cristal blanc ou du sucre rose. Irradiés de lumière, les contours d’architectures mauresques se floutent. La neige réserve aussi de belles surprises. Malgré des décors immenses, le joueur ne se perd jamais dans Journey. Les indices sous-entendus par des caméras aux angles de vue indicateurs aident à trouver son chemin. L’inverse est également vrai. Soit un level design tout en corridor qui arrive à simuler une impression de liberté vertigineuse.

Explorable à deux en coop sur le Net et variant avec brio son rythme, Journey joue aux montagnes russes, lentes et rapides à la fois. Des évocations aquatiques improbables, plantées en pleine sécheresse, s’y matérialisent. Le platformer en lévitation qui demande parfois d’être très discret déroule des allégories de méduses, de serpents marins géants et autres bancs de petits poissons. « Je ne cherche pas à connaître les réponses, je cherche à comprendre les questions », écrivait Confucius. Jenova Chen aussi.

Michi-Hiro Tamaï

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