Laurent Raphaël

Stupre de Cannes

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

On ne s’en lasse pas. Le rituel a beau être photocopié au haut talon près d’une année à l’autre -seuls les caprices de la météo, un vol de bijoux ou les dérapages verbaux de Lars von Trier étant en mesure de gripper la belle mécanique-, le festival de Cannes continue de fasciner.

Les raisons de détester cette kermesse aux Louboutin ne manquent pourtant pas. Sa localisation d’abord, capitale internationale du m’as-tu-vu peuplé de riches couleur brique venus comparés la taille de leurs bolides ou de leurs yachts et narguer le vulgum pecus défilant la langue pendante au pied de leurs pontons. Sa frénésie ensuite, concentration forcément électrique de milliers de photographes et journalistes rejoints par des hordes de badauds hystériques assoiffés d’autographes et de commérages sur un espace de la taille d’un terrain de foot. Son côté supermarché enfin, les marques de luxe déversant des valises de billets sur la ville et le comité organisateur pour coloniser le moindre petit bout de plage ou habiller les stars qui ont rendez-vous avec les projecteurs.

Malgré ces inconvénients hautement urticants, qui vaudraient à n’importe quel événement de moindre importance un carton rouge, tout le monde rêve d’aller y faire un tour. Quitte à déchanter une fois sur place quand il faudra loger loin de l’épicentre parce qu’il n’y a plus une chambre disponible à proximité du Palais, quand il faudra faire une croix sur la montée des marches et sur une bonne partie des projections faute de pouvoir présenter le badge de la bonne couleur, ou quand il faudra se contenter d’imaginer les soirées people auxquelles on n’a forcément pas été invités. Mais vu de loin, à travers le prisme édulcorant du petit écran, la formule reste alléchante, imparable même. Ce glamour qui pique les yeux quand il sonne creux -trop de filles aux mensurations parfaites, trop de vide étalé à la cuillère dorée- se transforme en bénédiction quand il prend les traits d’une nouvelle actrice à la fragilité gracieuse enfantée par le cinéma subtil et anti bling-bling de François Ozon.

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C’est cette schizophrénie improbable qui fait le charme de la Croisette, mélange de vulgarité à cinq ou six zéros et de réflexion radicale sur ce monde injuste qui encourage les dérives mercantiles dont elle fait abondamment l’étalage et la promotion… On croise aussi bien les nouveaux nababs de l’économie mondialisée venus juste pour la fête et la frime que la fine fleur du cinéma asiatique ou indé américain, tous réunis comme par miracle alors qu’ils habitent sur des planètes différentes le reste de l’année. Un mariage de raison, les gros bonnets y gagnant un peu de cette crédibilité qui rend leur richesse un rien moins insolente, le cinéma d’auteur en profitant pour se réchauffer les os sous les puissantes lampes médiatiques. Cannes est une fête baroque, décadente, où les bouffons couchent avec les rois le temps d’une courte trêve. Tant que le maître de cérémonie Thierry Frémaux assurera cet équilibre délicat avec une sélection sans concession, sans additif populiste, le festival aura sa place dans nos rêveries. On lui pardonnera même volontiers ses penchants à la superficialité.

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