Rome: braquage à l’italienne

L’hyperactif Danger Mouse et le compositeur Daniele Luppi invitent Jack White et Norah Jones pour un album, Rome, inspiré par le western spaghetti. Forza Italia.

On parle beaucoup ces derniers temps de l’influence exercée par l’Afrique sur la pop anglo-saxonne. On évoque nettement moins souvent par contre la marque profonde, merci à Sergio Leone et ses disciples, tatouée dès l’enfance sur les peaux de cinéphages par la musique italienne. Avec Rome, hommage au western spaghetti et à ses plus grands artisans, Danger Mouse et Daniele Luppi vont quelque part réparer cette cruelle injustice.

C’est tout sauf un secret. Le cerveau de Gnarls Barkley, qui a financé lui-même le projet, sait s’entourer. Avant d’enregistrer en compagnie du Shins James Mercer sous le nom de Broken Bells, Brian Burton avait déjà monté un coup avec Sparklehorse et David Lynch, invitant Wayne Coyne, Frank Black, Julian Casablancas, Iggy Pop et autre Suzanne Vega à venir pousser la chansonnette. Cette fois, le natif de White Plains, dans l’Etat de New York, a été raisonnable. Il a juste débauché Jack White et Norah Jones… Excusez du peu.

Projet ambitieux, Rome ne s’est pas fait en un jour. Cet album a même mis 5 longues années avant de pointer le bout de son nez. Flash-back. Et direction la Californie. Burton et Luppi se rencontrent à Los Angeles en 2004 lors de la cérémonie des Grammy Awards. Présentés par une connaissance commune, les 2 hommes sympathisent. Unis par les liens sacrés, non pas du mariage, mais de l’amour inconditionnel pour le cinéma italien et ses musiques de films vintage des années 60 et 70. Tout le monde connaît Morricone. Moins de gens ont entendu parler de compositeurs comme Piero Piccioni, Bruno Nicolai et Piero Umiliani dont Danger Mouse loue le travail. « J’étais passionné par le cinéma. C’est ainsi qu’est né mon amour pour les musiques de films. Et tout particulièrement pour les musiques de westerns italiens. Quand je me suis mis à la musique vers l’âge de 18 ans, j’ai commencé par tenter d’imiter ces B.O. De recréer moi-même ces bandes originales moroses et sombres. A travers leur nature forcément visuelle, elles ont marqué tout ce que j’ai enregistré depuis le début de ma carrière. »

Quand Danger Mouse croise la route de Luppi, il vient de terminer son Grey Album, superposition du White des Beatles et du Black de Jay-Z. Le Transalpin, qui est alors en train de s’installer à Los Angeles, a lui dans son sac The Italian Story, hommage aux musiques des films de son enfance. Lorsqu’un beau jour, il passe faire un saut chez son ami américain, Luppi tombe sur son impressionnante collection de B.O. méditerranéennes… Il n’en faut pas plus pour nouer 2 destins. Il commence par aider Burton sur quelques arrangements du premier Gnarls Barkley. Puis se met à germer l’idée d’un album commun. Les lascars écrivent chacun dans leur coin et décident de partir tous 2 pour l’Italie en octobre 2006. Il n’existe pas vraiment de service de location pour dégoter des instruments vintage à Rome. Luppi fait donc jouer ses connexions. Passe quelques coups de fil. Se procure un van. Et embarque Danger Mouse pour une tournée des grands ducs. Ce dont il a besoin, comme cette basse vintage trouvée chez Fabio Pignatelli du groupe Goblin, le duo essaie de l’emprunter. Et puisque ce genre d’instruments n’a pas de prix, il les troque contre quelques bouteilles de vin.

Quand il planchait sur The Italian Story, Luppi séjournait à Rome. S’était lancé à la recherche des musiciens de la grande époque toujours en vie. Et en avait même mis quelques-uns à l’ouvrage. Le seul truc, c’est qu’en Italie, on n’aime pas trop planifier… « On peut réserver un ticket d’avion, un studio, mais pas appeler un musicos et lui demander s’il est libre un mois plus tard. Il vous répondra de l’appeler 3 jours avant l’enregistrement. »

Le compositeur, musicien de session, spécialiste de l’orgue Hammond, parvient malgré tout à rassembler quelques pointures qui ont bossé jadis sur les B.O. de Sergio Leone comme Le Bon, La Brute et le Truand et Il Etait une fois dans l’Ouest. La chorale I Cantori Moderni d’Alessandro Alessandroni, le Marc 4 backing band… Il emmène alors les septuagénaires -certains n’ont plus joué ensemble depuis la nuit des temps- aux studios du Forum Music Village. Anciennement les mythiques Orthophonic Studios fondés entre autres par Ennio Morricone qui y a mis en boîte nombre de ses productions. Un grand espace aménagé dans d’anciennes catacombes sous une église néo-classique. Avec une chambre d’écho naturelle et une pièce remplie de vieilles bandes. Alleluia.

La botte secrète de Mike Patton

Danger Mouse n’est pas le seul à crier son amour de la botte. Après une compilation de 30 morceaux, Crime and Dissonance, dédiée au maestro Ennio Morricone et sortie sur son propre label, Ipecac, Mike Patton, dont l’ex-femme est d’origine italienne, revisitait l’an dernier en V.O. des chansons italiennes des fifties, sixties et seventies accompagné par un orchestre de 40 musiciens. Des versions arrangées, tiens tiens, avec Daniele Luppi, rendant hommage à des auteurs, pour la plupart méconnus de par chez nous, de chansons populaires tels que Fred Buscaglione (acteur et chanteur dont les personnages avaient un penchant pour le whisky et les femmes) ou Mogol (collaborateur régulier de Lucio Battisti et Adriano Celentano). Tout dans ce surprenant album est une déclaration d’amour à l’Italie. De son nom, Mondo Cane -titre d’un film italien qui a débouché sur un genre en soi, le mondo, pseudo documentaire très cru à l’approche racoleuse voire choquante- à son accent travaillé entre amis lors de ses nombreux séjours au pays.

Italo disco…

En matière de dancefloor aussi, l’Italie a la cote ces derniers temps. Faut pas regarder bien loin pour s’en rendre compte. Suffit de tendre une oreille vers Sambreville où Aeroplane a remis au goût du jour l’italo disco. Terme utilisé pour désigner la musique électronique européenne dans les années 80. Celle qui ne venait pas d’Angleterre ou des Etats-Unis. Celle qui, inventée par les frangins Carmelo et Michelangelo La Bionda avec I Wanna Be Your Lover, provenait régulièrement du nord de l’Italie.

Pendant son enfance, sa mère n’écoutait qu’eux à la maison. Tous ces chanteurs de la botte produits par les pionniers du disco italien. On ne se refait pas. Normal que de Coachella à Ibiza, Vito De Luca fasse danser la planète sur des sonorités fortement influencées par les goûts de la mama. La musique, c’est une affaire de filiation. De filiation et de migrations…

En France, Sébastien Tellier est lui aussi profondément inspiré par la disco sexuelle du sud de l’Europe. Il avoue adorer la musique italienne des années 70. Est fan de Lucio Battisti. Et chante d’ailleurs à l’occasion dans la langue de Dante. On ne s’étend même pas sur la french touch qui aurait du mal à cacher son penchant pour l’Italo et le plus allemand des Italiens Giorgio Moroder. Allez. Il est temps de fourguer ses disques de Zucchero et d’Eros Ramazzotti…

Julien Broquet

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