Ysaline Parisis

Langues de pub

Ysaline Parisis Journaliste livres

On connaissait le placement de produits au cinéma et dans les clips. Aujourd’hui, il y a les livres qui sont aussi de la pub. Vendue, la littérature?

La chronique de Ysaline Parisis

James Bond qui délaisse son sacro-saint Martini pour une vulgaire Heineken (et un contrat de 35 millions d’euros). Lady Gaga qui bat tous les records de citations de marques dans des clips-pubs (ou l’inverse). Bienvenue dans le monde du Brand Content. Soit l’art (?) de placer marques et produits en arrière-plan d’un contenu culturel sans avoir l’air d’y toucher. Née avec le cinéma, avec qui elle partage d’évidentes facilités, la pratique a depuis longtemps gagné le monde de la musique et des jeux vidéo. Elle fait aujourd’hui baisser la garde d’un nouveau bastion: les pages des romans.

Romancer Disneyland

Partant du plaisir qu’un « bon livre se déguste comme une bonne bière » (sic), Grimbergen a récemment demandé à cinq auteurs de polars belges (Luc Deflo, Barbara Abel, Nadine Monfils…) d’inventer l’un après l’autre le chapitre d’un thriller interactif mettant la marque en jeu. Le principe est transparent: faire passer un moment palpitant au buveur/lecteur, entourer le produit d’un imaginaire, le doter d’un capital symbolique. Bref, séduire -et donc vendre, entre les lignes. La crise aidant, les maisons d’édition, longtemps intouchables, ne cherchent plus aujourd’hui à endiguer l’infiltration.

Les accords se font légion. Disneyland qui invite des auteurs (Nicolas Rey, Ariel Kenig) au parc pour y écrire une histoire, parue chez Flammarion dans un recueil aux titre et bandeau sans équivoque: Disneyland. Neuf auteurs au pays de Mickey. Renault qui, pour la sortie de sa Twingo reliftée, distribue une nouvelle (Réjouissez-vous!) de Véronique Ovaldé, relayée par Albin Michel, et dans laquelle ladite voiture devient symbole d’optimisme. Gallimard qui, ce mois, fait paraître La Malle, ouvrage collectif et luxueux tout droit sorti de l’imagination de Marie Darrieussecq, Yann Moix ou Virginie Despentes, à qui on a ouvert pour l’occasion les mythiques archives de la maison Vuitton.

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Loin d’être toujours déshonorant, le résultat ne lasse pas d’étonner pour autant. La littérature, nouvel homme-sandwich? Les optimistes y salueront une nouvelle forme de mécénat pour poètes fauchés. Rappelleront que la création sous contrainte a déjà démontré ses vertus aphrodisiaques sur l’imaginaire. Et souligneront que c’est accorder beaucoup de crédit à la littérature que de lui prêter un tel pouvoir d’influence dans une société globalement rebelle à la fiction quand elle s’écrit en romans.

Les autres argueront qu’en instrumentalisant la littérature, en lui imposant une autre raison d’être qu’elle-même, on lui dénie son pouvoir de gratuité… Indispensable gage de sa sincérité, de son émotion, de sa puissance.

Reste que la littérature, art du fantasme et de l’intériorité, est un véhicule assez inédit pour des messages publicitaires a priori chevillés au visuel. Sans passer par la case images, le placement de produits romanesque se fait plus indirect, moins frontal, mais sans doute aussi -simple hypothèse- plus subliminal et vicieux. Donc durable?

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