Image(s) d’une collection: Charbons ardents

Il n’y a pas que des terrils pelés, des usines fantômes et des Tony Montana à la petite semaine à Charleroi. Sous la couche de suie du naufrage social scintillent quelques lucioles culturelles. Comme l’Eden, poumon d’acier alimentant en oxygène sonique les rockeurs de la région. Et surtout comme le Musée de la photographie, bateau argentique ancré dans la baie des émulsions du temps qui passe. Un palace 5 étoiles -le plus grand d’Europe- pour cet art de l’instant frappé d’une double malédiction: longtemps ravalé au rang d’artisanat, il a mariné dans les cercles périphériques de la culture dominante, et quand enfin le déclic s’est produit, il a été doublé par la gauche par la photographie de masse. Raison de plus pour que quelqu’un passe la production dantesque d’images au tamis, et sépare le bon grain des clichés qui font sens de l’ivraie de la bibine digitale.

Une mission que remplit parfaitement l’arche pilotée par Xavier Canonne (un nom pour le moins prédestiné). Avec une ambition rafraîchissante puisque le musée ne se cantonne pas à thésauriser le patrimoine iconique local (ce qui serait déjà pas mal). Il se pose en dépositaire de la photographie mondiale. Grâce au flair et aux relations des incubateurs de ce projet sorti de terre à la fin des années 80, en particulier Georges Vercheval et son épouse, son fonds compte des pièces qui font aujourd’hui tourner la tête des collectionneurs. Aucun grand nom ne manque à l’appel, de Robert Frank à Dave Anderson en passant par Robert Doisneau.

Ce trésor se déguste désormais aussi dans un livre qui caresse l’oeil dans le sens du cil. Première impression: l’incroyable richesse. Vérification faite dans le Photo icons de Koetzle édité chez Taschen, la plupart des images mythiques du XXe siècle sont présentes à Charleroi! Que ce soit les recalés du mirage américain de Dorothea Lange, les jeunes paysans d’August Sander ou le voleur du sabre de Baudouin de Robert Lebeck. Seconde claque: un « accrochage » magnétique. Tout en suivant un fil rouge chronologique, les clichés esquissent des pas de 2. Chaque image dialogue avec celle qui lui fait face. Une autoroute urbaine surchargée de Bernard Plossu donne la réplique à un ruban de bitume désertique de Stephen Shore. Un nu à un autre nu, etc.

En 350 escales, cet album raconte une histoire, la nôtre, avec ses larmes, ses sourires, ses rêves (les surréalistes sont bien représentés), ses fantasmes. « Collectionner la photographie, c’est collectionner le monde », affirmait Susan Sontag. Pari fou réussi.

Image(s) d’une collection, Musée de la photographie et Fonds Mercator, 320 pages.

Laurent Raphaël

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