Critique | Musique

Chronique CD: Gambles – Trust

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

FOLK | Gambles chante la douleur et les ravages d’une fausse couche sur un album dépouillé et cruellement autobiographique. À faire pleurer les cailloux…

Chronique CD: Gambles - Trust

Plus émouvant et bouleversant encore que le For Emma, Forever Ago de Bon Iver enregistré par un Justin Venon qu’une déception amoureuse avait laissé anéanti, c’est un disque triste et touchant à la sincérité désarmante et à la force rare. Un album qui marche sur les pas d’un Freewheelin Bob Dylan (dont il n’a pas que la coiffure) et, plus encore d’un Leonard Cohen, dont il s’est servi comme Xanax pour oublier la douleur et faire taire la folie.

Matthew Daniel Siskin, nom de scène Gambles, en a bavé et il le raconte dans le dénuement de Trust en même temps qu’il parle à celle dont il se voyait partager la vie.

Flash-back. Siskin rencontre une fille. Il tombe amoureux, et sa copine enceinte, après six mois. Les tourtereaux se fiancent. Annoncent la nouvelle à leurs parents. « C’est la seule fois où j’ai vu mon père pleurer, avec le jour où sa soeur est morte. » Avant que tout ne dérape lors d’un rendez-vous chez le gynécologue. « On est censé entendre les battements de coeur de l’enfant mais là, il n’y en a pas », se contente de commenter le spécialiste. « Bonne chance pour la prochaine fois. » Le jeune homme et sa dulcinée, dévastée, se marient. Jusqu’à ce que, mal dans ses pompes et dans sa peau, le garçon pète un plomb. Se comporte de manière à ce qu’elle en vienne à le détester et qu’il finisse par trouver lui-même le courage de la quitter. En 2012, Siskin -qui pour la petite histoire est le fondateur et directeur créatif de Designedmemory, une boîte de consultance qui a bossé sur le site Web de Beyoncé- noie son chagrin et ses galères dans l’alcool et la drogue. Il guérira en musique.

À fleur de peau

En trois quarts d’heure et treize titres d’une délicatesse et d’une force sombres, dépouillées et poignantes, Gambles met son coeur meurtri et son âme tourmentée sur la table. Semble ouvrir son journal intime, en tourner les pages l’oeil perçant et mouillé, et confier, d’une voix sobre, de quelques sifflements et d’une guitare acoustique qui laisse respirer le silence, les pensées qui ne cesseront probablement jamais de le hanter. Là où trop de singer songwriters, débutants comme confirmés, étouffent leurs chansons dans des arrangements standardisants, Trust est une déchirante leçon de simplicité. Un florilège de ballades dénudées et primales.

Siskin, qui a commencé à écrire sous le nom de Gambles en août 2012 et a enregistré sa première chanson avec son ami le Français Nicolas Vernhes (collaborateur de Black Dice, Animal Collective, Deerhunter…) dans le studio de ce dernier, le Rare Book Room, réussit un véritable tour de force. Un disque à fleur de peau, pas loin d’un Jeff Mangum (Neutral Milk Hotel), d’un Tallest Man on Earth ou d’un Jake Bugg. « La plupart de mes chansons sont un peu comme des tombes dans lesquelles je me force à dormir. » De quoi tourner insomniaque…

  • GAMBLES, TRUST, DISTRIBUÉ PAR GMBLS/KONKURRENT.

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