Critique | Musique

Robbie Robertson – How to become clairvoyant

© David Jordan Williams

ROCK | Cartographe des sixties, accompagnateur de Dylan, compagnon de coke et de BO de Scorsese, pilier de The Band, Robbie Robertson propose « How to become clairvoyant », son cinquième album solo en 24 ans.

On a eu une brève hésitation: qui pourrait bien acheter ce disque d’un inconnu célèbre, le mec qui attrapait voluptueusement une mouche (…) dans The Last Waltz, film de Scorsese consacré au Band en pleine débandade? Hormis bien sûr le public américain (Rolling Stone en bave des ronds de chapeaux) et flamand, les Ménapiens ayant toujours été fascinés par les songwriters existentialistes façon Tom Waits, Randy Newman ou ledit Robertson.

Le mec qui accompagnait Dylan avec sa bande de péquenots grandioses, alors que le pape du rébus judéo-poétique fissurait intentionnellement la boîte à Pandore du rock sixties. Cela durerait grosso modo de l’été 1965 au milieu de la décennie suivante, après une énorme tournée dylanesque, méga coup de fric début 1974. Puzzle d’autant plus world que Robertson est né en 1943 à Toronto, Canada, d’un père juif et d’une mère mohicane (…), passant ses vacances dans les réserves indiennes tout en chopant les frémissements du blues et du rock’n’roll primitif sur les ondes radios. C’est pas de la bio ça?

Pile blues

Même si tout ce qui précède fertilise l’imaginaire de ceux qui, comme votre serviteur, ont suivi les atermoiements de cette saga americana, on peut aussi bien appréhender l’album de Robbie sans aucun pédigrée. On découvre alors douze morceaux hors temps, plutôt marécageux, baignés de filandreuses mélodies, de guitares acides et de textes braqués dans le miroir. Pour la première fois, de son propre aveu, Robertson regarde intentionnellement en arrière, de façon notable sur When The Night Was Young, où il radiographie ses souvenirs rétros: des shows dans d’improbables bouges provinciaux jusqu’à la rencontre du pape Andy Warhol à New York.

Et c’est là que le disque devient intéressant, par ses cicatrices et blessures souterraines qui rappliquent à la surface des chansons, cabossées malgré leur carlingue blinquante. Pour boucler l’album, Robertson a exposé ses tripes en comité restreint, invitant Eric Clapton, alter ego anglais qui, lui aussi, a connu les aléas de la came et de la gloire. Clapton va jusqu’à imposer un titre totalement de son style (Fear Of Falling), mais surtout, enclenche un véritable dialogue fraternel avec la six cordes de Robbie (Straight Down The Line, This Is Where I Get Off).

Parce que, malgré tous les brouillages de pistes et les tentations de cartomancienne, c’est bien une revisite de la pile blues et de sa jumelle americana dont il s’agit. Mais enrobée de mystère sonique, de purée de pois et de marketing Walk Of Fame. Et même plus si affinités.

Robbie Robertson, How to become clairvoyant , distribué par Universal.

Philippe Cornet

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