BSF J3: Iggy Pop & co, la soirée Peter Pan

© Noah Dodson
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Iggy & the Stooges, Catherine Ringer, The Stranglers et The Experimental Tropic Blues Band: c’était sans doute la soirée la plus attendue de cette édition du Brussels Summer Festival.

Le point commun entre The Stranglers, Catherine Ringer et Iggy Pop? Prétendre que le temps n’existe pas, n’a aucune prise sur son art. Prétendre que les aléas de la vie, le décès ou la démission de musiciens déterminants, le changement d’époque et de personnel aussi, ne transforment pas la banane de jadis en actuelle purée de baxter pour grabataires. Nous sommes le 12 août 2012, la moyenne d’âge des participants doit avoisiner un chiffre voisin et, devant les fenêtres du Palais Royal de Bruxelles, pour une foule principalement gobeuse de kebabs et siffleuse de mojitos, jouent des groupes qui ont jadis représenté le summum du punk vicelard, de la chanson funky française déviante et du rock & roll le plus mongolien du monde. The Stranglers, la mère Ringer ex-Rita Mitsouko, et Iggy & the Stooges, voilà le gros du programme. Régionaux (quasi, allez) de l’étape, il y avait bien The Experimental Tropic Blues Band en ouverture des hostilités mais on est arrivés trop tard, se prenant juste dix minutes de set dans les gencives. Dix minutes durant lesquelles, malgré toute la sympathie colportée pour ces zygotos liégeois et au risque de cette fois vraiment définitivement se fâcher avec tout le milieu rock/médias wallon qui voit en eux les futures têtes de gondole du secteur des musiques émergentes, on a surtout eu l’impression de voir l’orchestre du Muppet Show singer les Cramps.

Les Stranglers ont fait à peine moins pitié. Hugh Cornwell, le chanteur originel promène depuis 22 ans sa classe innée ailleurs et est depuis remplacé par un type dont on préfère toujours ne rien savoir, la rage des fans de la première heure. Jadis géniaux, vénéneux et sexuels, jadis capables de passer d’un punk-rock plus malin que les autres à des tubes pop opiacés, les Stranglers ne moulinent aujourd’hui Golden Brown et Always the Sun que pour rappeler qu’ils ont un jour charcuté la bande FM et alignent sinon les bombinettes les plus basiques de leur catalogue sans plus jamais oser flirter avec leurs plus troublantes scories: l’époque Féline, The Raven, La Folie, Don’t Bring Harry… En 1982, ils étaient les maîtres. En 2012, ce qu’ils faisaient de mieux il y a 30 ans est désormais magnifié par Baxter Dury et eux, ne ressemblent plus qu’à un tribute-band bassement punkard qui ferait l’impasse sur les entrées les plus troublantes de leur CV. Mention spéciale, tout de même, à Dave Greenfield: monstrueux claviériste dont les notes du jour en appellent toujours, parfois, aux réminiscences de l’époque bénie du groupe.

Catherine Ringer, un tout autre dossier. Il y a un côté touchant à la voir revenir sur scène après le décès de Fred Chichin, le genre de crasse du destin qui dynamite, disperse et ventile une carrière. Ce qui touche nettement moins, c’est l’impression de soudainement se retrouver à Spa en plein milieu des Francofolies ou, dans le public, lors d’un enregistrement de Taratata. On a aimé les Rita Mitsouko plus borderline, incisifs, efficaces et trancheurs de lard. Là, on a surtout un jeu assez broute-burnes de fausse folie et des musiciens qui se la donnent tellement que l’on dit en rigolant qu’ils vont finir par jouer avec les dents et, effectivement, le guitariste finit le concert en portant la guitare derrière la nuque. Bref, une avalanche de solos d’agitateurs de phallus. Et la vacharde impression que le mieux à faire pour la carrière de Catherine Ringer, c’est d’organiser un combat de catch dans la boue entre elle et Philippe Katerine et puis, que le vainqueur soit désigné Best Reboot of Brigitte Fontaine 2018 et là, fini, c’est tout. Oui, ricaneurs devant la nouveauté, bien que plus agités durant les tubes, on s’est un poil emmerdé.

Et puis vint Iggy Pop. Et en moins d’un quart d’heure, cette vieille biscotte mit tout le monde à l’amende. Le reste de la foutue programmation du BSF. L’entièreté des putains de groupes rock belges en activité. Et une bonne partie des anglo-saxons, aussi. Ce mec, né en 1947, n’a même plus besoin de sortir son sous-marin de pine pour démontrer que le rock, en 2012, c’est lui et personne d’autre. Son d’apocalypse, présence de démon. Iggy & the Stooges, à quatre mois de la fin du monde, c’est certes moins vicelard qu’il y a 45 ans (débuts: 1967) mais ça envoie néanmoins toujours vachement le bois, quasi même l’entièreté de la forêt amazonienne. Et droit dans ta gueule, en plus. Premiers rangs hystériques, flics aux abois, crachats, largage de micro, mecs sortis sans ménagement des zones sécurisées… L’Iguane, aujourd’hui plus âgé que DSK, nous livra un show de véritable propagateur de chaos, allant un moment jusqu’à appeler les gens à le rejoindre sur scène au grand dam de la sécu et faisant plus tard le babouin devant Polbru. Il reste bien sûr permis de se plaindre qu’expédiés de façon à plaire aux fans de Rock à Gogo, gabba gabba hey hey, des classiques tapettes de la trempe de Penetration ou No Fun aient perdus en intensité malsaine au profit d’une efficacité toute biker mais soit. On peut aussi ricaner du petit côté putassier et moulineur de guitares de la prestation, genre Dutronc à l’Olympia, le groupe allant même jusqu’à jouer The Passenger en rappel, cette vieille démo Black & Decker du Femme Libérée de Cookie Dingler, track qui n’a d’ailleurs rien à voir avec les Stooges, puisque calé sur le solo Lust for Life du sieur Pop. N’en reste pas moins que ce concert fut une grosse claque en travers de notre face moqueuse et cynique. L’appréciation de voir un mec de 65 balais enterrer les doigts dans le nez et 24 pieds sous terre la plupart des pauvres cons en activité dans le garage-rock moderne. Magistralement réussir ce que les Stranglers rataient 3 heures plus tôt, en d’autres termes: s’imposer par-delà les contraintes du temps à un public pas forcément acquis. Bref, donner une véritable leçon de vie. Tout simplement. L’apanage des tous grands.

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