Sortie de route, track 9: Police partout, justice nulle part

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

Bozar, vendredi soir. Avant la nuit, avant la musique. J’ai fini de promener ma gueule de bois à l’exposition sur l’art graphique brésilien et dans le Livre d’Or, à la sortie, j’hésite à écrire « ils sont tout de même meilleurs en foot que derrière un chevalet, ces singes! » Rien de personnel, rien de raciste, vu je n’en pense pas un mot. J’ai vraiment apprécié cette expo mais voilà, l’envie de bêtises est là. Le réveil du Leprechaun. Le besoin de me décoincer de cette ambiance KULTUURTEMPEL plus austère qu’un budget grec. Il est encore tôt. Le public disons massif qui va plus tard forger le succès de cette édition de la Bozar Night n’est pas encore dans la place. Là, comme toujours au Palais, quand l’event n’est pas principalement destiné aux amateurs de concerts de flûtes à bec exclusivement nourris à la pâte de fruits, ce qui se remarque surtout, c’est la présence en sureffectif d’un personnel de sécurité et d’auxiliaires d’accueil censés renseigner le curieux mais en fait surtout chargés de surveiller que personne ne s’en grille une en douce. J’ai du mal avec ça, je trouve même que cela torpille presque toute envie festive. Je suis assis sur le grand escalier, dans un coin où je ne gêne personne, un angle mort où le passage est impossible, je prends des notes et un de ces gusses vient me dire le plus sérieusement du monde que je ne peux pas être assis là. Police partout, justice nulle part.

Je tombe sur un pote et commence la valse des médisances. On se dit que pour une soirée dansante visiblement placée sous le signe du Brésil, The Herbaliser, groupe londonien en tête d’affiche, ce n’est pas vraiment l’idée du siècle. « Alors qu’il y a Gui Boratto et Ricardo Villalobos. » Villalobos est chilien, je dis. Ça ne change rien, tous des fils d’Allemands, me répond le pote. Première grosse rigolade de la soirée. Sinon, à défaut de demi-Frigolins, sur scène, pour l’instant, il y a un type qui fait sortir de son laptop une bande enregistrée dans la forêt amazonienne. On y entend la pluie, forniquer les mygales, ronfler les perroquets, ça doit être terrible sur place. Là, en pleine lumière, avec une bière à la main et en mode « on va lui laisser une chance à c’te night mais je sens d’ici la peau de rouston qui se pèle », on a surtout l’impression que le type joue à Battlefield Conquistador ou se mate Aguirre La Colère de Dieu en feintant une performance artistique. Bières? Bières.

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Bières, bières et bières plus tard, c’est carrément n’importe quoi. The Herbaliser a l’air de sortir d’un vieux film de Guy Ritchie, des lascars de 40-50 balais en training qui n’ont pas l’air d’en toucher une. Je soupçonne même très fort les musiciens de laisser faire le laptop. La musique est ennuyeuse, encore plus qu’elle ne l’était il y a 15 ans: du funk mou pour fumeurs de pétards, avec sur presque chaque morceau ce gimmick de batterie piqué à James Brown. Ça fait danser les gens. Ça et l’alcool, parce qu’il est clair qu’une majeure partie du public est complètement à la ramasse. Ça bouscule, ça tangue, ça marche sur les pieds, on se croirait dans une rave party rue de la Loi, la révolution des cagoles avec DJ Polbru à la toupie qui fait coin-coin.

Mes amis de la sécurité commencent à faire un peu de zèle. On peut monter un escalier dans un sens, on a l’obligation de le descendre dans l’autre. Il est 02h10, la soirée est prévue pour s’achever dans 50 minutes, les gens sont relativement hystériques et on voit bien que derrière la cravate noire des pandores d’un soir, cela ronchonne, cela anticipe le remake de l’évacuation de Zuccotti Park, cela voudrait être n’importe où sinon là. Chouette, ce contraste entre le sourire des convives et la face de marbre, voire carrément méprisante, du petit personnel. Je sors prendre l’air et là aussi, faut passer par un couloir et pas par l’autre et même à deux doigts de la sortie, on vous rattrape pour vous inviter à refaire le trajet comme il faut. Quelqu’un me suggère que si cela ne me plaît pas, je peux toujours écrire une lettre ouverte à Paul Dujardin, le directeur du Palais des Beaux-Arts. Ouais, zyva.

« Cher Monsieur Dujardin. Depuis maintenant plusieurs années, la très vénérable institution que vous présidez, ce mirifique temple de toutes les cultures, entend ouvrir ses portes ô combien sculptées avec talent et, à juste titre, classées, à des formes plus populaires de l’activité cérébrale à tendance artistique. Rock and roll, techno, funk, salsa… Vous avez osé le pari de faire entrer la modernité, voire même la post-modernité, ou parfois encore carrément la hype allez, dans ces couloirs joliment marbrés d’un Palais des Beaux-Arts qui n’avait avant cela jamais clinqué si kikou. Je me permets toutefois de porter à votre attention que ces cultures festives qui trouvent désormais écho dans votre bouquet d’offres évènementielles sont basées par essence sur des notions de permissivité, de partage et de désinhibition, ce qui se marie bien mal avec une présence trop numéraire de « videurs », de même qu’avec une scénographie stricte. Dans un tel cas de figure, restera en effet toujours l’impression que chez vous, cette culture-là, le dancefloor, le boum-boum, les filles qui ondulent comme des vers de terre, n’a à vos yeux pas droit au même traitement de valeur que les autres formes culturelles trouvant au Bozar un écrin toujours irréprochable. En clair: je me demande si toutes ces singeries, vous ne les voyez pas simplement comme un bon moyen de traîner un nouveau public, tout en faisant en sorte que ce même public, ces graines de vandales, ne se sente tout de même pas trop chez lui au Palais. Survivant du White Hotel, dont un remake salle Henry Le Boeuf ne ferait l’affaire de personne, je comprends toutefois votre éventuel point de vue préventif mais… »

Après, je cale. Parce que je m’en fous un peu, à vrai dire. Novembre, la nuit à 16 heures, l’approche de Noël, la réévaluation des notes d’eau, de gaz et d’électricité, les dépressions plus ou moins assumées, le regard qui se fait plus vache que dans la tendresse des nuits d’été, ça fout toujours une drôle d’ambiance à la night. Chez les pochetrons, chez les gardiens de l’ordre, flics assermentés comme Stalagführers d’un soir. It’s jungle time. Au moins jusqu’en mars. Et l’année prochaine, avec la fin du monde, ça sera encore pire. Un week-end sans, vous l’aurez compris.

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Serge Coosemans

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