Vendredi, c’est Moncharli, et samedi Jazzie B

De l’hôtel Aloft jusqu’au KVS, en passant par la gare du Congrès ou le Wood pour recueillir les confidences de Carl de Moncharline, Guillermo Guiz poursuit ses pérégrinations nocturnes en terres de sorties bruxelloises. Episode 3.

Ca commence jeudi soir. Vers 21h30. A l’inauguration de l’hôtel Aloft Brussels Schuman, la nouvelle grande niche à eurocrates plantée entre la rue Belliard et la rue de la Loi. L’équipe du Libertine Supersport est chargée d’ambiancer l’histoire, le portefeuille des investisseurs s’occupe du (sur-)ravitaillement: du bon manger partout partout, de la boire très alcoolisée partout partout. Et je vole des Fruitella, en traître.

Tout bon délire aux étages: trois suites über-pimpées accueillent des mini-soirées thématiques conceptualisées par des quidams et mises en sauce par la bande à Lorenzo Serra. Genre soirée polaire avec des trucs glacés ou soirée rétro avec Orange mécanique projeté sur le mur. Les résidents DJ k-naliens passent les plats pour quelques privilégiés: c’est comme à Ibiza sauf qu’on est sept sur le dancefloor-moquette, dans une ambiance chaleur-chaleur-patate de douce décadence. En duo avec le sémillant Mitch Stach, la moustache fétiche du LibSup, on a pourtant la mauvaise idée de croire que, de retour dans le lobby, les robes et les cravates auront envie de froisser leurs liftings pour crier qu’on est en vie. Ca se finit un peu lose, dans un pouf.

Ca continue vendredi. Où franchement, Bruxelles fait un peu sa radine. Pas grand-chose à se mettre sous la gencive, à part peut-être un beau chapeau. Wééééé, un beau chapeau. Pour le fun, j’aurais pu déverser toute la purulence de mon fiel sur la Hockey Night, aux Jeux d’Hiver, récemment classée « septième soirée la plus stéréotypée d’Europe occidentale ». Pas le courage. Pour ceux qui n’y étaient pas, faudra imaginer. Imaginer ce que 800 hockeyeurs concassés peuvent générer comme sons, comme attitudes, comme mèches (je peux parler…).

Alors c’est vers le Wood, nouveau chantre de la branchisation bruxelloise, que me guide mon auto rabaissée de super Ronny, histoire d’aller voir ce que Carl de Moncharline, légende vivante de Brussels by Night, raconte de bien. Toute la semaine, le Wood soufflait sa première bougie, au terme d’une année qui a vu le resto-disco-bar grimper rapidement sur le haut de la pile des places to club. Au point de remplir son (petit) espace trois ou quatre nuits par semaine, une performance suffisamment rare pour être soulignée. Ce soir, l’impeccable Compuphonic est censé prendre la main vers 2h… Sauf qu’un imbécile d’ornithorynque vient de fracturer son coffre en plein bois de la Cambre, amputant le jeune DJ liégeois de la moitié de ses vinyles… Naze.

Carl, on ne le présente plus. Ou alors pas longtemps. De la Fiesta Latina à la Roller Parade, en passant par la Fête du Progrès, dresser la liste complète des événements qu’il organise à Bruxelles me filerait de l’arthrose dans les doigts. Mais avant d’être une machine mainstream sous ciel bleu, Carl fut de toutes les grosses expériences nocturnes de la capitale, qu’elles soient tenues au Mirano, au Fuse ou bien sûr au Who’s Who’s Land, soit trois des clubs les plus mythiques de la ville…

Pour l’anecdote, l’entretien qui suit a été réalisé entre 22h30 et 23h. Huit heures plus tard, après Wake me up before you go-go et Partenaire Particulier, la madame pipi du Wood me confiera, adorable: « Toi au moins, tu danses bien sur la musique des années 80, comme on faisait dans le temps ». Vite, mon lit.

Carl, y’a la Hockey Night aux Jeux, ça t’embête si je reste ici cette nuit?
L’interview a déjà commencé?

Heu… Tu as amené des DJ de Berlin et un gros line-up plus généralement pour l’anniversaire du Wood. T’es allé piocher dans la caisse noire du PS pour te l’offrir?
D’abord, je ne suis plus au PS depuis quatre ans, il faut que ça se sache. J’ai quitté le parti quand j’ai décidé de me mettre au vert à la campagne. Je voulais m’occuper de mon enfant et de mon jardin. Au niveau politique, ma mission a été remplie. On venait d’une ville morte où il ne se passait rien, mon ambition était d’en faire une ville vivante. Je me suis mis au PS avec des gens qui avaient envie de la même chose que moi, aller de l’avant. Dix ans après, on a une ville qui bouge.

A ce propos, tu as donné des consignes à tes portiers pour que l’ancien bourgmestre François-Xavier De Donnea, fossoyeur de la nuit bruxelloise contre lequel tu t’es battu, soit recalé à l’entrée?
Non, mais on est quasiment sûrs que ce n’est pas le genre d’endroits qu’il aimera fréquenter, car trop progressiste pour lui. Il risque de ne pas se sentir bien et d’être surpris par cette jeunesse qu’il ne pensait pas voir éclore. Le modèle de vie qu’il préconisait n’est pas la réalité du monde d’aujourd’hui. C’est mieux qu’il reste dans son square des Milliardaires, à penser que le monde est toujours comme au 19e siècle. Je suis sûr qu’il vivra longtemps.

(La suite de l’interview de Carl de Moncharline, c’est ICI)

Samedi, c’est Jazzie

Errer de lieu en lieu requiert une certaine dose d’autodiscipline. Surtout quand à l’appel de la douce couette répond celui, bien plus incertain, d’une nuit pluvieuse et solitaire. Pas la pêche. J’enfuis mes états d’âme Eric dans le fond de ma grenouillère pour arriver quai aux Pierre de Taille, passé 1h. Objectif? Incruster mon grand corps blanc dans le grand cube noir du KVS, pour l’occasionnel Bal in the Box. Adossées aux flancs du joli théâtre national flamand, celui en forme de sapin, les prostituées sud-américaines bravent les gouttes. Ambiance poisseuse, glauque. Le songwriter et producteur londonien Jazzie B, tête d’affiche de la soirée, en vaut-il la peine? Paraîtrait que oui. « Must go! », m’a même tonné un ami DJ.

Je débarque à la fin du warm-up. En plein Can’t take my eyes off of you de Gloria Gaynor. M’enfin! Pour ma dernière soirée bilingue avant l’apocalypse séparatiste, je m’attendais à du plus pointu, à de l’intello cool, à du FM Brussel acéré. Cela dit, le responsable du light-show fait dans le subliminal: alternance de lumière jaune et rouge (manifestement ses deux seuls boutons) sur fond noir… Ca vous dit quelque chose? Ben wais, Noble Belgique ô Mère Chérie! Elle-même! Et Stromae chante Alors on danse dans une grosse ambiance, la salle se met à crier. Juste à crier. Parce que le pays est coupé en deux: ceux qui connaissant les couplets d’Alors on danse et les autres, nos futurs ex-compatriotes.

Je crois que les deux DJ aux commandes ont vu que j’étais en solo, comme Âne Solo de Star Wars. Alors ils passent des trucs que j’ai honte d’adorer, genre le Madan de Salif Keita remixé par Martin Solveig. Puis, en toute fin de set, le clin d’oeil qui tue: l’hypra-sensuel Back To Life de Soul II Soul, pour préparer l’arrivée aux plaques du … fondateur de Soul II Soul. Ok, je savais sans le savoir qui était Jazzie B, ce grand black avec un beau chapeau (wéeeee, un beau chapeau. Qui m’impressionne) et un casque de fou en forme de téléphone. Pas si mal finalement, la petite Bruxelles, si on gratte un peu: le légendaire Jeff Mills joue au Fuse en même temps, Fritz Kalkbrenner tape la sauce au Libertine et David Guetta enflamme les Jeux (coche la fausse information).

Bref, Jazzie B, sosie en plus mûr de l’ex Saïan Féfé (qui jouait d’ailleurs à Ixelles un peu plus tôt), démarre son set comme il l’aurait fait au Jan Breydel Stadion de Bruges: sur le beat de Seven Nation Army. Mwais… La suite bouillonne pourtant, pas de temps mort, on sent que le gaillard touchait déjà du vinyle quand ma naissance n’était encore qu’une hypothèse. Billie Jean de Michael + Milkshake de Kelis + Nasty Girl de Notorious = carton, trois en un, mieux que Wash & Go, avant Intergalactic des Beastie + Rapper’s Delight du Sugar Hill Gang + un enchaînement de fou sur Let’s Dance de Bowie… Mais quand même, comme l’excellent DJ Bernard Dobbeleer me le confiait récemment, difficile de trouver des prises de risques dans les sets du moment: « C’est l’époque qui veut ça: le gens ont besoin d’être rassurés quand ils vont en soirée ».

Plus tard, gare du Congrès, le long du boulevard Pacheco. « Mate bien la déco, ça devrait être intéressant. Mais il fera sûrement humide », qu’on m’avait dit… La déco? Rien de transcendant. Humide? C’est une blague? Dedans, c’est comme si j’étais cuit dans du cellophane dans un micro-onde dans la Forêt amazonienne. La redynamisation de la gare du Congrès a évidemment le mérite d’exister et d’accueillir des concepts percutants: mais clairement, si je tiens une heure, je vais y laisser 8 kilos.

Dommage, parce que les soirées de Soumaya DanceMachine, figure connue et facilement reconnue (grâce notamment à ses tenues bigarrées et à ses improbables lunettes) des nuits bruxelloises, jouissent d’une jolie réputation naissante dans le milieu, la jeune djette ayant le goût de la programmation connaisseuse et bien faite. Pour cette nouvelle édition d’High Needs Low, une poignée de DJ allemands tiennent d’ailleurs le haut des platines, enchaînant une electro mélodico-minimalo-punchy bien canalisée, pour un public « gaytéro » branché. Cela dit, mes organes commencent à fondre et pire, la chaleur menace l’excellente tenue de ma coupe de cheveux. Dehors, air frais, jouissance.

Finir au K-Nal devient un pléonasme, alors à part dire que Jean Montevideo et Cosy Mozzy étaient d’une pétaradante énergie, je préfère en garder un peu sous la pédale pour le mois d’octobre: le line-up au Libertine s’annonce exceptionnel, pour de vrai, avec des têtes d’affiche de malade tout le mois (de Felix Da Housecat à Simian Mobile Disco en passant par un concert d’Hercules & the Love Affair). Stay tuned. Rideau.

Guillermo Guiz

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