Le tabac de Dutronc

Vendredi, Dutronc effectuait à Forest son retour sur une scène belge, la première en 17 ans. Compte-rendu.

Ça commence donc avec  » Et moi, et moi, et moi « , puisque c’est en effet là que tout a débuté (en juin 1966). Dutronc est là, comme d’hab’ : veston noir, fut’ noir, lunettes noires, comme si rien n’avait bougé depuis la dernière fois. Toujours autant d’allure, et surtout de voix : c’est impressionnant d’entendre à quel point le velours du crooner Dutronc est resté quasi intact, à peine altéré par les années (et le reste…). Rien n’a changé donc, à un détail près : plus moyen d’allumer son cigare sur scène. Du coup, il lance tout de même :  » au moins, puisque vous avez l’air motivés, on pourra dire qu’on aura fait un… tabac « , ponctué d’un bras d’honneur roublard. Voilà pour l’une des nombreuses vannes et autres (plus ou moins) bons mots balancés à la volée, entre chaque chanson. En pleine forme, on vous dit…

Sur une scène belge, cela faisait 17 ans que l’on n’avait pas vu le dandy. Soit une génération – celle pour qui Dutronc n’est autre que le père de Thomas. Ou à la limite, une idole yéyé sur le retour. C’est d’ailleurs sur cette période que le Dutronc cuvée 2010 insiste. Il ya bien  » Madame l’existence « ,  » Un petit jardin  » ou encore  » Sur une nappe de restaurant « . Mais ils constituent les seules échappées d’une set-list qui sinon file tout droit. C’en est même sidérant.  » On nous cache tout, on nous dit rien « ,  » La fille du père Noël « ,  » J’aime les filles « ,  » Les playboys « ,  » Fais pas ci, fais pas ça  » (avec un rappeur – mwouais)… Ils y sont tous, y compris l’intouchable  » Il est cinq heures, Paris s’éveille « , et surtout  » L’opportuniste « , qui placé à la demi-heure, fait véritablement décoller le concert : ici, Dutronc est absolument magnifique, parfait dans sa manière de balancer son harangue, mi-incisif mi-fendard.

Tout de même, aussi pépère soit la liste de tubes du jour, le groupe, constitué de quelques solides gachettes (Erdal Kizilcay directeur musical, Yannick Top à la basse…), la joue foncièrement rock, carré et bien balancé. Les lumières aussi, s’arc-boutant uniquement sur les noirs et blancs, sont très classe. Et puis – on a failli oublier -, il y a quand même la  » surprise  » du jour, avec Etienne Daho qui a fait le déplacement pour chanter  » Tous les goûts sont dans ma nature « .

Cela dit, une fois tout cela calé, on se dit que Dutronc n’a plus qu’à se laisser aller. En roue libre – où l’on insiste sur l’adjectif. Libre par exemple de démarrer à côté sur  » Les playboys « . Ou, entre deux feintes volontairement poussives (l’hommage  » de chèvre, évidemment  » à Gainsbourg), de se permettre les gaulloiseries de circonstances, que sont  » Merde in France (Cacapoum)  » avec sa chorégraphie pour balais, ou le toujours aussi délirant  » La compapadé « . Il y a aussi un danseur de claquettes qui ressemble à Lou Bega ou une naine déguisée en meneuse de revue, comme tout droit sortie d’un film de Fellini (Stéphanie Lhorset). Des petites notes d’étrange ou d’absurde, totalement gratuites.

En rappel, il balance son laïus habituel, tel l’oncle un peu beauf qui ne peut s’empêcher de sortir toujours la même vanne à la fin du repas de famille :  » Bon, les répétitions sont maintenant finies, on va pouvoir commencer le concert « . Et d’en effet ré-entamer  » Et moi, et moi, et moi « , d’abord seul à la guitare, puis rejoint par le groupe.

Dutronc fait partie de cette génération dorée, les baby-boomers qui n’auront jamais eu qu’à se pencher pour réussir. C’est encore ce qu’il continue à faire aujourd’hui. Cela pourrait être râlant, à le voir se contenter de recycler paresseusement ses scies sixties. Ce détachement, Dutronc l’a cependant toujours cultivé. Comme une manière de se dédouaner. De rappeler que tout cela est d’abord et avant tout une grosse blague, un gigantesque pied de nez. D’ailleurs, au bout des deux heures, force est de constater qu’on s’est en effet bien marré. Le public s’est amassé depuis un moment devant la scène. Histoire de voir d’un peu plus près le sexagénaire caustique, ses blagues à deux balles, ses pudeurs. Et son tunnel de chansons insubmersibles. Avant de rejoindre les coulisses pour de bon, il retourne un panneau sur lequel est inscrit  » A demain « , ultime trait d’humour qu’il doit être le seul à comprendre. Jusqu’au bout, Dutronc reste Dutronc. Et après tout, c’est ce qu’il fait toujours de mieux.

Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content