John Lydon/Johnny Rotten: « Ma vie est faite d’une lutte contre les institutions »

John Lydon, alias Johnny Rotten © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avant de se faire l’AB le 24 octobre, le turbulent John Lydon, alias Johnny Rotten, raconte le retour discographique de Public Image Ltd, les débuts des Sex Pistols, son amour pour le reggae et l’invention du pogo par Sid Vicious. Discussion transatlantique avec le King of punk.

20h40 en Belgique. Neuf de moins à Los Angeles, où il habite depuis plus de 20 ans maintenant. À l’autre bout du fil, John Lydon. La voix des Sex Pistols et de PiL. Homme au destin improbable, né dans la misère londonienne, que rien ne prédestinait à devenir l’une des légendes du rock et à se dorer la pilule à 57 piges sous le soleil californien. Issu d’une famille irlandaise très pauvre, aîné de quatre enfants, Lydon grandit dans le taudis sans salle de bains d’un quartier mal famé et n’est lavé qu’une fois par mois à l’eau froide dans une bassine. Enfant des rues, il contracte à sept ans une méningite qui amoche son regard, le rend amnésique et légèrement bossu. Renvoyé de l’école pour avoir écrit un poème sur un bébé mort d’avoir ingéré des pilules traînant sur une table de nuit, il commence à travailler le soir dès l’âge de dix ans et chasse les rats avec son père sur les chantiers pour de l’argent de poche pendant les vacances.

Ado, il écoute Alice Cooper, les Stooges, Bowie, Miles Davis, Captain Beefheart. Rejette déjà la religion, la monarchie et l’uniforme. Et rencontre au lycée un certain John Ritchie qu’il baptisera Sid Vicious. Repéré par l’associé de Malcolm McLaren, Bernard Rhodes, qui aime son t-shirt I Hate Pink Floyd, John Lydon intègre les Sex Pistols et devient Johnny Rotten (Johnny pourri), une référence à l’état de ses dents.

Des dents qu’il semble aujourd’hui serrer moins qu’avant. Discussion à bâtons rompus avec un type bavard et franchement sympa. Si si…

Qu’est-ce qui vous a décidé à sortir un nouvel album de Public image Limited l’an dernier?

J’ai toujours eu PiL en tête. Mais le label (Virgin), auquel je me suis retrouvé pieds et poings liés par un contrat interminable, m’a longtemps empêché de faire ce que je voulais. Il n’était pas prêt à m’aider et à me soutenir avant d’avoir récupéré le pognon que, considérait-il, je lui devais. Je ne pouvais rien sortir ailleurs. J’ai donc été privé de ce que j’aimais le plus: enregistrer des chansons et les jouer devant un public. Pendant deux décennies, j’ai dû trouver d’autres boulots. J’ai présenté des émissions sur la nature et réalisé de petits reportages politiques, tout en essayant de gagner assez de pognon pour pouvoir me libérer de ces obligations… Après, j’ai dû dégoter le fric nécessaire pour enregistrer notre disque et monter notre label. Ça a été un fameux challenge mais j’ai fini par retrouver mon indépendance. Je n’ai jamais rien entrepris pour arnaquer qui que ce soit. Je vais continuer à faire en sorte qu’il en soit ainsi. Et c’est ce que j’attends des autres. Je ne veux pas vivre avec des menteurs et des serpents. Je crois en la transparence: dis ton esprit et sois capable de justifier tes pensées. C’est ce qui me donne le droit d’être ici.

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Vous allez jouer à l’Ancienne Belgique dans un cycle dub (Dub be good to me). D’où vous vient votre amour pour le reggae? Il remonte à votre enfance dans le quartier londonien de Finsbury Park où habitaient de nombreux Jamaïcains?

Je joue partout où on m’invite tant que c’est financièrement possible. Je me suis intéressé au reggae dès un très jeune âge. Avant même que le dub jamaïcain apparaisse. J’ai grandi dans un quartier multiculturel. Je suis d’origine irlandaise. J’avais des voisins jamaïcains. D’autres turcs. Ça rend l’éducation musicale extrêmement saine. Ouvre l’esprit aux autres cultures. J’ai toujours aimé cette mixité. Peu importe la couleur de peau. Pas de place pour le racisme sur les terres d’Arsenal (le club de son quartier dont il reste un abonné, ndlr).

Vous et votre entourage en avez récemment été accusés?

J’ai été profondément choqué. Parle de ça à mes petits-enfants: ils sont jamaïcains! Ces accusations m’ont blessé et sont un incroyable non-sens. La presse peut être ignorante et pleine de venin. Ça a heurté ma famille, mes potes, mes voisins, ma culture… C’était sans doute destiné à me faire du mal ou à attirer l’attention. C’est ce qu’est devenu le monde moderne avec ses manipulations médiatiques. Même les autres groupes se montrent extrêmement jaloux et calomnieux. Tu dois garder tes distances, parce qu’on détruit le monde et les gens avec ce genre de rumeurs… Les médias ont encore plus de pouvoir qu’il y a 35 ans. Il me semble triste de se dire que le seul moyen de vendre des disques consiste à détruire l’image des autres. Nous ne sommes pas censés nous juger comme ça… La plupart des groupes d’aujourd’hui passent plus de temps à se répandre dans la presse qu’à jouer. C’est pour ça que leur musique est aussi merdique. Avant de lancer des accusations au hasard, qu’ils réalisent déjà qu’ils manquent totalement d’originalité.

Public Image Limited
Public Image Limited© DR

Vous êtes rattrapé par votre image?

Il y a un vrai malentendu. On regarde dans mon passé et on prétend que ma vie est faite de scandales. Non, très cher. Ma vie est faite d’une lutte contre les institutions. Aucune femme, aucun homme, aucun enfant n’est mon ennemi. Ils ne l’ont jamais été. Mais toute institution, toute organisation gouvernementale et religieuse l’est incontestablement. Je n’ai jamais recherché le conflit avec un public. Je voulais une interaction. Mes ennemis sont ceux qui se croient meilleurs que nous. Ceux qui essaient de manipuler notre manière de penser. Qui tentent de nous utiliser. Qui cherchent à nous plonger dans des guerres dont nous n’avons pas besoin et nous montent les uns contre les autres. Quand toutes ces dimensions se trouvent combinées, comme c’est le cas aux Etats-Unis dans le parti républicain, la politique et l’église deviennent le diable personnifié.

Vous arrivez à gérer en vivant à Los Angeles?

Oui. Tout le monde a droit à son système de valeurs. Mais quand on essaie de m’imposer des choses, je me cabre. Je n’ai jamais ô grand jamais dit à quelqu’un qu’il devait être ou penser comme moi. Je crois en une liberté totale d’expression, d’opinion, de style de vie… Mais dès que tu tentes de me contraindre avec la loi, j’ai toujours quelque chose à dire. J’ai d’ailleurs atterri plusieurs fois en prison pour cela. Los Angeles est plus ouvert d’esprit que Londres. En tout cas en ce qui me concerne. Quand je vivais en Angleterre, j’étais vraiment harcelé sans cesse par la police. C’était insoutenable. Je l’avais sur le dos une fois par semaine. Je savais que si je ne me taillais pas, on me mettrait des trucs sur le paletot. Encore aujourd’hui, chaque fois que je dois prendre l’avion, c’est l’enfer. J’ai droit à un traitement de faveur…

Vous faites quoi de vos journées à LA?

J’ai ma famille et mes amis dans le coin. Je lis beaucoup. Tout le temps. Un des trucs qui m’a beaucoup marqué récemment, c’est Les Nains d’Harold Pinter. Puis McAlpine’s Men de l’historien Ultan Cowley. J’écoute aussi pas mal de musique mais je trouve que ce qui se fait aujourd’hui n’est qu’une resucée souvent médiocre de ce qui a déjà été fait. Je ne sais pas qui je sauverais. Peut-être Vampire Weekend. Personne ne sonne comme eux. Les écouter me rend heureux.

Mais ce ne sont pas eux qui vont changer le monde…

La musique a toujours été une grande source de changement. Une alternative qui a permis à beaucoup de jeunes de penser autrement. De penser pour et par eux-mêmes en tant qu’individus. Ça n’arrive plus beaucoup aujourd’hui. Le manque de magasins de disques érode sa force. Je ne crois pas aux théories de la conspiration. Je pense que le business a juste été très mal géré. Guidé par l’appât du gain. Est-ce que la musique peut encore changer le monde? Oui et le live en est la force motrice. Je ne parle pas de ces concerts avec des danseurs et des light shows tape-à-l’oeil. Ce sont des négations affreuses de nos personnalités. Si tu craques pour tous ces spectacles flashy, je ne peux plus rien pour toi. Ils sont juste en train de te faire les poches. En tant que roi des punks, je peux te dire que je n’ai jamais voulu voir le punk devenir ce qu’il est devenu: un truc sans personnalité dont les gens reprennent les chansons en choeur. Le vrai punk est mort quand les maisons de disques se sont mises à signer des sosies… J’ai toujours pensé qu’il fallait être soi. Que les mecs qui imitaient niaient leur propre individualité. En même temps, les médias ont décidé de son image: un mec bourré, une veste en cuir et une crête. Les seuls qualificatifs que je lui attacherais moi, c’est ouvert d’esprit et progressiste.

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Quelles relations entreteniez-vous à l’époque avec le punk new-yorkais? Richard Hell, Johnny Thunders?

Ils étaient plus vieux que nous. Ils venaient tous de familles aisées et menaient un style de vie très différent du nôtre. Au niveau de la musique, ils étaient nettement plus inspirés par la poésie. Toute cette scène punk new-yorkaise du milieu des années 70 baignait dans les écrits de Rimbaud. Elle se voyait comme une espèce d’intelligentsia. Moi, je suis working class. Je parle de ce qui m’affecte. De ce que je connais, de ma communauté. J’admire un mec comme Ray Davies. Un formidable auteur. Il n’a jamais rien fait comme moi mais il m’a inspiré parce qu’il écrivait sur sa propre expérience. Ça a été une bonne leçon: « Parle de ce que tu sais. » Comme voix singulière, je craquais sur Roy Obrison, Bryan Ferry, Robert Plant… Des chanteurs de reggae aussi.

Vous avez peint la pochette du dernier PiL. Quand avez-vous commencé à vous exprimer à travers la peinture?

Très très jeune. Je me suis mis à lire et écrire à 4 ans. Ma mère m’a appris tout ça avant l’école. Etre dans un établissement catholique a été un sérieux problème. Les nonnes me regardaient tel un être démoniaque. Comme je savais déjà écrire et compter, je les énervais et elles me foutaient dans un coin de la classe. Après ma méningite, la musique, la peinture, l’art et ma mère m’ont aidé à retrouver la mémoire. Sans eux, j’aurais passé le reste de ma vie à ne pas savoir qui j’étais. Quand maman est morte, j’ai écrit une chanson pour elle. L’interpréter sur scène me brise le coeur. Elle me fait penser à mon père et à ma belle-fille Ari-Up (Slits) qui nous ont quittés depuis.

Les Sex Pistols (Johnny Rotten, Sid Vicious, Steve Jones et Paul Cook)
Les Sex Pistols (Johnny Rotten, Sid Vicious, Steve Jones et Paul Cook)© Bob Gruen

Que retenez-vous de Sid Vicious?

Sid était l’un de mes meilleurs amis. Je l’ai fait entrer dans les Sex Pistols et je le regrette. Il ne pouvait pas gérer la pression. C’était un mec rare et exceptionnel mais sourd et sans aucun sens du rythme. Cette pression l’a conduit aux drogues. Depuis ce temps-là, je me sens coupable de l’y avoir confronté. Je pensais qu’il pourrait y faire face mais j’aurais dû savoir. Il y en aura toujours des plus forts que d’autres je suppose… Je ne sais pas à quoi l’âme et le coeur de Sid l’auraient mené mais certainement pas à la musique. Oui, il a inventé le pogo. Comme il ne pouvait pas nous voir sur scène à cause des mecs qui étaient plus grands que lui dans la salle, il sautait sans arrêt pour nous apercevoir. D’autres types se sont mis à l’imiter. Et c’est devenu une danse.

Quelle a été l’importance de Malcolm McLaren dans le succès des Pistols?

C’était comme le cinquième membre du groupe au début. Mais un mec craintif qui avait peur de l’engagement et de ses conséquences. À la fin, il allait au-devant des faits, et c’est l’une des principales raisons pour lesquelles nous nous sommes séparés. Il y avait beaucoup de jalousie personnelle dans tout ça. Il était fort en communication. Intelligent. C’est ce qui me manque chez lui. Oublions les mauvais souvenirs, rappelons-nous des bonnes choses. Malcolm est quand même le mec qui m’a fait entrer dans les Pistols. La légende est vraie. J’ai débarqué et chanté au-dessus du Eighteen d’Alice Cooper qui passait dans le juke-box. Je n’avais jamais imaginé chanter. J’avais été à l’école catholique: si tu avais un semblant de voix, ils te plaçaient dans la chorale, mais ça signifiait être en contact direct avec les prêtres… Ne remercie pas les institutions religieuses. Ce sont elles qui ont créé Johnny Rotten. Même si ce n’était évidemment pas de manière délibérée, elles ont fait de moi celui que je suis.

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