Laurent Raphaël

Indignez-vous, qu’ils disaient

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Par Laurent RAPHAËL

Indignation. C’est le mot de la rentrée. Celui que les médias, français en particulier, font mijoter à feu vif depuis quelques semaines. Tout est parti d’un petit livre grain de sable venu gripper la machine à fabriquer de la résignation à la chaîne. Son titre, Indignez-vous!, ne fait pas mystère des intentions séditieuses de son auteur, Stéphane Hessel: réveiller les consciences chloroformées par les vapeurs toxiques de l’individualisme et de son carburant, l’ultra libéralisme. En 30 pages caramélisées à l’humanisme, ce galopin de 93 ans remet les pendules idéologiques à l’heure et énumère les injustices, du sort des Roms à celui des retraites en passant par le pouvoir démoniaque de l’argent, dont s’accommodent un peu trop facilement des citoyens à bout de souffle. Un cri salutaire d’autant plus recevable qu’il fait vibrer la corde de l’Histoire.

Fort de son passé de militant exemplaire, l’ancien résistant présente en effet les garanties nécessaires pour que ses aigreurs ne passent pas pour des caprices. Il n’a d’ailleurs pas grand-chose à gagner dans la bataille, sinon des palpitations, l’ampleur du succès de cette supplique choc (plus de 600.000 exemplaires vendus à ce jour!) ayant surpris tout le monde. Question de « momentum » comme aurait dit la philosophe Hannah Arendt.

L’acheter semble d’ailleurs être devenu, au-delà du snobisme, une manière de marquer son adhésion au mécontentement sur la tournure générale des événements qui lui sert de fondations. Comme un (dernier) avertissement avant de passer à l’action. On ne peut que se réjouir de voir un livre, ce média qu’on disait obsolète, aiguiser les appétits activistes des victimes du racket financier à grande échelle. Et féliciter ce grand-père libertaire d’avoir su synthétiser avec ses mots d’hier le mal être d’aujourd’hui.

Mais il ne faudrait pas oublier dans l’euphorie tous ces artistes qui n’ont pas attendu l’onction de ce patriarche énervé pour partir sur le sentier de la guerre. Les J.G. Ballard (Millenium People), les Masset-Depasse (Illégal), les Mathieu Larnaudie (Les effondrés), les Charles Ferguson (Inside Job), les Fabrice Murgia (Chronique d’une ville épuisée)… De films en spectacles, de livres en documentaires, ils tirent la sonnette d’alarme dans toutes les langues. Mais même s’ils visent juste, ils ne touchent pas toujours leur cible. Car comme le rappelle le sociologue Alain Touraine cette semaine dans Télérama, « non seulement les peuples ne se révoltent pas, mais ils en redemandent parfois ».

On touche là au mystère de la nature humaine qui épouse souvent la trajectoire du Coyote de Tex Avery courant à toute berzingue vers le précipice. Mais au moins, ces vigies nous aident à garder la tête hors de l’eau. Si le pétrole viendra un jour à manquer, ce ne sera jamais le cas des motifs d’indignation. Inutile donc de se priver de ce côté-là…

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