Transfert de particules

Les Particules élémentaires, roman phare de Michel Houellebecq, porté sur scène par Julien Gosselin. © SIMON GOSSELIN
Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Au théâtre, Les Particules élémentaires condense en quatre heures, en musique et en vidéo, l’imposant roman de Michel Houellebecq. Un coup de poing du jeune prodige français Julien Gosselin, asséné à Avignon en 2013 et repris actuellement en tournée.

Eté 2016. Julien Gosselin, même pas 30 ans, défraie la chronique au festival d’Avignon. Avec sa compagnie Si vous pouviez lécher mon coeur, il propose 2666, une adaptation du roman monstre (plus de 1.300 pages dans l’édition Folio de Gallimard) de l’auteur chilien Roberto Bolaño. Durée de la représentation: onze heures. Une audace. Un triomphe. Gosselin n’en est pas à son coup d’essai. Trois ans plus tôt, toujours dans la cité papale, il a fait couler l’encre en montant un autre roman de taille, Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq (lire l’encadré). Un choix comme une évidence. « J’ai découvert Michel Houellebecq à l’adolescence. Je devais avoir 15, 16 ans, c’était à l’époque de la publication de Plateforme (NDLR: 2001)« , nous confie Julien Gosselin, qui a commencé par lire ses formes brèves, ses poèmes, ses récits courts, avant de dévorer toute sa production. « Ses textes me touchaient de manière extrêmement directe, comme si j’avais trouvé quelqu’un dont la vision des choses correspondait à la mienne. Avec cette forme de légère tristesse, mais aussi – un élément qu’on oublie souvent – un humour qui me fait hurler de rire. Houellebecq a aussi cette manière particulière d’évoquer la question des zones périphériques: les hypermarchés, les bretelles d’autoroute, les villes de moyenne importance… Moi qui viens de Calais, ça me touchait beaucoup, c’était proche de mon expérience du paysage. Et puis, sa vision de la sexualité m’interpellait, même si je ne peux pas dire que j’avais une vision tout à fait étendue du sujet quand j’ai commencé à le lire. »

Pour Gosselin, il n’y a pas photo: Houellebecq est le plus grand écrivain français, quoi que l’on ait pu dire de son « absence de style », de son « style blanc ». « Cette question a beaucoup été posée au début des années 2000, elle l’est beaucoup moins maintenant parce que Houellebecq a justement déplacé quelque chose à l’intérieur de la littérature francophone, voire européenne. De fait, maintenant, on rencontre de plus en plus d’écrivains qui tentent d’écrire comme lui, et qui n’y arrivent pas forcément. Je ne pense pas qu’on puisse parler d’une absence de style le concernant. Ne serait-ce que le balancement rythmique de ses phrases, son utilisation des points-virgules, des italiques… ce sont des marqueurs tellement forts, immédiatement identifiables. »

Sexe romantique

Sorti en 1998, Les Particules élémentaires mêle le parcours de vie de deux demi-frères, Michel et Bruno, nés à la fin des années 1950, plus ou moins abandonnés par leurs parents hippies, l’un devenant un scientifique à la base d’une théorie révolutionnaire en génétique, l’autre, professeur de littérature, poursuivant une quête sexuelle aussi frénétique que désespérée. « Les Particules était le roman le plus large thématiquement, précise Julien Gosselin, mais surtout, stylistiquement, il réunissait des poèmes complets, de grandes parties narratives, des scènes dialoguées plus classiques, le présent, le passé et le futur, et de très beaux personnages. Il y avait autant de grosses difficultés que de choses que je cherchais, extrêmement excitantes. »

Parmi les écueils à éviter, la profusion des scènes de sexe chez Houellebecq « n’a pas du tout été problématique à traiter », selon les mots mêmes du metteur en scène. « Ces scènes ne sont pas montrées dans le spectacle, on utilise simplement le texte, qui est assez direct, assez puissant et même souvent assez beau. Quand on parle de Houellebecq, on a toujours l’impression qu’il s’agit de sexe un peu hard, un peu dégueulasse, un peu violent, mais quand on relit ses romans, on se rend compte qu’il s’agit majoritairement de scènes extrêmement romantiques, douces, qui, si elles échouent, se terminent dans une sensation de grande tristesse et qui, si elles réussissent, se terminent dans une profonde joie. De manière très naïve, on pourrait dire que Houellebecq ne détache jamais la question de l’amour ou des sentiments de la question du sexe. On est face à des moments qui sont peut-être davantage les moments de beauté du spectacle que les moments de choc. »

A voir absolument, avant de découvrir l’été prochain l’autre projet de Julien Gosselin, une adaptation de trois romans de l’Américain Don DeLillo. « Ça parlera de terrorisme et de littérature. » Tout un programme.

Les Particules élémentaires, du 5 au 9 décembre, au Théâtre national, à Bruxelles. www.theatrenational.be Les 6 et 7 janvier 2018, au Singel à Anvers. www.desingel.be

Belgitude

Autre roman de l'écrivain français, Plateforme, mis en scène par le Néerlandais Johan Simons.
Autre roman de l’écrivain français, Plateforme, mis en scène par le Néerlandais Johan Simons.© PHILE DEPREZ

Avant la version de Julien Gosselin, Les Particules élémentaires avait été adapté au théâtre en 2004 par Johan Simons, metteur en scène néerlandais qui a longtemps travaillé en Belgique (il est d’ailleurs toujours directeur artistique du NT Gent). Simons n’en est pas resté là avec Houellebecq puisqu’il a monté ensuite Plateforme, en 2005, et Soumission (Onderworpen en néerlandais) en 2016, soit un an à peine après la sortie du roman, et ce dernier en collaboration avec le metteur en scène Chokri Ben Chikha, du collectif gantois Action Zoo Humain. Ces deux spectacles ont d’ailleurs été présentés en diptyque, avec le même noyau d’acteurs (les intrépides Steven Van Watermeulen, Marijke Pinoy, Zouzou Ben Chikha et Sara De Bosschere) évoluant dans un monceau de tables de jardin cassées, de matelas et de plantes en plastique. Décapant!

Mais Julien Gosselin n’est pas non plus le premier Français à transposer Houellebecq sur les planches. Sa compatriote Aurore Fattier, formée à l’Insas à Bruxelles, a lancé sa version de La Possibilité d’une île – un (quasi) seul- en-scène porté de main de maître par Jean-Benoît Ugeux – au festival Emulation à Liège en 2010. Sans doute pas un hasard si c’est hors de l’Hexagone que l’on s’est risqué à porter le sulfureux écrivain star au théâtre, Julien Gosselin affirmant de son côté que sa « culture théâtrale n’est pas française, elle est d’abord belge et flamande »: « Etant de Calais, quand j’étais adolescent, j’ai vu les spectacles de Jan Fabre, Jan Lauwers, Guy Cassiers, Johan Simons… qui étaient d’une radicalité, d’une modernité, d’une beauté formelle et plastique vraiment plus fortes que partout ailleurs en Europe. Tout cela bien avant de voir le travail des metteurs en scène français. Il y a quelque chose qui me parle culturellement dans la manière dont ces artistes narrent leur histoire, Ce sont des liens intimes assez inexplicables. »

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