Visite à domicile chez The National

Matt Berninger: "Nous avons appris à lâcher prise, à laisser venir les choses." © Graham MacIndoe
Didier Stiers Journaliste

Parmi les groupes très attendus de cette rentrée 2017, The National livre un nouvel album et ne déçoit pas. Petit précis de fabrication, du côté de New York, avec Matt Berninger & co.

Hudson, en bordure du fleuve du même nom. À deux heures de train de la Grosse Pomme, direction Albany, arrêts à Poughkeepsie, Kingston, Catskill… Hudson et ses 6.700 âmes, plus ou moins, sa succession de boutiques de meubles design, son petit look Nouvelle-Angleterre. Et sa « Basilica ». Le genre d’endroit qui rappelle un peu le Rockerill, témoin vacillant d’un riche passé industriel, ressuscité en « arts and performance venue » par quelques passionnés, parmi lesquels Melissa Auf der Maur, l’ex-bassiste de Hole et des Smashing Pumpkins.

Ces 14 et 15 juillet, Matt Berninger et ses camarades y ont monté une Guilty Party. Une fête pour la bonne cause, intitulée d’après un morceau de leur nouvelle galette, en compagnie d’une poignée d’invités qui chauffent le public chacun à leur tour dans tous les coins de la salle. Au centre, une scène circulaire sur laquelle The National grimpe finalement et que le groupe va occuper deux bonnes heures durant, en point d’orgue -ou en guise de libération, c’est selon- d’une journée de promo « familiale ».

Ce 14 juillet, Sleep Well Beast, le septième album studio des Américains, est joué dans son intégralité et dans l’ordre des plages. Avec, ici et là, l’intervention de l’un ou l’autre de ces invités. Mouse On Mars, notamment. Comme souvent avec Berninger & co, le set gagne très vite en intensité, celle des chansons « habitées » dans lesquelles les nouvelles compos se fondent et captivent irrémédiablement. Day I Die, notamment, dernier single en date à l’heure d’écrire ces lignes… L’endroit est plus intime que les prés de festivals ou les arènes dans lesquelles on les a déjà croisés, alors on apprécie et on ressent d’autant plus. Le final est fait des classiques que sont Bloodbuzz Ohio, I Need My Girl, Pink Rabbits et Fake Empire, puis, en rappel, Mister November et Terrible Love.

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Familiales, les heures de promo préalables? Vraiment! Plus tôt dans la journée, au Rivertown Lodge où elles débutent, même Ben Lanz et Kyle Resnick, les deux musiciens additionnels, fidèles accompagnateurs en tournée depuis des lunes, y vont de leur contribution. En même temps, rien d’étonnant à cela dans la mesure où ils sont intervenus à divers stades de la confection de Sleep Well Beast. « J’ai travaillé sur les textures des parties vocales de Matt, sur des harmonies », explique le second. Une fois encore, des cuivres parsèment les nouveaux morceaux. Mais peut-être moins que sur Trouble Will Find Me, un disque pour lequel Kyle et Ben avaient aussi écrit tous les arrangements. « À Berlin, raconte Ben Lanz, j’ai passé une semaine en studio avec mon synthé, et c’est un vrai casting de musiciens qui a défilé. L’approche a été moins classique, le processus plus long. Mais c’était fun. » Fun, mais peut-être aussi utile voire essentiel pour se réinventer quelque peu, après six albums sortis depuis 2001. « Pour ne rien perdre du plaisir qu’on peut avoir à jouer en live, ça aide, oui. Mais certainement pour leur bonheur en tant qu’auteurs ou compositeurs! »

Bryce et Aaron Dessner ont opté pour un balcon à l’étage du Lodge. Au grand air. Enfin, du grand air qui donne sur la grand-rue… Le temps qu’une bétonnière motorisée comme un dragster s’en aille gronder plus loin, et l’on évoque avec les jumeaux cette envie de se réinventer. Éventuelle? Aaron: « Depuis Alligator, Boxer, High Violet et Trouble Will Find Me, il y a eu une sorte de progression mais quelque part, l’accent était toujours mis sur la construction précise des morceaux. Le travail de composition s’accomplissait en fonction de ce que Matt faisait, vocalement parlant. Si quelqu’un venait avec une proposition, Matt partait écrire un texte, nous le lisions ensemble, il retournait écrire éventuellement en fonction des remarques et ainsi de suite… Cette fois, nous voulions essayer quelque chose de plus collaboratif, nous donner plus d’espace, de possibilités. Donc oui, nous avons ressenti le besoin d’un processus plus ouvert, qui pouvait peut-être nous mener à des résultats différents. »

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Il faut dire aussi que le studio d’Aaron a été construit pendant cette période. Son agencement, on l’imagine, a dû aider également à changer la donne. « Oui, bien sûr. Chacun se retrouvait en permanence impliqué dans le processus d’enregistrement. Alors qu’avant, on passait par des maquettes qui étaient envoyées à Matt, pour qu’il puisse chanter dessus, etc. Jusqu’à un certain point, ça a bien fonctionné, mais je suppose que ça a commencé à ne plus nous intéresser. Et que nous avons voulu expérimenter autre chose. »

Comment amener un peu de fraîcheur dans un groupe qui existe depuis quasiment 20 ans? Sans changer de style? « Nous avons pris quelques mesures drastiques, et puis opté pour des choses toutes simples. Chacun, personnellement. En nous questionnant: que puis-je amener à table, sans forcer, sans essayer d’être ce que je ne suis pas, tout en continuant à faire ce pour quoi je suis doué? » Sur le nouvel album, les titres les plus « neufs » dans cette perspective sont Sleep Well Beast, Walk It Back, I’ll Still Destroy You ou même The System…, estime Aaron. « Et plus encore que cela, l’implication de Matt a été différente aussi. Je pense qu’il était plus concentré que jamais sur ce disque, dans une excellente disposition d’esprit créative. »

À cause des gosses

Matt Berninger… Exalté sur scène! Et la fibre politique en dehors: Fake Empire a même servi à Obama lors de sa campagne de 2008, dans un clip intitulé Signs of Hope and Change. Le chanteur est peintre à ses heures, chez lui à Venice Beach. Aime avoir un verre de vin à portée de main. Goûte la cigarette améliorée, histoire de faciliter la catharsis que représente l’écriture. On raconte que lui seul sait ce que signifient ses textes. Seraient-ils devenus moins cryptiques sur Sleep Well Beast? « Peut-être, avance Bryce Dessner. Plus directs, oui, même si on y trouve encore plusieurs dimensions. Il peut être romantique mais aussi politique… Par le passé, il a parfois regretté ne pas être allé plus en profondeur, ou alors nous devions le pousser un peu. Ici, je n’ai pas ce sentiment. Je pense aussi que notre envie de tout essayer, musicalement parlant, l’a inspiré. »

Band of brothers...
Band of brothers…© Graham MacIndoe

On retrouve le chanteur et les Devendorf, l’autre fratrie qui compose The National, au bar du Lodge. Berninger est volubile. Les deux autres s’en amusent. « Le principal changement, avance-t-il, c’est que nous avons appris à lâcher prise, à laisser venir les choses. À ne plus nous soucier du cheminement classique et obligatoire dans l’industrie de la musique. Peut-être est-ce arrivé parce que nous avons survécu. Nous avons survécu assez longtemps pour trouver un label qui ne nous a pas baisés. Pas encore… » Scott le bassiste et Bryan le grand batteur se marrent. « Bon, nous n’avons pas l’intention de les quitter, sauf si on arrive un jour à tout faire nous-mêmes. Mais… Ce que je veux dire, c’est que nous avons réussi à éviter beaucoup de pièges. Et appris combien il est facile de tomber dedans. Nous n’avons jamais été obligés de faire « l’album suivant » parce que le précédent avait cartonné. Bon, peut-être que Boxer (2007) était « l’album suivant » d’Alligator (2005), mais ce n’est pas non plus comme si Alligator avait été un putain de carton! » Les deux autres se re-marrent.

Notez, il n’a pas tort. Contrairement à bon nombre de groupes propulsés du jour au lendemain dans la lumière, The National a été découvert tranquillement. Lentement. « Nous avons même été craignos pendant un moment! » Pour la petite histoire, la leur démarre par exemple en même temps que celle des Strokes, mais tous ont alors déjà un bagage, accumulé ailleurs qu’à Brooklyn où The National a éclos. Au début des années 90, du côté de Cincinnati, Bryan et Aaron ont déjà dix ans de bouteille, Scott et Matt avaient joué ensemble dans un groupe à la Pavement. « On a aussi passé du temps sans groupe. Et puis il y a eu New York. The National est né parce que je vivais là-bas dans un loft, j’avais de la place, Bryan a amené sa batterie, et ainsi de suite. Brooklyn, c’est surtout une étiquette qui nous a bien servi. Mais pendant longtemps, nous sommes restés en marge de nombreuses scènes, y compris celle-là. »

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Ensuite… Leur faim s’est accrue avec chaque nouvel album, commente encore Matt Berninger. « Mais personne ne se demandait où nous serions dix ou quinze ans plus tard. Ah si, mon frère, dans son film… » Pas encore vu Mistaken for Strangers? C’est le moment, c’est l’instant! Mais trêve de digression. Sa façon d’écrire aurait-elle changé, aujourd’hui que le groupe fonctionne quelque peu différemment? « Je travaille sur un laptop, avec GarageBand. C’est ce qui explique pourquoi je chante comme ça: le plus souvent, il y a un enfant qui dort à proximité, ou alors je suis dans le bus de tournée et je ne peux pas faire de bruit… Ce que vous entendez, c’est le produit de quatre ans passés à essayer d’écrire des trucs avec des bébés dans les parages! » Familiale, qu’on disait!

The National, Sleep Well Beast, distribué par 4AD. ****

En concert les 30 et 31 octobre à Bozar (sold out).

Au bord de l’eau

Visite à domicile chez The National
Sur la pochette de Sleep Well Beast, le pignon d’un bâtiment se découpe dans le ciel nocturne. Quelques silhouettes se détachent derrière une fenêtre qui éclaire vaguement cette scène fantomatique… Matt Berninger et les siens ont toujours marqué une petite préférence pour les atmosphères en noir et blanc. Ici, la chose est amusante: cette façade et sa fenêtre sont celles du Long Pond Studio, où l’album a en grande partie été enregistré. En fait, nous sommes chez Aaron Dessner. Lui habite de l’autre côté de la pelouse. En contrebas de son terrain de jeu tout neuf, où se mélangent les planches et les plaques de métal récupérées du hangar qu’il était auparavant, un étang nous renvoie l’image d’un banc de cumulus. Le « long pond » en question…

Ça change du petit garage converti de Brooklyn où sont nés High Violet et Trouble Will Find Me! Ici, la live room et la control room aux senteurs de bois ont été fusionnées en un même grand espace. « C’est pratique quand on fait de l’overdubbing ou des voix,commente Jonathan Low, l’ingé son qui s’improvise guide d’un jour. On peut communiquer directement, sans devoir chipoter avec les casques. Et puis, pour écouter ce qu’on vient de faire, c’est génial! » Dans un coin, posé sur son tapis, le kit de batterie. Derrière, quelques caisses claires s’empilent sur un tom… « Oui, là par contre, pour des instruments comme ceux-là, quand on passe la journée tous ensemble, ça rend un peu dingue. On a installé quelques parois mobiles pour contrôler le son, mais ça reste bruyant quand même! »

Visite à domicile chez The National

Le noir antique du piano droit d’Aaron contraste avec la masse des câbles multicolores qui s’échappe des consoles. Dans l’entrée, au-dessus du « catering », un étage a été aménagé. « On a installé des lits. Quand nous enregistrons, les Devendorf et Matt peuvent loger ici, Bryce va chez son frère. Et ça donne une super chouette petite communauté. On peut aller piquer une tête dans l’eau, faire des barbecues… » Ou aller méditer dans la cabine. Pour l’heure, elle ressemble à une chambre à coucher. Il paraît que Matt aime y passer du temps quand il n’est pas requis au micro.

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