Vampire Weekend: l’interview-bilan de l’année

Ezra Koenig © DR/Ezra
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec Father of the Bride, Vampire Weekend a sorti l’un des albums marquants de 2019. Interview-bilan de l’année, où il est question de Bernie Sanders, de judaïsme et des sermons de Kanye West…

Retour gagnant. Après six années d’absence, Vampire Weekend sortait en mai dernier Father of the Bride. Un quatrième album qui, tout en traçant des pistes inédites pour le groupe américain, confirmait sa formule pop à la fois distanciée et touchante. Pas de quoi chambouler le paysage musical actuel, mais bien tourner en boucle sur les plateformes et dans l’autoradio. Father of the Bride se retrouve d’ailleurs nommé deux fois aux prochains Grammys (meilleur album alternatif et album de l’année)…

De quoi alimenter une petite discussion avec le leader de la formation, Ezra Koenig, juste avant son concert bruxellois dans une AB remplie à ras bord. Où l’animateur de Time Crisis, podcast aussi drôle que spirituel, commente l’année de Vampire Weekend et de la pop en général, voire au-delà…

La mariée était en noir

« Avec Father of the Bride , franchement, on ne partait pas gagnant. Vampire Weekend a été absent pendant six ans, la composition du groupe a changé (le départ de Rostam Batmanglij, NDLR ), et le genre auquel on nous associe le plus souvent -l’indie-rock- n’a peut-être jamais été aussi peu « à la mode » qu’aujourd’hui. Ajoutez à cela le fait que j’ai tendance à vouloir un peu tout changer à chaque disque… Je nous voyais vraiment comme un avion en train d’essayer d’atterrir en pleine tempête. Au final, on a réussi à se poser sans encombres. Mais on avait probablement 90% de chances de se crasher. Bon, allez, soyons réalistes, disons 70%… »

Album solaire pour une époque chaotique?

« On nous dit souvent qu’il y a dans nos morceaux un contraste entre des textes sombres et une musique joyeuse. Comme si c’était une attitude délibérée. Du genre: « Oh attendez, je vais un peu m’amuser et semer la confusion, en mélangeant deux choses opposées juste dans le but de surprendre l’auditeur ». Ce n’est pas comme ça que je vois les choses. Pour moi, cette combinaison, c’est précisément la manière dont la vie se déroule. Au quotidien, on oscille en permanence entre la profondeur et le superficiel, entre le bonheur et la tristesse… Je sais que l’on est parfois enclin à dépeindre les artistes comme évoluant dans une bulle très sérieuse, réflexive, capables de mettre en lumière la vraie réalité des choses. Personnellement, je dirais plutôt l’inverse: ils sont le plus souvent complètement déconnectés. J’ai vu des célébrités, connues pour proposer une musique quasi uniformément sérieuse et « intense », faire les coquets dans des boutiques de fringues de luxe de New York ou Los Angeles. Pour moi, c’est cela qui est étrange. J’espère en tout cas que les fans de Vampire Weekend qui me croisent dans la rue ne sont pas décontenancés. Parce qu’au bout du compte, j’aime penser que, même si elle peut taquiner, notre musique reste avant tout honnête. »

La messe de Kanye West

« J’avoue que je n’ai écouté son nouvel album qu’une seule fois. Mais j’ai aimé suivre tous les débats qu’il a suscités. Pas mal de gens trouvent qu’il avait perdu toute pertinence. Mais si c’était vraiment le cas, on ne continuerait pas d’en parler autant, si? (sourire). Tout le monde a son avis dessus! Je me dis que si un jour, au cours de notre passage sur Terre, la musique de Kanye devenait sans intérêt, on ne s’en rendrait probablement compte que quelques années plus tard, quand on aurait fini de la commenter… »

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La kippa de Mark Ronson

« D’un côté, je suis né dans un famille juive, avec une approche très laïque, libérale, et humaniste de la religion. De l’autre, j’ai grandi en Amérique, pays majoritairement chrétien. Ces cultures religieuses ont toujours été les deux plus importantes dans ma vie. Quand on a tourné le clip de This Life, c’était le weekend de Pessa’h, la Pâque juive. On s’est dit que c’était peut-être l’occasion d’inclure une séquence autour de la table de fête. Cela ne veut pas dire que le morceau en question interroge spécialement le judaïsme. Il met plus en scène le côté « mondain » de la religion que sa dimension mystique, philosophique. L’idée centrale reste celle d’un repas commun, mais qui aurait pu être Thanksgiving ou le réveillon de Noël. C’est une excuse pour rassembler du monde. Et voir Mark Ronson (l’un des auteurs du morceau, NDLR) enfiler la kippa (sourire) . Ce qui est marrant, c’est qu’on a filmé dans le désert, à Palm Springs, pas très loin du festival de Coachella, durant lequel Kanye West a justement dirigé son « service » du dimanche… »

« Je suis un solitaire, mais j’aime aussi les gens »

« Je suis en train de lire The Age of Surveillance Capitalism (ou comment l’ère digitale réduit les individus à une accumulation de données exploitables par les entreprises du Net, NDLR). Dans son intro, Shoshana Zuboff compare la modernité de la révolution industrielle, et celle qu’a engendrée le Web. Dans le premier cas, les gens ont quitté la campagne pour remplir les usines tout en préservant une forme d’identité prémoderne. Dans le second, la notion d’individu est complètement chamboulée, à la fois célébrée et confinée par le capitalisme. Cela me parle parce j’ai l’impression qu’il y a là quelque chose de très humain: cette envie de faire partie de quelque chose de plus grand, et en même temps la peur de s’y perdre complètement. Dans le clip de This Life, le personnage principal -un ami musicien à nous- joue le rôle d’un chauffeur Uber. Quand au milieu du repas, il dit: « Je suis un solitaire, mais j’aime aussi les gens », c’est quelque chose qu’il a improvisé sur place. Cela résumait parfaitement cette ambiguïté entre le fait d’être attiré par un grand projet commun, et la peur de se faire dévorer. »

2020, aux urnes, citoyens!

« Lors de l’élection précédente, on a participé à la campagne de Bernie Sanders. Je pense toujours que ce serait bien pour le pays qu’il soit élu. Je ne dis pas qu’il n’y a pas d’autres personnes valables. Et dans 15, 20 ans, quelqu’un comme Alexandria Ocasio-Cortez, pourrait être également une candidate intéressante. Mais aujourd’hui, je ne vois pas d’autres personnes qui, comme Sanders, ont une expérience législative longue de 30 ans, passée à combattre les lobbys, notamment militaires. C’est ce qui le rend si différent. »

Vampire Weekend, Father of the Bride, distribué par Sony. ****

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