Laurent Raphaël

Trois leçons à tirer des bons chiffres de l’industrie musicale

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Le secteur de la musique aurait-il fini de manger son pain noir? Les chiffres publiés cette semaine par la branche musicale de BEA, l’association qui chapeaute l’industrie du divertissement en Belgique, vont en tout cas dans ce sens, avec une croissance annoncée de 7% du chiffre d’affaires en 2016, tous supports confondus, pour un montant de 117,88 millions d’euros.

De quoi confirmer l’embellie (5%) déjà constatée l’an dernier. Et ranger au grenier une décennie de déclin brutal causé pour l’essentiel par le basculement non ou mal anticipé vers le numérique. Faute de solution pratique, les utilisateurs se sont servis là où se trouvaient les fichiers audio, c’est-à-dire sur les sites de partages illégaux à portée de clic. Le long passage à vide a laissé des traces sur l’industrie, ici comme ailleurs. Les majors, qui ont vu partir en fumée du jour au lendemain une bonne partie de leurs recettes, ont été contraintes de se restructurer avant de lancer la contre-offensive sous la forme de nouvelles activités en marge de la distribution. L’organisation de concerts notamment.

La bouée de sauvetage ne vient pourtant pas des ténors historiques du secteur mais bien de nouveaux acteurs qui ont su opportunément proposer un service qui réponde aux besoins dans le nouveau contexte digital. A savoir les plateformes de streaming payant comme Spotify, Deezer ou Apple Music, dont le business explose littéralement: +64,3% en 2016. Les abonnements à ces juke-box ultimes ont généré près de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires l’an passé. Si l’on ajoute à cette manne les téléchargements -malgré leur recul de 16%-, la part de marché du numérique s’élève désormais à 46%. Ce qui veut dire que s’il a perdu de sa superbe, et continue de s’effondrer, le CD engrange toujours 55,53 millions d’euros (-10%), soit 47% du gâteau total. Ce serait donc aller un peu vite en besogne d’envoyer les faire-parts. Paradoxe d’un monde en pleine mutation, c’est le dernier standard technologique qui a vu le jour, la plateforme de streaming, et le plus ancien support physique, le vinyle, qui tirent leur épingle du jeu. La galette confirme sa bonne santé, avec un chèque de près de 6 millions d’euros (5% de parts de marché) en 2016. On n’est clairement plus dans le simple effet de mode fourré à la nostalgie mais bien dans un créneau commercial à part entière.

Au-delà des chiffres, quelles leçons tirer? Au moins trois.

Un. Le streaming, vu au départ comme une version low cost de son pendant physique, s’est installé durablement dans le paysage, reflet d’un changement de perception à l’égard de la dématérialisation de la culture. Deux logiques qu’on pensait incompatibles semblent devoir cohabiter à l’avenir: l’une de consommation immédiate, la plus massive, et qui passe par les plateformes; l’autre plus patrimoniale, de niche, et qui vise à satisfaire le besoin persistant de posséder l’objet de son désir. Il faudra sans doute attendre encore quelques années avant que le marché se stabilise, tout indiquant (et notamment les taux de pénétration du streaming dans un pays comme la Suède (90%)) que les abonnements à la musique illimitée vont continuer à progresser chez nous, au détriment du CD, dont le rôle se confondra avec celui du vinyle aujourd’hui.

Deux. Même avec l’embellie, on est encore loin de la période faste d’avant les années 2000. Un âge d’or qui appartient sans doute définitivement au passé. D’autant que le butin est à partager entre plus d’intermédiaires qu’avant, les nouveaux venus -Spotify et consorts- dictant en plus leur loi à mesure qu’ils prennent le contrôle sur le flux musical. Et quand on sait que les artistes sont payés au lance-pierres dans ce système, la victoire a un petit goût amer. Sans même parler de la concurrence féroce de l’ogre YouTube. Encore du streaming, gratuit celui-là. Ou plutôt payé par la pub. Sauf que la plus populaire des plateformes musicales, surtout auprès des jeunes, ne verse que des cacahuètes aux ayants droit, retranché derrière son statut d’hébergeur et non d’éditeur.

Trois. Les nouvelles technologies accentuent la fragmentation des goûts. Il suffit de voir les albums du top 10 wallon en fonction des supports. Les chevauchements sont quasi inexistants, sauf pour le seigneur des seigneurs, David Bowie. Variétoche urticante pour le CD (Dion, Renaud…), électro de kermesse pour le streaming (Dimitri Vegas, Lost Frequencies…) et valeurs sûres pour le vinyle (Bowie, Cohen…). Chaque public a son support de prédilection. Comme autant de continents séparés par des océans…

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