Triggerfinger, heavy ménapiens

Ruben Block, chanteur de Triggerfinger: "La première fois où je me suis retrouvé à jouer avec Paul et Mario, il s'est passé quelque chose d'inexplicable. Une vibration fucking cool." © PHILIPPE CORNET
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Power trio d’artillerie lourde mais aussi de blues séminal et d’intonations sentimentales, le flandrien Triggerfinger fête 20 piges d’existence volcanique, coffret stylé à l’appui. Décryptage in vitro.

L’histoire commence avant Triggerfinger, une soirée du début des années 90 à Ostende. B.J. Scott, pas encore juré awélacsangamerwicain seriné dans The Voice, est juste une chanteuse de blues ombilical. Une incongruité au programme: le guitariste. Bloc de granite rasé qui mouline des trucs comme si le blues était la transmission directe de spasmes tectoniques, de bruits peu définis et d’égarements de l’âme. L’instrumentiste en question, Paul Van Bruystegem, débite des monstruosités de guitare, modeste jouet épileptique dans ses larges bras. Un quart de siècle plus tard, en février 2019, Lange Polle, 60 piges -c’est le même-, partage notre bout de banquette du Depot de Leuven avant un concert célébrant la double décennie de Triggerfinger. Là, aux Pays-Bas et lors de quatre soirées -archi-complètes- au Roma d’Anvers. Changement de paradigme: Paul s’est -officiellement- rangé de la guitare et s’occupe désormais de la basse. Un peu comme si Miles Davis avait quitté la trompette pour le sax. Mais pourquoi? « Une question de circonstances, répond dans un beau français le gentil géant. J’ai été approché par les deux autres musiciens de Triggerfinger et l’un d’entre eux était déjà guitariste, donc voilà. »

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Unique, fun, débile

L’explication, pas fausse, tient donc aux circonstances. Explicitées par Ruben Block, chanteur, guitariste et compositeur principal de Triggerfinger, un mois plus tard dans son élégante maison anversoise. « La première fois où je me suis retrouvé à jouer avec Paul et Mario Goossens, le batteur, dans la petite pièce de répétition de ce dernier, malgré les pains, les approximations, le chaos, il s’est passé quelque chose d’inexplicable. Une vibration fucking cool. On s’est regardés tous les trois et on a compris qu’entre nous, c’était unique, fun, débile. Et puis la façon de jouer de la basse de Paul était vraiment particulière: il l’utilisait comme une guitare, avec des effets slide, en en soutirant toutes sortes de sons inhabituels genre aoragroww. » Ruben et Mario sont cadets d’une douzaine d’années de Paul, et ont des backgrounds différents. Ruben, moustachu fashion en fin de quarantaine -sa femme bosse chez Dries Van Nooten- vient du milieu skate de Lier. Avec un CV posant un amour large des musiques: rockabilly, hip-hop, rock’n’roll, garage, hardcore, le tout passé en ghetto blaster lors de virées anversoises adolescentes. Ajoutez-y le pedigree du batteur Mario -qui a notamment joué pour Hooverphonic et Noordkaap- et celui bluesy de Lange Polle, et vous obtenez l’un des succès belges majeurs des dernières années: Triggerfinger. Ils ont fait Forest National -en décembre 2014- et sont presque aussi populaires en Belgique et aux Pays-Bas qu’en France, tournant partout en Europe continentale, de la Norvège aux coins de l’Est particulièrement enamourés de leur heavy blues. Avec des inattendus comme le hit-reprise en 2012 d’un morceau de Likke Ly, I Follow Rivers, plus séduisant que l’original. Improvisé pour une émission radio hollandaise live, le traitement du morceau -sifflement, guitare et rythmiques amies- va s’emballer pour finir par se vendre à plus d’un demi-million d’exemplaires.

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Son meilleur motherfucker

Comme dans toute saga, rien n’est simple. Par exemple, lorsque Lange Polle s’effondre en sortant de scène le soir de lancement du second album, Faders Up, au printemps 2007. Ruben: « Ça tombait d’autant plus mal qu’on venait de sortir un nouveau disque et qu’on allait partir en tournée. Mais Paul avait un sérieux problème d’alcool et de came. Paul est le genre de gars qui fréquente les extrêmes, donc il a accepté de partir en désintoxication. » Pendant neuf mois, Triggerfinger travaille donc avec un musicien wallon, Renaud Mayeur, avant le retour de super-Paul, calmé. Un sujet de chanson, Ruben? « Je ne sais pas (silence), j’essaie de ne pas penser d’où vient l’inspiration. Peut-être qu’en tentant un titre politique, je ne vais faire que de la merde, et inversement, en tentant une chanson banale, elle aura au final un vrai sens politique ». C’est précisément là que se loge l’intérêt musical de Triggerfinger: vu de loin, le groupe belge peut ressembler à un cousin bâtard de Queens of the Stone Age, mais un supplément de doute et de belgitude dessine un profil plus personnel. Le fait d’avoir le cul entre différentes chaises -blues, heavy, pop- est désormais, selon Ruben, « un avantage moral qui s’illustre lorsque en quelques semaines, on joue à Werchter et au Blues Peer, le même concert, et que ça fonctionne des deux côtés ». Signe d’un groupe qui peut à la fois être invité à la journée-festival des Stones à Hyde Park en juillet 2013, ouvrir pour un championnat du monde de boxe à Berne et assumer la première partie de Muse à Moscou. « Je crois qu’il faut rester dans une position vulnérable, accepter ses erreurs musicales qui peuvent aussi amener d’autres sentiments cool, et puis rester extrêmement confiant en soi, être son meilleur motherfucker. Entre ces deux points, tu trouveras une forme de vérité. » Avec depuis la sortie de l’album Colossus en 2017, un quatrième membre en scène: le guitariste gantois Geoffrey Burton, brillamment entendu chez Arno et Bashung. Reste plus que Paul laisse tomber sa basse et revienne à la six cordes. Pour rire, hein. Quoique.

Triggerfinger – TF20

Distribué par V2 Records. Un coffret reprenant trois CD et quatre vinyles. ****

Triggerfinger, heavy ménapiens

Jusqu’ici, on pouvait considérer que le meilleur coffret d’un artiste belge, était l’impeccable Total de Daan, publié en 2014. Mais ce combiné trois CD-quatre vinyles du trio flamand concurrence même Monsieur Stuyven sur son terrain de prédilection: le layout. Aussi bien dans la spectaculaire image fractionnée ornant le box que dans le soin apporté au bouquin d’accompagnement, en anglais-néerlandais, collectionnant les photos perspicaces, drôles et, simplement, de grande qualité. Du coup, la musique, généreuse, agressive, animale -notamment sur le disque live- se décrypte, se dompte et finit par confirmer l’existence de ce qu’il faut bien appeler, à l’ancienne ou de maintenant, un putain de rock’n’roll.

En concert le 10/05 à Luxembourg, le 08/06 à Werchter Boutique et le 18/08 au Nandrin Festival.

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