Thomas Fersen, show lapin

Thomas Fersen: "Je n'ai pas le souci des modes, je vais en toute liberté. Se dégager de l'époque est facile, il suffit de couper les tuyaux." © LAURENT SEROUSSI
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Fidèle à son sens aigu de la dérision, Thomas Fersen propose C’est tout ce qu’il me reste, bestiaire de chansons où l’amour emprunte aussi des poses animales. Rencontre.

Le douzième album du quinqua Thomas Fersen est juteux, drôle et raconteur. Rayon musiques, il pousse le piston vers un agréable élargissement instrumental entre pop, folk, musette, tous réjouissants. Côté textes, l’auteur du classique Le Bal des oiseaux, premier album de 1993, dresse une galerie de personnages qui semblent tous rebondir vers lui. Même si la chanson, comme on le sait, est une farceuse, mélangeant biographie, fiction et fantasmes rêveurs. Dans ce disque plus que sympathique, Fersen collectionne les histoires amoureuses, peu triomphantes. C’est donc en sujet marrant au ton défait, si pas loser, que l’auteur-compositeur, fils d’une infirmière et d’un employé de banque, construit sa boutique des petits désastres du coeur. Qui passe forcément par sa façon de chanter, lymphatique et traînante, théâtrale et mélancolique, avec laquelle Fersen continue de remplir les salles de la francophonie. Longtemps après avoir eu le premier choc viscéral, celui d’entendre les voix à la radio. « Dans mon adolescence, j’ai beaucoup écouté la radio, beaucoup France Inter, notamment les émissions de Claude Villers et Patrice Blanc-Francard. La voix est quelque chose de mystérieux parce que tu imagines quelqu’un, qui d’ailleurs ne correspond jamais au physique réel. Donc, ce principe de narration me permettait d’échapper à mon travail scolaire: j’écoutais tout ça avec une oreillette, en cachette, le soir dans mon lit. Chez nous, on choisissait ses mots, mon père surtout. Plus le langage était fleuri, plus j’aimais ça. »

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Pelisse trop grande

Comment Fersen reçoit-il les mots dans un contexte vampirisé par les réseaux sociaux, le rap et les SMS lapidaires? « Je me déplace entre les gouttes et me débrouille pour me faufiler dans mon époque. Mais je n’ai pas de temps linéaire: en ce qui me concerne, les temps sont plutôt parallèles. Donc, je n’ai pas le souci des modes, je vais en toute liberté. Se dégager de l’époque est facile, il suffit de couper les tuyaux. » Le décalage de Fersen passe aussi par la lecture et ce recul qui permet de proposer un regard sans aucun doute différent du commun des chanteurs francophones actuels. L’artiste dévore des bouquins, quitte à parfois les abandonner en cours de lecture, excepté les ouvrages du Martiniquais Raphaël Confiant, racontant la cohabitation des Noirs, Chinois, Syriens amenés dans les Caraïbes par les Français pour la culture de la canne. Cette langue, le créole, a peut-être essaimé ses couleurs chez l’hexagonal Fersen, refusant « ce pessimisme noir, le fait de se morfondre, de la France actuelle ». « C’est sans doute la fin d’une civilisation. Que fait l’orchestre lorsque le Titanic coule? Eh bien, il joue ». De fait, la notion de jeu, de métaphore, de conte pour grands enfants, s’incarne pleinement dans C’est tout ce qu’il me reste. En pochette, Thomas pose vêtu d’une défroque de (faux) lapin géant, allusion à la chanson Envie de ne rien faire: « Il y est question d’un bourdon qui déambule avec son manteau de lapin, et c’est devenu un peu l’idée générale du disque, celle d’un quinquagénaire qui se retourne sur sa vie et ses frasques, supposées être celles d’un chaud lapin. Il porte donc une pelisse trop grande pour lui, comme une réputation exagérée, et avec accablement puisque c’est un peu la somme de ses péchés. Une sorte de roi déchu, sans doute finissant. Un peu comme notre civilisation, peut-être… » Sourire.

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Sexuel-Textuel

Dans Les Vieilles, titre qui ouvre l’album, Fersen raconte l’attirance d’un lycéen pour l’une de ses aînées de bahut: « Elle avait 18 ans et moi, j’en avais 16/Elle me trouvait trop jeune/Et pour la mettre à l’aise/Je lui ai dit moi j’aime bien les vieilles ». Décalage amoureux encore dans Le Vrai Problème, où une femme riche gave son fiancé fauché de cadeaux: « L’inconvénient, c’est sa fortune, elle veut tout le temps me payer le resto/Pour moi qui n’ai jamais une thune/Qui met toujours le même manteau/C’est un obstacle insupportable ». Ou dans une troisième variation des rapports charnels défectueux, qui se trouve être aussi la chanson titulaire du disque, Fersen s’y montrant éminemment pragmatique: « Elle est autoritaire/Elle veut que j’enlève mon slip/Avec ces courants d’air/Je vais attraper la grippe/Elle dit que si j’ai la grippe/Faut que je me mette au lit/Et que je lui donne mon slip ». Peut-on parler de tragicomédie sexuelle, monsieur Fersen? « Tragicomédie mmmmh… Le personnage, comme tout saltimbanque, est quand même superficiel, il glisse un peu là-dessus. Personnellement, j’ai beaucoup de goût pour la démystification de l’état de chanteur (sourire) qui a été magnifié pendant des années. D’une façon un peu ridicule à mon goût. Le personnage est maladroit avec les femmes et pas tout à fait de son époque. C’est une façon de le rendre cocasse, pittoresque. Un farfelu qui essaie de draguer. Il y a des choses tout à fait autobiographiques et d’autres de l’ordre de la satire qui, comme on le sait, a toujours une part de vrai. »

Thomas Fersen – « C’est tout ce qu’il me reste » ****

Distribué par Pias. En concert le 31/01 à Comines, le 01/02 au 140, à Bruxelles.

Thomas Fersen, show lapin

Délicieux, voilà le qualificatif désuet qui habille bien les nouvelles histoires de Fersen. « Celles d’un personnage un peu crasseux. Dans les années 60, on disait que nous, Français, ne changions de slip qu’une fois par semaine. » Fersen a cuisiné dix chansons avec le juste niveau de cruauté nécessaire pour ne pas dissoudre l’humour dans la pose acide. Face à la « neurasthénie générale (de la France) », l’antidote fonctionne à plein rendement dans des titres comme Mange mes poux, Mes parents sont pas là ou encore La Mare. Un sans-faute gondolant ayant le mérite d’amener sa breloque instrumentale dans une dérision héritière d’Alphonse Allais et du Canard Enchaîné.

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