The xx, de l’autre côté du miroir

Jamie, Romy et Oliver (The xx): des amis pour la vie? © ALASDAIR MCLELLAN
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cinq ans après leur dernier album, The xx revient, sinon transformé, en tout cas différent. Moins sombre, mais toujours à fleur de peau. Vulnérable, mais audacieux. Flou et brillant à la fois.

On imagine ce que cela lui coûte: assise dans le coin salon de la suite d’un célèbre hôtel bruxellois, pas loin de la Grand-Place, Romy Madley Croft enchaîne les interviews. Elle est seule. Avec ses deux autre compagnons de The xx, Oliver Sim et Jamie xx (né Smith), ils se sont réparti les tâches et le marathon presse. Au fond, cela ne change pas grand-chose: le trio partage une même réserve, pour ne pas dire une certaine timidité -sans que cela ne dérive jamais jusqu’à la froideur. On parlera plutôt d’humilité: encore aujourd’hui, au moment de sortir leur troisième album, intitulé I See You, le groupe semble avoir parfois du mal à croire qu’il n’est pas arrivé là un peu par accident…

La machine promo du nouveau disque a été lancée il y a un moment déjà. Fin novembre déboulait ainsi la vidéo du premier single, On Hold. Un « teenage clip » comme on n’en fait plus depuis les années 90. Avec des plans de skate, des pom pom girls, des garçons en singlet, le tout sur fond de house party alcoolisée. Même le coup de fil qui ouvre la vidéo est vintage: passé d’une cabine publique à un combiné fixe carré, à grosses touches… Il fait penser à un autre appel téléphonique, tout aussi rétro: celui que passe Adele dans le clip de Hello, tube monstrueux de 2015.

Ce n’est pas le seul point commun entre la chanteuse et The xx. Ils partagent en effet à peu près le même âge (28 ans), ont fréquenté la fameuse Elliott School de Londres, et ont démarré quasi en même temps leur carrière, se croisant dans les couleurs de leur label commun (à l’époque, la chanteuse de Someone Like You pensait encore qu’ils étaient des stagiaires…). Bien plus encore, leur succès respectif semble pareillement nager à contre-courant de l’époque. Adele comme The xx ont beau être fans de r’n’b et de hip hop, chacun à sa manière est une anomalie dans la pop actuelle. Une énigme.

Chez The xx -le plus anonyme des noms de groupe-, cela passe notamment par une discrétion, qui n’est pas loin de l’effacement -où même l’annonce de l’homosexualité des deux figures de proue du groupe est passée comme un non-événement. Dès le départ, cette (non-)attitude a parfaitement collé à leur musique. En 2009, âgés d’à peine 20 ans, les jeunes gens sortaient un premier album insulaire, aux évidences pop plongées dans le givre: basses polaires et guitares claustrophobes, soutenues par des programmations électroniques rachitiques. Le genre de morceaux autistes qui ne semblaient pas destinés à être écoutés au-delà du cercle des intimes. Et pourtant… Auréolé d’un Mercury Prize, le disque se vendra à quelque 2,7 millions d’exemplaires. En 2012, l’album Coexist enfonçait le clou, suivi d’une longue tournée. Depuis, cependant, The xx avait marqué le pas. Après quelques réglages et au moins autant de remises en question, il est aujourd’hui de retour aux affaires.

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Code couleurs

Avec I See You, le groupe propose un changement de cap. Lâché en éclaireur, le titre On Hold illustre assez bien la nouvelle donne: plus enlevée et solaire. Tournée au Texas, loin du fog londonien, la vidéo les montre pour une fois souriants, amusés. Sur le plateau du Saturday Night Live, The xx a même fait mieux: là, en direct, on a pu voir Oliver Sim et Romy Madley Croft s’essayer à ce qui ressemblait bien à des pas de danse! Hésitants, maladroits, et parfois gênants à regarder. Mais bien réels…

On ne change jamais complètement. Mais on peut évoluer. Sur Replica, tiré du nouvel album, The xx se demande: « Is it on our nature to be stuck on repeat? » Sans doute fallait-il en effet modifier un peu les règles et faire évoluer le décor… « Après Coexist, c’est vrai qu’on s’est sentis un peu coincés », admet Romy Madley Croft. « Il fallait que nous sortions de notre zone de confort. » Mais encore? La jeune femme détaille: « Sur les albums précédents, par exemple, tout ce que nous enregistrions en studio devait pouvoir être rejoué live. Donc il fallait que les choses restent relativement simples. On a continué dans cet état d’esprit sur Coexist. Aussi parce qu’on était très conscients de ce qu’on était, de ce que l’on pouvait attendre de nous. On s’est accrochés à une identité qu’on avait finalement construite de manière très intuitive, sans trop intellectualiser. Cette fois-ci, on a voulu se donner plus d’espace et de libertés pour créer de nouvelles choses. »

Par exemple, en quittant leur cocon londonien pour essayer de nouveaux horizons. Ils sont ainsi partis enregistrer à New York, Los Angeles, Reykjavik ou encore à Marfa, au Texas (là où a été filmé le clip de On Hold). On imagine la scène d’ici: les trois nerds made in UK, au look vaguement gothique, au milieu des cow-boys… Romy laisse échapper un rire discret: « En réalité, le lieu ne correspond pas tout à fait à la carte postale que vous avez en tête. Marfa est une ville très créative, avec une scène artistique extrêmement dynamique (liée notamment à l’art minimaliste; par ailleurs, Larry Clark y a également tourné Marfa Girl, NDLR). C’est vraiment un endroit très intéressant. Et puis, il y a tout simplement la lumière, les ciels immenses, les couchers de soleil… Cela ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. »

The xx, de l'autre côté du miroir
© DR

Pour changer la musique, il faut donc changer les habitudes. A cet égard, c’est Jamie xx, l’architecte sonore du groupe, qui a montré la voie. Depuis le début de l’aventure, le jeune producteur électronique a toujours aimé batifoler de son côté. A coups de remix -pour Florence + The Machine, Adele, Radiohead, ou Gil-Scott Heron (l’album We’re New Here). Ou comme producteur, pour le rappeur Drake ou Alicia Keys. Son propre disque solo va marquer une étape supplémentaire. En 2015, il sort en effet In Colours. Le pli dance est pris: sur la pochette, au noir et blanc de son groupe, succède un nuancier de couleurs flashy. Au départ, l’exercice ne devait être qu’une parenthèse. Sauf que la rumeur va rapidement enfler: nomination aux Grammys, tournée à rallonge, etc. Madley Croft et Sim assisteront au décollage de loin. « On avait déjà commencé à travailler ensemble sur le nouveau disque. Tout roulait assez bien. Mais le disque de Jamie est arrivé dans la foulée. Il a eu pas mal de succès, ce qui a amené des sollicitations, des concerts, etc. Du coup, on bossait toujours sur les morceaux, mais de manière plus fragmentée. Pour Oliver et moi, ce n’était pas simple. Cela étant dit, ce n’était pas complètement une surprise. Jamie a toujours été DJ, et a toujours produit des choses à côté de The xx. In Colours n’est pas tombé du ciel. En fin de compte, j’étais content que mon pote puisse s’exprimer de son côté. Parfois, il a peut-être pu se sentir coupable de ne pas pouvoir être toujours là. Mais je sais qu’il a fait pour le mieux. Et puis, cela nous a permis de prendre du temps… »

Hit machine

Après des années de course effrénée, aspirés par le tourbillon du succès, cette pause forcée n’était finalement pas de trop. « D’une certaine manière, les deux premiers disques ont un peu représenté nos années d’université. C’était très gai, terriblement excitant. Mais ce n’était pas plus mal de pouvoir se poser au bout d’un moment, et devenir plus adulte. » De son côté, Romy va surtout en profiter pour aller faire un tour du côté de l’usine à hits, à Los Angeles. Le but: participer à une série de sessions d’écriture avec quelques-uns des cadors de la pop actuelle. Des auteurs dont les noms ne diront pas forcément toujours grand-chose, mais qui sont responsables de la plupart des mégatubes de ces dernières années. « J’ai pu rencontrer et travailler avec des producteurs comme Benny Blanco (Rihanna, Katy Perry, Justin Bieber, Ed Sheeran, etc., NDLR), Ryan Tedder (membre de OneRepublic, auteur pour Beyoncé, Madonna, Taylor Swift, U2, Ariana Grande, etc., NDLR) ou Robin Hannibal (moitié du duo Rhye, producteur pour Kendrick Lamar, Jamie Woon, ou… Selah Sue, NDLR). Ce dernier est même devenu un ami. Il m’a pas mal rassurée alors que j’étais très nerveuse. Tout à coup, je me retrouvais toute seule, à travailler avec des gens que je ne connaissais pas. Je ne pouvais pas me cacher. »

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Question tout de même: qu’est allée faire Madley Croft dans cette galère? Avec sa manière de composer à l’ancienne, en autarcie quasi complète, se fixant pour objectif de coucher ses sentiments dans des chansons hyper intimes, la pop d’auteur de The xx s’est toujours placée à des années-lumière des tubes fabriqués à la chaîne par des auteur mercenaires. « J’écoute la radio, j’adore les gros hymnes pop. J’avais envie d’en savoir plus, de découvrir qui les réalisait, comment… Je précise aussi que ceux que j’ai rencontrés avaient tous énormément de respect pour la musique. Avant de penser à glisser un maximum de hits dans le Billboard, elle restait leur première obsession. Même s’ils pouvaient avoir parfois une approche très mathématique de la chanson. Le fait est que cela m’a appris énormément de choses. » Y compris pour The xx? « Disons que j’ai fait le tri. Je n’ai gardé que ce qui m’intéressait. Et, au final, je sais que ce qui me plaît le plus, c’est d’écrire des chansons avec mes amis… En outre, je me suis rendu compte qu’on ne suivait quasiment aucune des règles qui étaient censées vous amener un tube pop. Ce que l’on fait, c’est en écouter beaucoup, puis en donner notre propre version, de manière très naïve. » Jusqu’ici, cela a plutôt bien fonctionné…

The XX, I See You, distribué par XL Recordings. ****

The xx, de l'autre côté du miroir

Dès le titre Dangerous, qui ouvre ce troisième album, The xx donne le ton: cuivres sautillants, beat appuyé, basse quasi dance… Jamais le trio n’a sonné aussi léger et primesautier. Dans la foulée, Say Something Loving persiste et signe en samplant la soft pop californienne seventies des Alessi Brothers, tandis que, plus loin, le single On Hold cite le I Can’t Go For That de Hall & Oates. Soit la rencontre de deux univers a priori opposés. Voire contradictoires? La sauce prend pourtant. Où l’audace n’est pas tant dans le choix de la référence, ultrasamplée, que dans la nonchalance et la décontraction avec lesquelles The xx l’embrasse. Certes, aussi relax soit-il, le trio n’est toujours pas près de lancer la prochaine farandole. Mais en ouvrant les fenêtres, ils ont su créer un courant d’air frais dans leur musique, quitte à céder ici et là à leurs penchants les plus mélos (Brave For You ou Replica qui sonnent presque comme du Adele). En seulement deux albums, The xx avait réussi l’exploit, devenu rare, de proposer une identité musicale claire. Il était cependant temps de s’en éloigner un peu, avant qu’elle ne devienne trop étouffante. Mission accomplie.

En concert les 1er et 2 mars à Forest National.

Tout ne fut pourtant pas limpide. Si I See You respire l’assurance et une nouvelle légèreté, sa réalisation a pu connaître des moments plus douloureux. Le groupe explique ainsi comment les agendas de chacun ont distendu leurs liens. Ce n’est pas tout. Sur Pitchfork, Oliver Sim raconte encore comment l’alcool l’a aussi éloigné des autres. Amis d’enfance, les trois pensaient leur relation indestructible. Erreur. « Je connais Oliver depuis que j’ai trois ans. On a rencontré Jamie quand on en avait onze. Quand vous passez la plus grande partie de votre vie aux côtés des mêmes personnes, vous pensez que c’est naturel. Sauf qu’à un moment, avec le temps et la distance, la relation change. C’est très déstabilisant. Et effrayant. » Jusque-là, la musique leur a servi à communiquer, entre eux et avec l’extérieur. Désormais, elle ne suffisait plus. Pire: pour continuer à en faire, il allait falloir parler, remettre les choses à plat. Se dire les choses les yeux dans les yeux. C’est aussi comme cela qu’il faut comprendre le titre de leur nouvel album. « Comme toute relation, il faut y consacrer du temps, de l’attention, et de l’amour. Aujourd’hui, on parle davantage, on s’ouvre plus aux autres. » Et cela s’entend.

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