The Kids ont 40 ans: « Je n’aime pas ce que le punk est devenu, son étroitesse d’esprit »

"Je n'aime pas ce que le punk est devenu, son étroitesse d'esprit. À la base, c'était une explosion de créativité. Maintenant, tu n'as plus qu'un style de musique, une façon de s'habiller et de se couper les cheveux..." -Ludo Mariman, leader des Kids (à droite) © Michel Hakim
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Il n’a plus toutes ses dents mais le punk, cette année, a 40 ans. C’est aussi l’âge des Kids, chez nous ses plus illustres représentants. Rencontre anniversaire.

Basic Fit d’Audenarde. C’est dans le hall d’entrée d’une salle de sport moderne (une chaîne low cost tout de même) que Ludo Mariman nous a fixé rendez-vous. Leader des Kids, plus grand groupe belge de l’histoire punk, qui soufflera ses 40 bougies à l’AB le 6 février, Ludo l’Anversois habite désormais dans le Hainaut et soigne ses 61 ans. « Jamais je n’aurais imaginé que cette aventure dure aussi longtemps. Mon état d’esprit à l’époque, c’était plutôt live fast and die young. Mais je suis toujours là et je ne vis plus aussi vite qu’avant. Avec l’âge, si tu veux rester en condition, tu n’as pas le choix. Tu dois faire de l’exercice. Fumer moins. Calmer la boisson. »

Ludo Mariman va bien. Merci pour lui. Quant à ses Kids, programmés au festival ATP en avril, ils n’ont jamais eu autant la cote qu’aujourd’hui. Ils ont même quelque part accédé au rang de groupe culte. « A l’étranger, pour les jeunes punks, on est des légendes. On a beaucoup tourné à l’international ces dernières années. C’est un peu comme si on perçait enfin. Maintenant. Après 40 ans. »

Le secret de leur tardif succès? « On est l’un des derniers groupes de cette époque encore en vie. Et puis, on a toujours la niaque. Beaucoup de spectateurs, quand ils viennent nous voir, se disent déçus par la plupart des punks des seventies (souvent des Anglais) toujours en activité. Forcément. Ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils sont gros et gras. Pas du tout affûtés. Ils transpirent le stéréotype et défoncent des chambres d’hôtel. Tant pis si les proprios sont de charmants petits vieux. J’ai juste envie de leur dire: arrêtez tout ça bande de bâtards arrogants. Vous feriez mieux d’aller boire une pinte dans un pub et d’y rester. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Mariman s’est calmé. Assagi. Mais il ne garde toujours pas sa langue en poche. Il mollarde même, à juste titre, ses héros les Sex Pistols avec qui il a partagé une affiche des Fêtes de Lokeren en 2008. « J’avais toujours considéré les Pistols comme le groupe punk ultime. J’adorais les paroles empoisonnées et la personnalité de Johnny Rotten. Il n’avait peur de rien. Là, il avait juste l’air d’un personnage de dessin animé à la télé hollandaise. Steve Jones devait peser 200 kilos et tu ne pouvais pas les approcher… Très peu pour moi. »

Fils et petit-fils de docker, Ludo commence à travailler au port d’Anvers dès l’âge de seize ans. « A l’époque, tu avais une carte rose quand ta famille y bossait. Et tu étais dans les premiers embauchés quand il y avait du boulot. Un drôle de système. » Bon milieu de terrain au style, dit-il, très british, il rêve de devenir footballeur professionnel et évolue en réserve à l’Antwerp quand, à 18 ans, on le convainc de signer en D3 à Zwarte Leeuw. « Cette année-là, le matricule 1 a eu tellement de blessés qu’il a fait monter des juniors dans le noyau A. Mon frère, Frank, a rejoint les premières alors qu’il avait trois ans de moins que moi et il a défendu les couleurs de l’Antwerp pendant presque toute sa carrière. Il a même joué une fois avec les Diables rouges. Il s’est d’ailleurs cassé le bras… »

Gamin, Ludo, qui a grandi avec les Beatles et les Rolling Stones, admire George Best, la première rock star du foot moderne. Mais il se fascine pour Lou Reed dès qu’il le voit à la télé avec ses cheveux blonds et ses lunettes noires. « Je me suis pris une claque et j’ai appris à jouer de la guitare à l’armée. Pendant mon service militaire. Les autres ne faisaient que des reprises mais moi, dès que j’ai su enchaîner quelques accords, j’ai commencé à écrire des morceaux. Après Lou, j’ai découvert le Velvet Underground et ses pop song sales. LE groupe punk des années 60… »

Anvers et contre tout

« Bassiste de douze ans cherche groupe. » Mariman a 20 balais quand il rencontre les frères De Haes via une étonnante petite annonce publiée dans l’hebdomadaire Humo. « Mon cousin m’avait parlé d’un bassiste de douze piges génial. Ça devait être le même. Alors je suis parti sonner à sa porte. On n’avait pas de GSM dans le temps. Il avait laissé son adresse. Je revois encore ce petit homme m’ouvrir. »

Ensemble, avec Eddy, le frangin batteur de Danny, ils formeront The Kids après avoir fait du très mauvais Velvet, dit Ludo, sous le nom de Crash. « Ado, je partais souvent à Londres pour le foot. J’allais voir des matchs à Chelsea, West Ham, Tottenham. Je n’étais pas supporter d’un club en particulier. J’avais quinze ans. Je prenais l’avion à Deurne le samedi matin. Je faisais du shopping. J’assistais à une rencontre. Et je rentrais le soir. En vieillissant, j’ai commencé à rester pour le week-end. A aller voir des concerts. Et un beau jour, je suis tombé sur Eddie and The Hot Rods au Marquee. L’énergie qui s’en dégageait et la relation avec le public m’ont bluffé. Je suis rentré et j’ai dit aux autres: je sais ce qu’on va faire. Les Ramones qui sortaient leur premier album déclaraient dans Humo: « On ne sait pas jouer mais ce n’est pas un problème. » C’était parfait. On pouvait s’en sortir à trois. On a composé des chansons courtes. Sans solo. Et on s’est mis à répéter. Le reste appartient à l’Histoire… »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Une histoire qui a, forcément, le sens de la provocation et le naturel frondeur. « On a donné nos premiers concerts à Anvers et on s’est mis à insulter le public. En ville, c’était l’époque du rhythm’n’blues et du jazz. Des morceaux longs et prétentieux. On gueulait: « Vous êtes des trous du cul! Vous vous prenez pour qui? » Quand j’avais vu Yes et Genesis, gamin, je m’étais dit qu’il fallait être sacrément doué pour faire de la musique. Mais avec le punk, tu avais juste besoin d’une scène et de savoir jouer quelques accords. »

Ludo est particulièrement attiré par son esprit Do It Yourself. Son doigt d’honneur à l’establishment. « Tu n’avais pas besoin de la société. Tu devais juste te bouger. L’époque était très colorée. Tu faisais tes vêtements toi-même. Tu déchirais tes T-shirts et tu en rattachais les morceaux avec des épingles de sûreté. C’était une période fourmillante créativement parlant. Les gens lançaient leur magazine, leur maison de disques. Ce n’était pas no future. C’était vivant. Pétillant. Avec de la distance face à une société terriblement ennuyeuse… »

Alain Rageno les repère lors d’un concert. Bluffé par cette énergie, ce bassiste avec un instrument plus grand que lui, il leur propose d’enregistrer une démo. Puis, les fait signer chez Phonogram. « On est entrés en studio. On a enregistré live le premier jour. Leo Caerts (chef d’orchestre pour Will Tura, NDLR) a mixé le lendemain. Et aujourd’hui, c’est un classique… « Comment avez-vous obtenu ce son? », nous demande-t-on souvent. Qu’est-ce que j’en sais moi? On a juste joué. »

« Quand je me promenais à Anvers à l’époque, j’étais souvent contrôlé par la police. Certains bars refusaient de me servir. » -Ludo Mariman, leader des Kids (2e à gauche)© Michel Hakim

Crachats, insultes et culs nus…

I Don’t Care, Money Is All I Need, Fascist Cops, Bloody Belgium ou encore Do You Love the Nazis: les titres des chansons qui secouent leur premier album donnent le ton… « Au début, on jouait plus en Wallonie qu’en Flandre. Je pense que c’est dû à la situation économique de l’époque. Les régions ouvrières sont plus punks que les régions nanties. Une question d’anti-establishment. On le sent fort en Italie aussi où on croise souvent des gens qui n’aiment pas cette société où tu es obligé de suivre les clous et le chemin qu’on a tracé pour toi. L’école, le boulot, le mariage, les enfants… Ceux qui ne veulent pas de ça ont plusieurs alternatives. Le punk est l’une d’entre elles. »

Dans les années 70, en Belgique, il s’agit d’une relativement petite communauté. A Anvers, il y a deux bars. Le Match Club et le Cinderella qui n’ouvre que le week-end et à minuit… « On entretenait aussi de chouettes contacts avec la scène bruxelloise: Chainsaw, les Mad Virgins, Hubble Bubble. Roger Jouret était un bon ami. On s’entraidait pour trouver des concerts. Pendant quelque temps, je n’ai plus eu de nouvelles. Et puis, je l’ai vu sauter sur Ça plane pour moi. J’ai tout de suite repéré que ce n’était pas sa voix… »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Ludo se marre. Comme lorsqu’on cite le journal à sensation Blik qui conseilla aux mères de garder leurs filles à la maison quand les Kids étaient dans les parages. « J’avais adoré ça. Au début, on a eu un public très hostile. Mais ça ne nous faisait pas peur. Pour moi, c’était un challenge. Je montrais mon cul et je gueulais: « C’est ce que vous êtes: remplis de merde. » On était provocants. Les one-two des soundchecks, on les remplaçait par des shit, fuck you. On crachait bien sûr. Puis, on était arrogants. On pouvait encore choquer les gens à l’époque. Aujourd’hui, pour y arriver, tu dois être bien trop extrême. »

Après dix ans de méfaits, six albums dont un live enregistré avec le studio mobile des Rolling Stones et une dizaine de singles dont le hit There Will Be No Next Time, les Kids mettent la clé sous le paillasson en 1985. « On était devenu un simple groupe de rock’n’roll comme il y en avait des milliers. Je ne nous voyais plus d’avenir. Cette histoire n’avait plus de sens. J’écrivais des ballades. J’ai voulu voir où elles allaient me mener et je me suis lancé en solo. J’ai eu des bonnes critiques mais ça ne s’est jamais énormément vendu. En 1995, un Parisien est venu frapper à ma porte pour une interview. Et il m’a supplié de nous reformer. Dans les années 70, on avait juste joué une fois à Paris, une fois en Allemagne. Les frontières étaient fermées. Il n’y avait pas Internet. Alors, quand il m’a dit qu’on avait des fans partout dans le monde, je ne voulais pas le croire. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

En 1996, pour leurs 20 ans, les Kids reprennent vie. Ils jouent pas mal à l’étranger mais Danny et Eddy, qui bossent dans une compagnie des eaux, finissent par lâcher l’affaire. Ludo continuera avec le guitariste Luc Van de Poel (membre du groupe depuis 1978) et un line up changeant. Les Kids donnent leur première tournée américaine en 2004 (elle a fait l’objet d’un DVD) et sortent l’année d’après un EP, Freedom Liberty Democracy. « On y a mis beaucoup d’argent et d’énergie mais ça n’a pas très bien marché. L’industrie a changé. Puis, les gens veulent entendre nos vieux morceaux et je n’ai aucun problème avec ça. Si je devais écrire de nouvelles chansons pour les Kids, j’essaierais d’être le jeune Ludo à nouveau. Et je tenterais de m’imiter. Ce n’est pas bon de s’accrocher de cette manière au passé. »

Mariman préfère s’agripper au présent. « En Angleterre, on dit souvent qu’on ne peut sortir de la working class que par le football et par la musique. J’ai essayé les deux et j’ai eu de la chance. Mon frère est retraité et moi je joue toujours. »

LE 27/02 À DE CENTRALE (GAND), LE 02/04 AU TRIX (BORGERHOUT), LE 20/07 AU GROOT VERLOF (LEUVEN), LE 22/10 À L’ATELIER ROCK (HUY)… www.thekidspunk.eu/gigs.htm

Punk’s not dead…

Buzzcocks

The Kids ont 40 ans:
© Ian Rook

Fondés par Pete Shelley et Howard Devoto qui quitta le groupe avant même l’enregistrement de son premier album pour créer le projet post-punk Magazine, les Buzzcocks sont sans doute les punks anglais des années 70 à avoir le mieux vieilli. Leur incroyable collection de tubes fait encore le bonheur de festivals comme le Primavera. Et les Mancuniens sortent toujours des disques. S’arrêtant encore régulièrement de par chez nous. S’il ne devait en rester qu’un…

The Damned

The Kids ont 40 ans:

Les Londoniens à qui l’on doit le premier single punk britannique de l’Histoire (New Rose) n’ont plus sorti de véritable album depuis So, Who’s Paranoid? en 2008 mais les Damned, pas si maudits que ça, jouaient encore en 2012 à La Louvière et sont notamment annoncés cette année au très médiatisé festival Coachella. Le documentaire The Damned: Don’t You Wish That We Were Dead a été présenté l’an dernier à South By Southwest. Neat neat neat…

The Undertones

The Kids ont 40 ans:

Après seize longues années d’absence et de silence, les Undertones sont réapparus en 1999 avec un nouveau chanteur, Paul McLoone, pour remplacer Feargal Sharkey. Les Nord-Irlandais ne se sont plus arrêtés depuis mais n’ont rien pondu du calibre de leurs débuts. Le 15 février sortira (en anglais) l’autobiographie du bassiste Michael Bradley. Son nom? Teenage Kicks: My Life as an Undertone.

The Stranglers

The Kids ont 40 ans:

Punk ou pas punk? Certains l’ont accusé d’avoir pris le train en marche et d’avoir profité de la locomotive pour signer son premier contrat avec une maison de disques. En attendant, le groupe de Jean-Jacques Burnel, qui a touché à de nombreux courants, est l’un des rares apparentés au mouvement (avec les UK Subs) à n’avoir jamais vraiment cessé d’exister. Il était encore au Depot, à Leuven, en novembre dernier.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content