The Feather, pop cocoon
The Feather, pop dans la tradition cocoon et harmonies, est un solo rêveur signé Thomas Médard, musicien de Dan San et d’une mélancolique jeunesse.
Thomas habite Amercoeur, bout de colline qui observe les toits inégaux de Liège. Dans un appart logé en dessous de la maison du frère aîné: premier indice d’une histoire de famille et de refuge. « Je suis né à La Citadelle à Liège le 4 octobre 1987 mais j’ai grandi à la campagne, à Olne, pas loin de Verviers, une manne verte bordée d’une rivière. C’est seulement l’année dernière que je suis revenu vivre à Liège: même si j’adore le stop, les transports en commun et les rencontres qu’ils occasionnent, c’était plus pratique de gérer depuis la ville les répétitions et mon boulot chez JauneOrange, à la fois label indépendant, booker et agence de management. » Depuis la cuisine, l’oeil de Thomas glisse sur les baraques dépareillées des environs, « quartier populaire qui n’est pas encore habité par les bobos ». Raccord à la pièce où il travaille sa musique sur PC et Cubase: ici, rien de Mac ou de flash, de pose ou d’imposé. Sur une étagère, des pockets à la mode ancienne –« je ne photographie qu’en argentique »– et pour y penser longuement, un canapé expérimenté. Posés contre un mur, un clavier d’occase et une six cordes usagée, elle aussi acquise pour deux francs trois sous dans une brocante.
Paru à l’automne, l’album de The Feather, Invisible, a été en grande partie bouclé dans cet espace modeste, Thomas en conduisant, à l’exception de trois batteries et du violon, le chant et les multiples instruments. Le disque induit quelque chose d’également intime, réseau de mélodies oniriques cuites vapeur, sans graisse inutile. Les titres creusent un état proche de l’hypnose consentie, distillant des voiles de bonheur opiacé sans en importer les effets secondaires. Thomas et son impressionnante pompadour de cheveux dégagent le même karma indiciblement cool, rayons de positive attitude. Vous avez dit harmonie? « Chez mes parents, qui travaillent tous les deux dans le social, on écoutait beaucoup les monstres du folk, Crosby, Stills & Nash, Simon & Garfunkel. Mon oncle, à la personnalité complexe, débarquait en jouant du blues. J’observais dans mon coin. Mon père a toujours été un curieux absolu de musique et le support de mes parents pour mes choix, total. D’ailleurs, lorsque The Feather a joué en décembre au Glimps à Gand, ils sont venus nous y voir, prenant une chambre en ville pour assister à l’intégralité du festival. »
La famille, avec laquelle il part en vacances chaque été, est la pierre philosophale du musicien, son cordon ombilical avec le monde. Non seulement le frère aîné déjà cité -Simon de l’étage du dessus- clippe avec verve et poésie les musiques de Thomas pour The Feather et Dan San, mais la matière même des disques s’adresse à sa proche communauté: « J’ai besoin que mes chansons existent, ne fût-ce que pour moi, mais certains morceaux comptent un peu plus que d’autres, pour mon frère, ma soeur, mes parents, mes amis. J’ai le plaisir de leur donner cela, cette sensation d’énorme importance de la musique dans ma vie, qui me transporte dans l’équivalent de contrées lointaines. » N’empêche, quand il s’adresse dans Sighs à la protagoniste d’« une histoire sentimentale douloureuse, par envie de lui dire ses quatre vérités », on comprend bien que l’album, malgré ses caresses, évite le voyage en bisounours.
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Larynx inédit
« J’essaie d’exprimer des choses simples, de la vie de tous les jours », précise-t-il en prenant exemple sur l’Icare de Syd Matters « qui parle des relations avec les parents pendant l’enfance. Je suis incapable de chanter des choses politiques, d’écrire un Hurricane comme Dylan défendant le boxeur Rubin Carter accusé de meurtre. Je ne suis pas davantage capable de politiser ou socialiser ce qui pourrait se passer sur Liège, la précarité, la violence, les deals… Malgré ses douceurs, ma musique me permet d’extérioriser les épreuves traversées, de dominer les craintes et les angoisses, de nourrir des sensations. Je parle de choses parfois sombres mais je suis quelqu’un d’extrêmement positif. J’essaie d’attraper la mélodie que je n’ai pas encore entendue. » The Feather a le talent de planquer son spleen anxiogène dans une collection d’harmonies vocales irradiantes, même rassemblées en version lo-fi. De fait, on pense aux gloires californiennes sixties -à la Crosby, Stills & Nash- et à une dextérité larynx plutôt inédite sous nos latitudes. « Je suis globalement autodidacte, mais depuis l’âge de douze ans, je pratique des vocalises avec Jérôme, mon complice de Dan San. On sait que trois notes principales iront avec l’accord, mais il est aussi intéressant de chanter sur une note en dehors de celui-ci, d’essayer quelque chose de différent. Dans le dernier titre de The Feather, Perfect Storm, il y a cinq harmonies différentes et c’est dissonant. Pas grave, j’aime rechercher d’autres couleurs. »
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Sorti à l’automne via Pias, l’album connaît un développement inégal: ignoré en Flandre, il reçoit des éloges divers, et depuis quelques jours, le disque frémit à l’international, un prestigieux festival anglais faisant une offre ferme pour l’été. « Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, mais comme je ne m’attendais pas à un engouement particulier ou à de tels retours de presse, tout cela ressemble à un bonus. Le projet va tourner pendant au moins deux ans même si je ne veux pas imposer ma passion aux autres: je ne vais pas voir des courses de chevaux et la personne qui aime cela ne m’en voudra pas de ne pas partager ses fantasmes. Comment pourrais-je reprocher aux gens de ne pas aimer ma musique? » The Feather, soit Thomas accompagné de cinq musiciens, issus notamment de Dan San et de My Little Cheap Dictaphone, sera visible sur les scènes de Belgique et d’ailleurs jusqu’à l’été et au-delà. Une belle idée.
- CD INVISIBLE DE THE FEATHER CHEZ JAUNEORANGE/PIAS.
- EN CONCERT LE 15 FÉVRIER À L’ALHAMBRA DE MONS, LE 28 À L’AB CLUB ET LE 15 MARS AU BELVÉDÈRE À NAMUR, WWW.THEFEATHER.BE
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