Critique | Musique

The Creole Choir of Cuba: Santiman

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le deuxième album de The Creole Choir of Cuba intègre l’ADN de descendants d’esclaves d’Haïti dans un corpus de salsa et de voix liturgiques.

Au premier morceau -Preludio-, c’est la messe et les anges sont noirs et religieux. Un groupe de voix sublimées, pureté de canne à sucre, monte là-haut. Llegada emprunte alors un rythme africain, et lui colle le même ciel vocal. Le bénitier se déhanche. Sur ce, le troisième titre (Camina Como Chencha) prolonge une salsa après quelques secondes d’introduction à la manière d’un générique TV des sixties. Là, arrivé au cinquième du disque -qui compte donc quinze plages-, ce curieux et fascinant Creole Choir semble intégralement réveillé, ses ouailles prêtes à raconter leur drôle d’histoire. En 1994, Cuba, lâché par ses sponsors russes, connaît une violente crise économique: nourriture et électricité manquent, la « Période spéciale » décrétée par le gouvernement réduit encore les libertés de la rue. Pas de meilleur moment pour la musique: The Creole Choir of Cuba injecte alors à son répertoire naissant la tradition créole de plusieurs générations d’aïeux, esclaves importés d’Haïti pour travailler dans les plantations cubaines dès la fin du XVIIIe. Une nouvelle vague est arrivée dans les années 50 pour fuir le régime dictatorial de l’affreux Papa Doc Duvallier, la plupart travaillant durement dans la campagne cubaine. Vieux scénario jamais élimé: de cette souffrance, de ces humiliations, de ce passé soumis, naît la beauté d’une musique qui crève de revendiquer sa liberté.

Six femmes et quatre hommes forment The Creole Choir of Cuba: ils chantent en créole d’Haïti, mélange de taino, parlé par les indigènes des Caraïbes lors de la colonisation hispanique, et de locutions empruntées aux ethnies africaines emportées vers les Amériques par l’esclavage. L’espagnol est aussi au programme, mais peu importe, puisque tout se fond dans une jouvence linguistique égale à sa sophistication musicale. Quelques percussions, des congas, et c’est à peu près tout, pour accompagner une collection mirifique de voix: l’ensemble n’est jamais aussi impressionnant que dans le dépouillement, où le chant à lui seul brode les émotions. Explorant l’espace entre gospel et musique liturgique, Soufle Van (Mangaje), Balada de Annaise et Juramento inventent un baroque tropical, sublimé par une spiritualité et des harmonies supérieures. Il ne faut pas comprendre le créole pour sentir l’implication absolue des chanteurs dans Pou Ki Ayiti Kriye, baume vocal sur l’île dévastée des ancêtres. Et au bout d’une heure de musique, on n’a qu’une envie: filer là-bas pour mieux comprendre, mieux entendre, mieux vivre le Choeur. A noter que le label ayant eu le flair de signer cet important talent n’est autre que Real World, la compagnie de Peter Gabriel qui continue donc à prendre la tension du monde en extension. Merci à elle.

The Creole Choir of Cuba, distribué par Rough Trade

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