The Beatles par Peter Jackson: la fin n’était pas la bonne

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec The Beatles:Get Back, documentaire-marathon de huit heures, Peter Jackson apporte un nouvel éclairage sur les derniers mois des Fab Four. Beatles Never Die…

Quand, en décembre 2020, Peter Jackson a lâché les premières images inédites de The Beatles: Get Back, l’excitation était palpable. Diffusé en pleine deuxième vague, le montage de cinq minutes avait même quelque chose de réconfortant, un cadeau de Noël avant l’heure. Cela n’a pas empêché de se poser la question: 50 ans après leur séparation, reste-t-il vraiment des choses à dire et à montrer sur les Beatles? Passé le plaisir de la nostalgie, peut-on encore en rajouter sur l’un des sujets les plus éculés, commentés, et documentés de l’Histoire de la pop? Ne serait-ce que par ses dimensions, titanesques, le nouveau documentaire de Peter Jackson en est convaincu. Découpé en trois parties, Get Back est disponible depuis la semaine dernière sur la plateforme Disney+. En l’occurrence, il revient sur un épisode bien précis de la carrière des Beatles. Pour faire court: son chant du cygne.

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Début 1969, la cohésion du groupe est déjà largement écornée. Le double album blanc sorti quelques semaines plus tôt, a laissé des traces. Paul, John, George et Ringo se retrouvent pourtant dès janvier pour relancer la machine. L’idée première est celle d’un show télé, prévu trois semaines à peine plus tard -en février, Ringo Starr doit impérativement commencer à tourner dans The Magic Christian. Finalement, les sessions déboucheront sur le fameux concert-surprise, donné depuis le toit de leur QG, à Saville Row. Les morceaux inédits finiront, eux, sur Let It Be, ultime album des Beatles publié en mai 1970, alors que le groupe a implosé.

À l’époque, un documentaire, réalisé par Michael Lindsay-Hogg, avait déjà raconté l’histoire. Sorti en même temps que le disque du même nom, Let It Be, montrait un groupe miné par les conflits. Un demi-siècle plus tard, Peter Jackson est reparti du même matériel. Mais en livre un tout autre récit, nettement moins glauque. C’est le principal argument de Get Back: contrairement à l’image dépeinte par le docu de 1970, relayée parfois par les principaux intervenants de l’époque (« the most miserable session on Earth« , avait geint Lennon), l’épisode de janvier 69 ne fut pas (qu’)une longue descente aux enfers. Get Back ne cache pas les tensions. Mais il nuance et complète la première version. Sans tomber dans le révisionnisme, il montre les quatre musiciens toujours capables de rigoler entre eux, pratiquant un savoureux humour british, et couchant en direct quelques dernières pépites ensemble.

Le désert des Tartares

Pour illustrer son propos, le Néo-Zélandais a pu mettre la main sur près de 60 heures d’images inédites et 150 heures d’enregistrements audio. Avec la volonté de disséquer le plus méticuleusement possible la matière. Y compris en s’aidant des dernières technologies pour décrypter certaines discussions -se sachant filmés en permanence, les Beatles prenaient un malin plaisir à augmenter le volume des amplis quand ils voulaient couvrir leurs conversations les plus confidentielles.

De cette documentation touffue, Jackson en a donc tiré un long film-marathon: les trois épisodes de Get Back s’étalent sur près de… 8 heures. Pouvait-on attendre autre chose de la part du réalisateur des deux trilogies inspirées de Tolkien: Le Seigneur des anneaux (plus de 10 heures dans sa version étendue) et Le Hobbit (un peu moins de 9 heures)? Problème: les péripéties d’un groupe de rock, quand bien même il s’agirait des Beatles, sont beaucoup moins spectaculaires que des batailles entre des orques, des elfes et des nains. Il s’agit donc pour le téléspectateur de s’accrocher. S’ennuie-t-on? Oh que oui. À moins d’être un fan hardcore, c’est même inévitable.

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Les répétitions sont rarement des moments excitants -y compris pour les musiciens eux-mêmes. Quand les Beatles se retrouvent dans le grand hangar des studios de cinéma de Twickenham, les esprits sont encore embués. L’objectif, lui-même, reste flou: un concert uniquement basé sur de nouveaux titres? filmé? dans un orphelinat? ou dans un ancien amphithéâtre romain près de Tripoli? Les discussions vont bon train, mais rien n’avance vraiment. Dans un coin, des disciples d’Hare Krishna méditent, tandis que le personnel londonien en costume-cravate s’agite gentiment. Volontaire, McCartney tente vaille que vaille de mobiliser les troupes. Mais si Ringo Starr suit sans broncher (tautologie), Harrison apparaît vite sur la défensive, tandis que Lennon garde ses distances, le regard souvent vide. Yoko Ono n’est jamais loin. Assise entre les quatre, elle s’occupe en faisant des mots croisés. Petit à petit, les Beatles semblent sombrer dans la léthargie. Sur le grand plateau froid, c’est le désert des Tartares…

Étrangement, l’ennui devient pourtant addictif. Petit à petit, le regard d’entomologiste de Jackson produit son effet. Il y a quelque chose de fascinant à voir le plus grand groupe de pop de l’Histoire rattrapé par le banal, naviguant à vue, paumé. À la fin des deux premières heures, le conflit larvé entre Harrison et McCartney finit par éclater. Mais même cette accélération des événements apparaît très feutrée: « I’m leaving the band now« , annonce Harrison, flegmatique, tandis que ses camarades partent en pause-déjeuner. Finalement, il faudra plusieurs discussions -dont celle entre Lennon et McCartney, enregistrée à leur insu, par un micro caché dans un pot de fleurs- pour remettre le groupe sur les rails. Dès qu’il délaisse Twickenham pour rejoindre le studio aménagé dans les bâtiments de son label, l’atmosphère devient nettement plus détendue, fraternelle même (cette scène où Harrison et Lennon sortent bras dessus, bras dessous).

En toute fin, les images du concert sur le rooftop sont particulièrement électrisantes. Consciens de l’absurde de la situation, chantant sur une scène que les passants aperçoivent à peine d’en bas, les Fab Four semblent profiter d’autant plus de leur communion retrouvée. Comme une sorte d’ultime baroud d’honneur. Let it be

The Beatles: Get Back, trois épisodes disponibles sur Disney+. ****(*)

The Beatles par Peter Jackson: la fin n'était pas la bonne

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