Après pas mal de détours, le Bruxellois Témé Tan sort enfin son premier album, potion afropop au pouvoir de séduction instantané. L’album feel good de cette fin d’année.
Bien sûr, tout va vite. De plus en plus vite, même. C’est sans doute pour cela que, plus que jamais, la patience est une vertu à chérir. En l’occurrence, il en fallu pas mal à Témé Tan. S’il sort cette semaine son tout premier « véritable » premier album, cela fait un moment qu’il bricole ses vignettes pop multicolores.
Né à Kinshasa en 1982, débarqué en Belgique à l’âge de 6 ans, il a fait de Bruxelles la base de ses multiples explorations musicales. Collaboration avec d’autres (le rappeur Veence Hanao qu’il a accompagné sur scène), projets éphémères, etc. En 2011, il sort du bois et publie l’EP intitulé Matiti. Problème: à l’époque, le label lambine, les médias relaient à peine. Ce qui devait être une première carte de visite se transforme en impasse. Témé Tan pourtant s’accroche. Il sort un autre EP de reprises (Quatro). Puis, en 2014, finit par lâcher le single Améthys, comptine groovy pastel dédiée à la mémoire de sa maman. Le micro-label bruxellois Limite Records, dirigé par Funky Bompa (Xavier Daive), sort le titre en vinyle. Qui finit par atterrir sur le bureau de programmation de l’influente Radio Nova, à Paris. La roue tourne. « À partir de là, j’ai commencé à recevoir pas mal de propositions de concerts. Plusieurs maisons de disque m’ont également contacté. » Déjà sur le coup, Pias finit par signer Témé Tan. Deux ans plus tard, l’album débarque enfin.
Les douze morceaux ont des fourmis dans les jambes, croisant la rumba congolaise et la samba brésilienne, le hip-hop américain et la chanson française, la soul bienveillante et l’électro domestique. Récemment, Le Monde décrivait ainsi Témé Tan: « griot pop, tropicaliste électro, rappeur folk ou chanteur de haïku festif », qui peut citer aussi bien Kanye West que Konono n°1 ou Mathieu Boogaerts. Le dernier single en date, Coups de griffe, est un nouvel exemple parfait de ce syncrétisme jouissif, traçant une liaison directe entre Rio (les percussions carioca) et Bruxelles (mélodie à la Telex, sifflement à la Toots).
Disque solo mais pas solitaire (Gaëtan Dehoux, notamment, à la réalisation), il a ceci de précieux, qu’il est instantané et, à la fois, capable de trouver facilement le chemin de l’intime. Le genre d’album chanté pour tout le monde et destiné à chacun. C’est sans doute dû à son modèle de fabrication: en grande partie bricolo, il privilégie la magie de l’instant. « Quitte à conserver des sources sonores parfois « crapuleuses », comme sur le titre Olivia, où toutes les voix ont été enregistrées avec le micro de mon ordinateur. C’est comme cela qu’il est né: j’ai rencontré cette personne dans la rue, cette Olivia. Je suis rentré chez moi, j’ai écrit et enregistré directement le morceau. J’ai essayé de refaire les voix par la suite. Mais cela ne donnait plus la même chose. Je voulais préserver le feeling de départ. » Voilà probablement pourquoi des titres déjà connus comme Amethys, Champion ou Ça va pas la tête? continuent de faire leur petit effet. Ce dernier se retrouve même aujourd’hui au générique du prochain millésime du jeu vidéo Fifa. Une fameuse vitrine de promotion, le magazine anglais NME le classant même en 3e position de son top 10 des titres les plus réussis de l’édition 2018 du blockbuster gaming –« le morceau que vous voulez entendre quand vous venez de vous faire atomiser 10-0 avec votre équipe ultime. »
Prévu initialement pour sortir dans le Benelux, le disque a depuis élargi sa fenêtre de tir: il est annoncé, notamment, en France, Allemagne, Italie, Angleterre et même au Japon! Un visa international pour un album feelgood qui contient lui-même le monde entier. C’est que Témé Tan a l’âme voyageuse. Un véritable globe-trotter. La preuve avec une série de cartes postales qui en disent long sur le parcours et la démarche musicale de l’intéressé…
Kyoto. (NDLR : Témé Tan y a pioché une partie de son nom de scène, « Té » signifiant « main » en japonais, et « mé » voulant dire « oeil ».) Le Japon me fascine depuis que je suis gamin. Cela a commencé avec les mangas à la télé qui faisaient partie de notre quotidien. Et puis, un jour, en primaire, pour préparer un exposé, je suis tombé sur un bouquin sur le Japon. J’ai commencé à creuser davantage, je trouvais tout cet univers magnifique: les kimonos, le mont Fuji, les kanjis, les hiraganas, etc. J’ai même voulu devenir mangaka!
Plus tard, quand je suis parti en Erasmus en Andalousie, j’ai rencontré Momo Midori, une jeune fille japonaise. Elle était un peu dans son coin, elle ne parlait pas très bien espagnol. Du coup, je suis allé vers elle, en lui sortant les quelques trucs que je connaissais en japonais. Au final, on est devenu hyperpotes. Aujourd’hui, elle fait même partie de la famille. C’est comme ça que je me suis retrouvé à aller lui rendre visite, chez elle, à Kyoto, en 2009. À l’époque, j’écoutais aussi pas mal de musiciens japonais qu’elle me faisait découvrir via les compils qu’elle m’envoyait: Cornelius, Tujiko Noriko, Pizzicato 5, Sunny Day Service, Cibbo Mato, etc… Pour la plupart, ils faisaient de la musique électronique et je me sentais hyperproche de cette scène. D’autant plus qu’ici, au même moment, on était dans un truc très pop-rock qui ne me touchait pas trop.
Grenade. J’ai étudié la linguistique et la littérature anglophone et hispanophone. C’est comme ça que je me suis retrouvé à partir plusieurs mois en Erasmus à Grenade. Je me souviens que j’habitais dans une grande coloc qui ressemblait un peu à celle du film L’Auberge espagnole. J’occupais la chambre la moins chère et la plus petite. J’avais une petite table, un petit ordi, je venais de m’acheter un protools. C’est là que j’ai écrit les premiers morceaux de Témé Tan.
J’avais choisi cette destination notamment parce que j’étais dingue de flamenco, j’écoutais Paco De Lucia à fond! Je me suis retrouvé à étudier l’histoire de cette musique, prendre des cours de guitare flamenco, etc. Je me suis aussi beaucoup baladé dans le Sacromonte, le quartier gitan de la ville. Le flamenco, c’est vraiment l’enfant de l’Espagne et du Maghreb. Avec des racines qui remontent jusqu’à la musique gnawa, qui est celle des descendants des esclaves au Maroc. Je trouve cela fascinant. Plus encore que la virtuosité des joueurs de guitare, c’est le chant qui m’impressionne. Vous ne vous improvisez pas chanteur de flamenco. C’est une tradition, un appel. Il y a un côté habité, mystique qui relève presque de la magie.
Conakry. (NDLR: en 2015, Témé Tan a participé sur place à la création de la pièce Un cadavre dans l’oeil, de l’auteur Hakim Ba, qui revenait notamment sur la dictature de Sékou Touré en Guinée.) C’est une image du pont du 8 novembre, où Sékou Touré faisait pendre ses soi-disant traîtres. C’est un lieu hyper-important, central dans le texte de Hakim Ba. Le metteur en scène Guy Theunissen cherchait un musicien qui travaille avec des boucles électroniques, qui a déjà voyagé en Afrique et qui était à l’aise sur scène. Je suis allé à l’audition et cela a tout de suite cliqué. Il m’a prévenu que c’était vachement dur, que Conakry était une ville très « hard », presque plus chaotique que Kinshasa. Avec la recrudescence d’Ebola, on a même failli ne pas partir. Finalement, je me suis retrouvé à passer cinq semaines sur place pour créer la musique de cette pièce. Cela a été une expérience dingue. C’était la première fois que j’allais en Afrique pour travailler. Avant de partir, je ne connaissais pas trop l’histoire de Sékou Touré. Mais ce n’était pas difficile d’y voir des échos de l’histoire du Congo, avec Mobutu. C’était vraiment une expérience et un voyage très forts.
Paris. Est-ce que c’est une ambition? Pas spécialement. Mais j’aime beaucoup cette ville, j’y ai de très bons amis. Contrairement à la réputation qu’ont les Parisiens, je trouve que les gens sont hyper sympas. Puis la ville est très belle. Elle est liée à beaucoup de souvenirs de films des années 90, comme La Haine, puis à des musiques aussi, de Vian à Gainsbourg ou MC Solaar. Je ne peux pas oublier également que je dois beaucoup à Nova, ils ont quand même allumé une belle étincelle.
Rio. J’y suis allé en 2012. C’est le voyage qui m’a redonné goût au concert. À l’époque, j’étais vraiment paumé, j’avais fait ce disque qui n’avait pas reçu de soutien, ni de mon label, ni de mon tourneur. J’arrive à Rio, je découvre les rodas de samba, ces endroits où tout le monde chante, danse, sans jamais se déclarer musicien. Vous êtes assis autour d’une table, on joue des classiques de Jorge Ben, Gilberto Gil. Tout à coup, le joueur de pandero se lève pour prendre un verre et quelqu’un le remplace spontanément. J’y ai trouvé un rapport hyper sain à la musique, hyper naturel. Je pense que c’est comme ça que ça doit être. C’est pour ça que j’ai aussi envie de faire des concerts -et de la musique- où les gens peuvent chanter et danser avec moi.
Kinshasa. Que dire? J’ai forcément un rapport très intense avec cette ville. C’est d’abord là que j’ai vécu ma petite enfance. Elle est importante aussi d’un point de vue musical. Nombre de mes héros viennent de là: Papa Wemba, Franco, Tabu Ley Rochereau, Konono, Staff Benda Bilili… C’est une ville très dure également. Mais ce sont mes racines que j’essaie de creuser, d’entretenir: je ne parle plus trop le lingala, donc je suis constamment en train de chercher des cours.
Après, même si j’ai grandi là-bas, c’est toujours étrange de se voir présenter comme un artiste belgo-congolais. On me fait souvent remarquer que ma musique est remplie d’influences africaines. Mais ce n’est pas quelque chose que je revendique spécialement. Certes, ce sont mes racines. Mais des artistes comme Baloji ou Badi évoquent beaucoup plus les thèmes congolais que moi. En cela, je me trouve dans une situation un peu ambivalente. D’un côté, je suis hype-fier de venir de Kinshasa. De l’autre, je ne me trouve pas forcément légitime comme porteur du drapeau congolais.
Lanzarote. (NDLR : Témé Tan y a enregistré et tourné le clip du morceau Se Zwa So.) Je n’y aurais jamais été si ma pote Maia Barouh ne m’avait pas invité. Elle avait loué cette maison pour y passer la nouvelle année avec sa famille. Mais son papa, Pierre Barouh, est décédé quelques jours avant. Du coup je me suis retrouvé tout seul dans cette maison. J’étais triste pour mon amie. Triste pour ce monsieur que j’avais rencontré un peu auparavant, dont je commençais seulement à vraiment découvrir le travail (NDLR: auteur/interprète du célèbre thème d’Un homme et une femme, Pierre Barouh est le fondateur de Saravah, label qui fera découvrir la bossa nova en France, et enregistrera les premiers pas d’artistes-ovni tels Brigitte Fontaine). Du coup, sur place, j’ai écrit ce morceau et filmé ce clip. C’est mon hommage, en fait.
Témé Tan, Témé Tan
distr. Pias. En concert e.a. le 17/11 au Reflektor (Liège), le 29/11 au Botanique (Bruxelles), etc.
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