Critique | Musique

Stromae – Racine carrée

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

VARIÉTÉ ÉLECTRO | Sur le deuxième album de Stromae, les synthés ludiques s’émancipent, épousant les tonalités adultes traversées d’instants de colère.

Stromae - Racine carrée

Lassé par les statistiques Stromae et ses 32.749.965 vues de Papaoutai -score au moment de pondre ces lignes- sur YouTube? Dubitatif quant à cet ex-rapper devenu gendre idéal d’une variété électro aux consensualités malignes? Il ne reste dès lors qu’un seul verdict possible: ce deuxième album sortant 38 mois après le premier, soit 45 minutes 39 secondes en 13 titres qui perpétuent un chassé-croisé entre sucreries mélodiques et verdeurs souvent vinaigrées de chansons « à texte ». D’emblée, on pige un truc: Stromae est devenu chanteur avec des cabrures qui rappellent à la fois Alain Souchon et les bonnes voix africaines. Quelque part dans la tornade triomphale des trois dernières années, il s’est forgé un larynx plus ambitieux, avec une sensualité raccord aux tonalités des musiques volontiers chaudes de Racine carrée. Même s’il n’abandonne pas l’une de ses marques de fabrique -les synthés gloutons, cheap, criards, enfantins-, Stromae prend un agréable coup de Tropiques: que ce soit le calypso rétro de Moules Frites, l’autre tempo caraïbe de Sommeil ou encore la morna pure capverdienne d’Ave Cesaria, hommage à la chanteuse aux pieds nus où il lance: « Souviens-toi de la première fois où nos regards s’étaient croisés/Même que ton oeil disait merde à l’autre/Surtout à moi. »

Morphinomane

Parfait exemple de ce que Maestro fait le mieux: malaxer la langue française. Le demi-sel, le demi-clin d’oeil, l’humour tiède, les verbes détournés et séquencés, genre qui aboutit au climax sémantique de Humain à l’eau: « Je respecte les pygmées/Donc respecte les masaïs/Je respecte ton terrier/Donc respecte mes terres (?)/Je respecte les insectes/Donc respecte les mammifères. » Chanson en mode soubresaut contre le racisme, on présume, alors que les deux tubes présents, Formidable et Papaoutai, fustigent, dans l’ordre, l’impossibilité du couple et les papas fuyants, allusion autobiographique d’un Stromae, on le sait, globalement privé d’un père, coureur de jupons puis victime de génocide rwandais… Alors pas de faute de frappe? On aurait pu se passer de la relecture un peu lourdingue de Carmen, oui la très vieille scie de Bizet où Orelsan lui donne un coup de patte pour le texte. Ou de cet AVF (Allez vous faire foutre) vampirisé par ses guests, Maître Gims et Orelsan. Tout cela est en quelque sorte rattrapé par Quand c’est?, fascinante ballade morphinomane aux choeurs très Antony & The Johnsons, où il est question de cancer et de mort. Un moment de musique et d’absolu qui ouvre une carrière où tout semble désormais possible.

  • Stromae, Racine carrée, distribué par Universal.
  • En concert le 18 décembre à l’Ancienne Belgique, Bruxelles, le 19 décembre au Trix, Anvers, les 4 et 5 avril à Forest National…

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