Critique | Musique

Stephan Eicher – L’envolée

© Benoît Peverelli
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

CHANSON | Son 12e album porte les textes des fidèles Djian et Suter. Mais « Disparaître », co-signé avec Miossec, est la grande chanson d’un disque complet.

STEPHAN EICHER, L’ENVOLÉE, DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ****

Printemps 1984, une petite salle du festival de Bourges. Dans les nuages fiévreux d’une sale angine, on voit un inconnu au bataillon rock, seul en scène, plutôt jeune et beau, dressé de noir, reprenant In the Ghetto, standard engagé de Presley , nappant d’une voix soul les machines qui racontent des histoires synthétiques. Ce premier choc live, suivi d’une interview avec Stephan Eicher, dessine alors le Suisse allemand aux racines multiples -entre autres tziganes- comme improbable outsider romantique. Genre Nick Cave sans l’héroïne mais avec l’oeil de biche. Un an plus tard, son troisième album et le hit Two People In A Room mettent Eicher au diapason du succès, le zénith commercial venant avec Engelberg et sa monumentale scie Déjeuner en paix, datés de 1991. A partir de là, il y aura des constantes -la présence de Philippe Djian aux textes- et l’impression qu’Eicher fait partie des meubles de la maison variétés. Terme ô combien péjoratif pour un mec qui fugue à quinze ans pour voir Patti Smith à Hambourg et révère les méandres de l’americana vintage. Au fil des ans, le diagnostic s’éclaircit: Eicher est un cas unique d’utopie musicale, collaborant aussi bien avec le Taraf de Haïdouks -géniaux roms roumains- qu’avec le bluesman US Sonny Landreth, entendu chez Bashung, John Hiatt et Clapton. Dernière vision en date: Eicher sur la scène des Francos de Spa 2008 refondant ses chansons avec un batteur fou furieux et un mec-machine. Culotté.

Crise systémique

Arrivé à ce stade-ci de la review (…), Eicher apparaît comme si on devait s’excuser de l’aimer alors qu’au panthéon de la chanson en français -80 % de ses disques-, il est rien moins que le cousin enneigé du Bashung déjà cité. L’envolée, premier album en cinq ans, est à ce point réussi, pour deux raisons flagrantes: les arrangements qui piochent au centre de la palpitation cardiaque de toutes les musiques et la finesse des mots. De son propre aveu, Eicher a bourlingué sur cet album comme jamais auparavant: multipliant les collaborations à la prod -Edith Fambuena, Mark Daumail de Cocoon, l’électronicien Fred Avril-, trouvant une sorte d’idéal Pôle Nord magnétique entre mélodies bios, riffs organiques et humidité vocale. De cette voix particulière -un jeune Dylan qui aimerait son prochain-, Eicher construit un univers où la séduction d’antan cède le pas à des chroniques d’homme mûr, né en 1960, jamais amer ou rabâcheur. Les douze chansons sonnent justes et généreuses: surtout, elles se glissent dans la crise systémique de l’époque, sans militer à l’aveugle. Beaucoup de moments sont séduisants -on adore les trois titres en allemand co-signés par l’écrivain suisse Martin Suter- mais la clé du disque reste Disparaître où le texte de Miossec dissèque les derniers moments d’un petit commerçant appelé à fermer boutique. Emouvant voire brillant, ce réalisme poétique rejoint la fibre de Ferré, versant pop, version plus joli (ex-)jeune homme sur soi…

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