Serge Coosemans

Sortie de route #4: The Pope of Dope

Serge Coosemans Chroniqueur

Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win et lose… Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit de 96 heures qui précède le début de semaine. Sortie de Route, track 4.

« La Krokodil est à nos portes »© DR

Moins kikou qu’une mygale dans un régime de bananes mais réputée tuer en quelques jours là où les ondes GSM glandouillent peut-être vingt ans avant de produire la moindre métastase correcte, la Krokodil, cette défonce de gueux, a tout pour plaire aux amateurs de conversations à la con. Ainsi qu’aux médias, qui, cette semaine, y sont tous allés à la truelle au moment d’annoncer la mort subite de quatres andouilles de la Ruhr ayant un poil forcé sur leur dose de codéine et de dissolvant. « La Krokodil est à nos portes », « une nouvelle drogue russe à l’assaut de l’Europe », « elle tue à la première injection »… Comme à chaque fois qu’il s’agit de parler de came dans les gazettes, on n’a pas hésité à pomper sévère au niveau du moralisme à deux sous et de l’alarmisme apocalyptique. Une recette éprouvée pour enfler un minable fait divers en enjeu sociétal, chauffer le buzz d’une rumeur démago au final toutefois plus génératrice de clicks que d’inquiétudes, comme nous l’explique ce très bon article; tellement bon que je ne vais pas non plus passer 3 heures à le paraphraser pour vous planter davantage le topo.

Ce bagage de connaissance entre les deux oreilles, nous voilà, ce vendredi soir, entre « hipsters de 40 ans ricaneurs », à grelotter à la terrasse du Laboureur, Jup et Stella sur la table – l’avantage des bistrots indépendants-, déballant l’un après l’autre nos petites vannes sur la Krokodil. Les Grosses Têtes version schnouffe, avec Tony Montanié, Darry Cowl-à-Bois, Sassim, Philippe Buvard et Joint Amadou. Oui, ce genre de vannes. Ping: le QI de ceux prêts à s’enfiler de cette dope doit être plus ou moins égal au chiffre de leur espérance de vie. Pong: la Krokodil permet de zapper le budget maquillage des films de zombies. Shazam: pour avoir ne fut-ce qu’envie de priser de cette mort aux rats, il faut au moins être né dans une décharge industrielle d’ex-URSS et ne partager qu’une chèvre à trois pattes pour calmer sa fièvre du samedi soir. Pensez donc, mon bon gentleman: un mélange d’iode, d’héroïne, d’essence, de dissolvant, de phosphore d’allumettes et de codéine!!!

« Ouais mais n’empêche. Tu le sais à chaque coup, toi, ce que tu t’enfiles exactement dans le pif ici le week-end? » La question amène la nuit noire, le froid, la mort et hurlent les coyotes sur le Marché aux Porcs. La sinistrose s’abat sur une tablée jusqu’ici joyeuse et insouciante car il faut bien dire ce qui est: au moment de s’envoyer les neurones en l’air, le lumpenprolétariat sibérien mangeur d’écureuils et les petits roitelets de la night occidentale sont tous aussi kamikazes les uns que les autres. La Krokodil nous fait rire, ses utilisateurs peur et pitié, mais derrière la moquerie facile, celle qui fait que l’abruti est toujours l’autre, c’est une image déformée et exagérée de nos propres déviances psychotropes qui apparaît. L’échelle, la dangerosité et la sociologie sont bien entendu très différentes. Le bad trip bruxellois atterrit à Fond’Roy plutôt qu’au fond de la Volga, avec le tiers payant en guise d’hôtesse de l’air. Reste qu’au moment de sniffer du Gyproc pillé, de gober des neuroleptiques laxatifs et de se déshiniber au faux engrais pour cactus, le crédule polytoxicomane à temps partiel de nos régions fait indéniablement lui aussi le yoyo sur l’échelle qui va de la confiance absolue née d’une traçabilité sans faille à l’inconscience crasseusse du cerveau humain devenu rollmops sous influence.

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A Bruxelles, il traîne dans certains cercles branchagas ce truc relativement récent, la méphédrone, un chipotage moléculaire proche du MDMA. Un moment, c’était légal, vendu comme de l’engrais chimique. J’ai voulu savoir si cela faisait réellement pousser les plantes, avec quoi c’était vraiment fait. Aucun des quelques consommateurs enthousiastes interrogés n’a pu me répondre. Une demi-heure sur Google vous apprend tout ce qu’il faut savoir sur cette merde mais zéro de ces mecs, pourtant tous diplômés, curieux, ouverts et malins, n’a pu me dire avec certitude de quoi était fourré le chokotoff. Je vous parle de types qui se nourrissent bio, sont prêts à changer d’épicier pour des histoires de tomates et de concombres qui viendraient d’un exploitant porté sur le pesticide, de boycotter les bouchers qui ne sauraient délivrer de certificat de naissance et d’abattage de leur bidoche. Là, explosés au Miaou Miaou ou aux Bubbles, les p’tits noms de la méphédrone, tout ce qu’ils savent pourtant postillonner, c’est que c’est cool, que ça rappelle l’ecsta des années 80, que ça fait parler jusqu’à un point où la conversation va « très loin ». Quand après, on leur dit qu’à 23h10, ils étaient en fait avachis comme des méduses sur des divans détrempés par leur sueur, les pupilles grosses comme celles du Chat Potté à déblatérer un discours incohérent et à admirer le plafond, ils vantent alors la descente, plus douce qu’avec d’autres drogues. Quelques jours plus tard, les statuts Facebook parlent toutefois souvent de migraines monstres, de mauvaise humeur à l’égard de l’employeur, de scores explosés à Angry Birds et de déprime noire devant des rom-coms pourtant très primesautières. Malgré tout cela, la motion de confiance aux dealers se vote à chaque coup.

Du Laboureur, on est passé au resto, que l’on ne citera pas. Le lapin à la gueuze s’y est présenté sous une sauce épaisse et très foncée, qui ressemblait à du pétrole. Dans la logique suspicieuse de la conversation, nous est passé par la tête que cela masquait sans doute mieux la viande de chat, ce que la bidoche était peut-être carrément. Ensuite, on a bu des cocktails, dans un bar touristique de l’Îlot Sacré, décoré comme une église, blindé de grosses espagnoles et de crânes rasés polonais en chaleur. Le White Russian y avait un goût du lait sinon battu, du moins quelque peu tourné. Motions de confiance là aussi, pourtant. Obligé, sous peine de devenir cinglé, parano, chiant et chieur. La nuit exige le cool alors cool as fuck nous fûmes. Le lendemain au réveil, ne m’en est pas moins restée l’étrange impression que le client des différents marchés noctambules tient plus souvent du singe de laboratoire, du pigeon vaseliné et du cobaye consentant que du prince affranchi, l’empereur du bon plan, le Pharaon des heures fauves.

Serge Coosemans

Des liens

La Krokodil: http://www.brain-magazine.com/article/news/6374-Krokodil,-la-Drogue-qui-D%C3%A9vore-les-Junkies
La méphédrone: http://rabouinland.forumactif.fr/t3267-mephedrone-ou-bubble-et-autres-nouvelle-substances
Le Laboureur: http://www.tbx.be/fr/ArchiveArticle/9129/app.rvb

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