Solaar sourit: ses trois premiers albums enfin disponibles en streaming

Prose Combat, son deuxième album (1994), est une sorte de réponse française au courant hip-hop cool et jazz, incarné par De La Soul, A Tribe Called Quest, Jungle Brothers, etc.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après plus de 20 ans de purgatoire, les débuts discographiques de MC Solaar refont enfin surface. À commencer par Bouge de là et l’album Qui sème le vent récolte le tempo, disponibles pour la première fois en streaming.

C’est un classique. Après une courte intro, Bouge de là commence par ces mots: « Tout a commencé là-bas, dans la ville qu’on appelle Maisons-Alfort. » En effet, si le hip-hop est né dans le Bronx, le rap français, lui, a démarré en quelque sorte en banlieue parisienne, à trois kilomètres au sud-est de la capitale. Ou plutôt, c’est là qu’il a vraiment explosé aux yeux du grand public. Fait historique: en septembre 1944, l’armée allemande envoyait son tout premier missile V2 sur Maisons-Alfort; au début des années 90, celui que MC Solaar balance dans les hit-parades va chambouler la scène musicale hexagonale…

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Pourtant, pendant plus de deux décennies, le titre a complètement disparu des bacs des disquaires, enjeu d’une bisbrouille juridique entre l’artiste et son premier label. Résultat: à l’heure où le streaming permettait au rap de devenir la musique la plus écoutée, Bouge de là, tout comme les trois premiers albums de MC Solaar – Qui sème le vent récolte le tempo (1991), Prose Combat (1994) et Paradisiaque (1997)-, restaient indisponibles sur les plateformes. Ce fut donc une vraie surprise quand, le 25 juin dernier, le tube a fini par sortir du purgatoire. Dans la foulée, MC Solaar annonçait la ressortie des trois LP, en commençant par Qui sème le vent…, 30 ans après sa sortie. Depuis ce 9 juillet, il est à nouveau possible d’écouter (facilement) des titres comme Caroline et autre Victime de la mode

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L’impasse

Il existe une première version de Bouge de là. Trouvable en deux clics sur YouTube, il s’agit d’un freestyle débité en direct sur l’antenne de Radio Nova, quelques mois avant la sortie officielle. Surprise: le flow y est beaucoup plus nerveux et tendu. Raccord avec le ton « hardcore » de l’époque, il tranche toutefois avec ce qui fera le succès de Solaar. Car la patte de Claude M’Barali -son vrai nom-, c’est avant tout un phrasé élastique, cool et laidback.

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Publié en 1990, Bouge de là a le groove chaud et contagieux. Il a été réalisé par Jimmy Jay, alias Christophe Viguier. DJ virtuose, celui-ci s’est lancé dans la production et a même monté son propre studio après avoir gagné une grosse somme au Loto. Quand il rencontre MC Solaar, celui-ci rappe encore dans les MJC. Mais Jimmy Jay entend le texte de Bouge de là, et propose au rappeur une musique samplant The Message des Anglais funk-jazz de Cymande. La sauce ne prend pas de suite. Il faudra attendre plusieurs mois pour que le morceau décolle dans les hit-parades. En février 1991, Solaar se retrouve invité par Christophe Dechavanne, dans son émission Ciel, mon mardi!, sur TF1. Mutique lors du débat consacré à cette « nouvelle » musique qu’est encore le rap pour beaucoup d’oreilles françaises, il a tout de même l’occasion de jouer Bouge de là. À partir de là, le morceau va grimper au Top 50, lentement mais sûrement. Plus crédible que Benny B, moins agressif que NTM, MC Solaar réussit à conquérir le public et la critique.

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Il le confirme avec Qui sème le vent récolte le tempo, à l’automne 1991. Verbe lymphatique et sourire zen, MC Solaar n’a pas encore rejoint les Enfoirés, mais avec ses jeux de mots malins, il devient déjà l’alibi de ceux « qui n’aiment pas le rap, mais lui, oui ». Trois ans plus tard, Prose combat enfonce le clou(1). Sur ce qui reste encore aujourd’hui son magnum opus, MC Solaar affine sa plume et son son. Sorte de réponse française au courant hip-hop cool et jazz, incarné par De La Soul, A Tribe Called Quest, Jungle Brothers, etc., le disque enchaîne titres insubmersibles (Obsolète), sombre méditation (La concubine de l’hémoglobine) et tour de force technique (L’NMIACCd’HTCK72KPDP). En samplant le Bonnie & Clyde de Serge Gainsbourg sur Nouveau Western, Solaar affirme également sa connexion avec le patrimoine de la chanson française.

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Dans le même temps, le rappeur va aussi trouver le chemin de l’international. Aux côtés des productions de Jimmy Jay, celles de Hubert « Boom Bass » Blanc-Francard, ainsi que le mix de son pote, feu Philippe « Zdar » Cerboneschi, font de Prose Combat un disque soniquement irrésistible. Les deux derniers cités n’ont pas encore fondé le duo Cassius, mais ils sont déjà branchés sur la révolution techno-house, dont ils n’hésitent pas à injecter certaines couleurs. Celles que l’on retrouvera quelques temps plus tard dans la French Touch… Le rap de Solaar parvient ainsi à trouver un écho favorable chez les Anglo-Saxons -du label anglais Talkin’ Loud à l’Américain Guru (leur duo sur Le Bien, le Mal, sur la première compilation Jazzmatazz).

Ce succès et cet emballement vont cependant laisser des traces. Quand il signe avec la maison de disques Polydor, Solaar a à peine 20 ans et aucune expérience dans le show-business. Quelques années plus tard, il se pose davantage de questions. Comme ce jour où il se rend au supermarché près de chez lui, et tombe sur une boîte de céréales permettant de remporter son dernier single. « Ont-ils le droit de faire ça? », se demande alors le rappeur. Il va creuser et finit par engager un manager, Daniel Margules. Celui-ci n’a pas forcément de grande vision artistique. Par contre, il sait éplucher les contrats et défendre ses clients. Ce qu’il fait avec Solaar. Il découvre ainsi qu’avant de pouvoir renégocier son deal ou trouver un autre label, son poulain doit encore s’acquitter de deux autres disques. Parfait, avance Margules, ce sera Paradisiaque, présenté sous la forme d’un double album. Polydor tique: un double album ne compte que comme une seule référence (sur les deux à livrer). C’est le blocage. Réduit à un seul disque, Paradisiaque finit par sortir en 1997, suivi un an plus tard d’un dernier album calamiteux, qui n’aura même pas de titre. Soit. Solaar est libre. Mais il est aussi dépouillé. Le rappeur n’a pas pu récupérer les masters de ces albums, tandis que Polydor n’a plus le droit de les exploiter.

Il faudra donc plus de 20 ans pour que ceux-ci sortent enfin des limbes. Les détails de l’accord n’ont pas été révélés. Mais on imagine qu’il devenait de plus en plus difficile de se passer d’un tel patrimoine, à l’heure du streaming triomphant et du rap dominant. Les temps changent, comme dirait Solaar…

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