Shannon Lay, folk de joie
Échappée de Feels, la Californienne Shannon Lay s’impose avec son troisième album, August, comme l’une des nouvelles voix du folk au féminin. Ty Segall, Kevin Morby, weed et serial killers…
Paname, mi-octobre, une terrasse de Pigalle. Avec sa longue chevelure orange vif, Shannon Lay est loin de passer inaperçue. La sympathique et bavarde Californienne profite de sa tournée avec Ty Segall pour raconter son parcours et dévoiler les jolis secrets d’August, son troisième album solo. C’est la première fois que Shannon part sur les routes avec le patron. Et comme il joue chaque jour un album différent de son imposante discographie, elle a de son propre aveu eu pas mal de boulot avant de monter dans le tour bus. La veille, ils avaient revisité Melted. Ce soir-là, ils s’attaquent à Manipulator. « J’ai rencontré Ty il y a quelques années via des amis communs. Il vivait à Los Angeles depuis deux ans. On était toujours aux mêmes concerts. J’ai d’abord fait la connaissance de Denée, sa formidable femme. Ty est une vraie source d’inspiration. Passer du temps avec lui te nourrit. Il est contagieux. Il a vraiment changé ma vie. Et je suis chanceuse de pouvoir le dire de pas mal de gens. » De Kevin Morby, aussi, notamment. Si Shannon a intitulé son disque August, c’est parce qu’elle a décidé en août d’abandonner son boulot alimentaire pour se consacrer pleinement à la musique. Et cette décision, sans doute la plus importante de sa vie, elle la doit au singer-songwriter à bouclettes, Bob Dylan des temps modernes… Morby, qui avait sorti le deuxième album de Lay sur son petit label Mare Records, l’a invitée à ouvrir pour lui sur toute une tournée. « Ça m’a offert la sécurité financière dont j’avais besoin pour me sentir à l’aise. Je n’imaginais pas que ce serait possible. Je travaillais depuis un moment dans un magasin vintage (le Squaresville) et j’avais déjà 27 ans. »
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La mère de Shannon est originaire de New York. Elle a grandi à Long Island et a rencontré son père lors d’un business trip à Los Angeles. « Ils ont pris du bon temps. Elle est tombée enceinte et elle a déménagé (rires). Je suis née à Venice, dans la vallée. On est restés là jusqu’à mes trois ans. Puis, on a bougé à Redondo Beach, à 40 minutes au sud de L.A.. Une cité côtière géniale où j’ai passé mon adolescence. » À la fin des secondaires, Shannon part s’installer en ville. Après avoir abandonné ses études en art et en anthropologie, elle trouve du boulot dans un weedstore et se met à vendre de l’herbe downtown, près du Staple Centre. « C’était les débuts de la marijuana médicale. Ça restait encore assez flou. Pas professionnalisé comme maintenant. Mais c’était vraiment fun. Ça m’a permis de rencontrer un tas de gens. »
Dans la Cité des Anges, Lay qui grattouille depuis l’âge de treize ans rejoint son premier groupe: Facts On File. Elle est tout juste majeure. Les autres (un couple) ont la trentaine. « C’était du post-punk. Guitare, basse, batterie. On ne jouait pas tant que ça. Peut-être une fois par mois. Mais ça m’a permis de me sentir plus à l’aise sur scène. Parce que ça reste quelque chose de bizarre quand même… »
Lorsqu’elle commence à s’ennuyer, elle quitte le groupe et en trouve un autre, Raw Geronimo, qui deviendra Feels. Elle se lance en solo il y a cinq ans, après avoir découvert Jessica Pratt en première partie de Kevin Morby justement. « Je n’avais jamais vu un public aussi attentif, calme et silencieux. J’avais toujours baigné dans la scène rock. Dans une musique nettement plus bruyante. Je me suis trouvé un concert trois semaines plus tard. Je devais essayer. J’avais quelques chansons, mais je ne savais pas si elles trouveraient un public. J’étais hyper nerveuse. Je me suis dit que c’était la première et la dernière fois. Mais les gens ont été si sympas, le retour tellement bon que j’ai continué. C’était à l’Hyperion Tavern. Un petit bar sombre, tout en bois avec plein de bouquins et un grand lustre. »
L’herbe et les grenouilles
En 2019, année chargée, Shannon Lay a sorti deux albums. L’un en groupe, l’autre en solitaire. Si Post Earth de Feels pouvait se résumer en une phrase, « il n’y a pas de honte à être en colère », August est un disque délicat et plutôt optimiste. « C’est une collection de chansons qui parlent de prendre un moment, de faire un pas en dehors de la société pour entrer dans mon propre petit monde et refléter l’immensité d’être dans l’oeil social. Ce sont des pensées, des petites réflexions sur le comportement humain. Ça reflète ce que je vivais. Être capable de faire ce que j’aime. Me demander s’il en allait de même pour les autres. »
Schizophrène Shannon Lay? Pas à première vue. « Avec le climat politique actuel, une partie de toi doit avoir la rage. Si ce n’est pas le cas, c’est que rien ne te touche. Et en même temps, il faut garder espoir. Essayer de créer le monde dans lequel tu as envie de vivre. Ça peut se résumer à un regard. C’est ce que j’essaie de faire. Il n’y a pas de temps à perdre. Nous n’avons aucune garantie pour demain. C’est le bordel. Il faut être proactif, politique, se faire entendre. Mais aussi apprécier le fait d’être en vie, les gens qui nous entourent. »
Autant il semble logique d’embaucher Ty Segall pour la production du rock de Feels, autant le choix paraît plus surprenant pour le folk de Shannon. « Je voulais que ce soit un album joyeux et quand je pense à la joie et à la musique, je pense à Ty. Sa manière de fonctionner correspondait à ce que j’attendais. Il est super honnête. On s’est bien amusé. Mon disque précédent, Living Water, représentait un moment plus mélancolique de ma vie. Je voulais plus de soleil et d’espoir. Je n’avais pas vraiment de vision des arrangements. Je suis allée le voir avec mes enregistrements guitare-voix. On l’a fabriqué en deux semaines. Il avait un studio à l’arrière de son ancienne maison et il a amené plein d’idées géniales. »
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Shannon vit à Elysian Valley, pas loin du stade des Dodgers, la plus prestigieuse équipe de base-ball de Los Angeles. Le surnom du quartier, Frogtown, n’est pas dû à une invasion de Français dans les parages mais aux nombreuses grenouilles qui s’y promènent amenées par la L.A. River toute proche. Le folk est entré dans sa vie à l’adolescence. « Je découvre tout le temps de nouveaux artistes. Mais en secondaire, j’aimais beaucoup Bob Dylan, Nick Drake, Elliott Smith… Il y avait plein de trucs qui me parlaient. Ma mère écoutait du Barbra Streisand et du Bruce Springsteen. Des classiques, quoi. La musique est venue avec les amis. Ceux qui m’ont amené à l’herbe m’ont aussi emmenée à des concerts. Ils m’ont fait découvrir tous ces groupes. Je lie vraiment la beuh à ma découverte de la musique. Ils aident vraiment durant la colère adolescente. Tu te demandes quand tout ça va se terminer. Mais tu fumes des pétards en écoutant le Velvet Underground et tout va bien. »
Quand on lui parle de John Dwyer, le leader de Thee Oh Sees, qui a lui aussi travaillé dans la botanique psychédélique, la Californienne sourit. « On s’est pas mal défoncés ensemble. C’est le meilleur… L’herbe joue sur la créativité, je pense. En secondaire, un pote m’a montré comment la weed pouvait devenir cet incroyable « can do it » et t’aider à être créatif. J’adore le spliff. Vous dites spliff ici? Joint? Il y a une raison à sa longue illégalité. La marijuana t’ouvre l’esprit et ça n’arrange pas ceux qui nous dirigent. »
De Karen Dalton à Nick Drake
Sur August, le troisième album de Shannon Lay, de loin son meilleur, la singer-songwriter adresse quelques clins d’oeil aux légendes du folk. Elle revisite notamment le Something On Your Mind de Karen Dalton. « Je l’ai découverte assez récemment. Les paroles m’ont interpellée et collaient vraiment bien au message du disque. Tu dois essayer. Même si ça ne fonctionne pas, c’est important d’avoir tenté le coup. Il y aura des jours géniaux, des jours affreux. Des moments où tu te sens au bout mais c’est OK. Ça me parle vraiment. On a tous besoin de ce pense-bête. Continue d’avancer, ça va aller. Sa manière de délivrer les chansons est vraiment unique. Je l’ai enregistrée avec Ty. Il n’avait jamais entendu la version originale. En l’écoutant, il m’a dit: « On a fait quelque chose d’étrange là, non? » Il avait raison et c’était parfait. »
Si elle dit beaucoup aimer Steve Gunn, Jessica Pratt, William Tyler et Anna St. Louis, range Just Another Diamond Day de Vashti Bunyan et Nashville Skyline de Bob Dylan au rayon de ses disques folk favoris, l’Américaine est une fan inconditionnelle de Nick Drake. Elle lui dédicace d’ailleurs une chanson d’ August: November. Le mois de sa mort. En 1974… « Je me suis imaginé ce que ça signifiait de le perdre. Il comptait beaucoup pour les gens autour de lui. Plus que pour lui-même. C’était un vrai musicien. Il n’a pas eu l’attention qu’il méritait. Il est mort deux ans après la sortie de Pink Moon . Il aurait été énorme. C’est juste un son qu’on ne peut pas dater. J’ai pensé à ce matin, son dernier. Apparemment, il s’est levé, il a pris un bol de cornflakes, il est retourné dans sa chambre et a avalé trop de médicaments. S’agissait-il d’un suicide? J’ai imaginé le silence dans la maison. Sa maman qui se réveille, se demande comment il va et ne sait pas encore… Toute sa famille était dans la musique. C’est méga triste. Nick Drake me fascine. Tu n’as pas de vidéo de ses concerts, pratiquement aucune photo. C’est une énigme. Tu peux juste voir un documentaire plutôt fun sur YouTube. Au bout du compte, je lui demande s’il écoute, s’il va bien… S’il réalise combien les gens l’apprécient aujourd’hui. Tout ce que je lui souhaite. »
Cette chanson, Shannon Lay est même aller la lui chanter sur sa tombe à Tanworth-in-Arden, un patelin anglais situé au sud-est de Birmingham. « J’ai joué au Green Man Festival. Ce n’était qu’à une heure de là. On y est allés en pèlerinage… Tous les mois de juillet, ils ont un festival Nick Drake. Les gens mangent, boivent, jouent des reprises. Je rêverais d’y aller. En attendant, je me suis rendue sur sa sépulture. Et avant de partir, j’ai pris ma guitare, je me suis assise et je lui ai joué mon morceau. C’était un moment très cool que je n’oublierai jamais. »
Alors que la conversation dévie, Shannon, rigolote et pleine de vie, partage son intérêt pour la plage, la nage, la glande et les tueurs en série. « Je suis vraiment passionnée par les crimes, les histoires de serial killer. J’ai beaucoup aimé Mindhunter. Ce qui m’intéresse, c’est le côté extrême de la chose. De quoi l’être humain est capable. C’est un truc de fou quand on y réfléchit. Et en même temps, on a tous ces pensées (rires). Quand tu es dans la file au supermarché, tu as parfois envie d’étrangler la personne devant toi. Mais tu ne le fais pas. Ça me fascine vraiment. J’aurais adoré bosser là-dedans. »
Elle se contente d’écouter des podcasts comme Root of Evil sur l’affaire du Dahlia Noir et de lire des bouquins tel qu’I’ll Be Gone in the Dark. « Le livre parle du Golden State Killer. Un violeur en série qui a été actif pendant une trentaine d’années. L’ouvrage a paru deux ans après la mort de son auteure Michelle McNamara et deux mois avant l’arrestation d’un suspect. » Les planètes ne peuvent pas toujours s’aligner comme dans la vie de Shannon Lay…
August, distribué par SubPop. ****
Le 21/02 à La Rotonde (Botanique) avec Mikal Cronin.
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Keeley Forsyth
Comédienne et musicienne née à Oldham, dans le Grand Manchester, Keeley Forsyth sortait en janvier son premier album (Debris) à plus de 40 ans. Croisée dans la série britannique The Biz, dans Les Gardiens de la galaxie, The Devil Outside ou encore aux côtés du groupe de Sheffield The Eccentronic Research Council, Forsyth a le folk noir et possédé. Un must.
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Nora Brown
Elle joue du ukulélé, du fiddle, de l’accordéon et du banjo. Surtout du banjo. Elle est d’ailleurs récemment partie dans le Kentucky à la rencontre du champion de la discipline, l’ancien mineur aujourd’hui nonagénaire Lee Sexton… À seulement quatorze ans, Nora Brown est un phénomène. Un phénomène avec une voix d’un autre temps. Son premier album, Cinnamon Tree, est sorti en octobre.
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Aoife Nessa Frances
Elle n’est pas trop branchée réseaux sociaux et vient seulement de se mettre à Twitter. Âgée de 28 ans, l’Irlandaise Aoife Nessa Frances est plutôt du genre mystérieuse. Comme ce disque, Land of No Junction, son premier, qui invite dans les contrées reculées d’un folk rêveur subtilement arrangé, brumeux et enchanteur. Une Dublinoise à suivre.
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