Shamir, sucrerie musicale

Shamir © Ruvan Wijesooriya
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sensation pop flashy du moment, le jeune Shamir sort enfin son premier album. Derrière les tubes disco-house, un personnage et une voix hors-formats.

Il est précisément comme on se l’imaginait. On veut dire exactement. Assis dans un divan, au sommet d’un grand hôtel bruxellois, Shamir Bailey, 20 ans, a les cheveux en brosse (ou en plumeau, c’est selon), la moue un peu boudeuse, un visage poupon. Il ne vous serre pas la main, mais vous « hug ». Il a surtout cette voix si particulière, indéfinissable. Un timbre androgyne de crécelle, qui conviendrait particulièrement bien à un personnage des Simpson. Si l’on en doutait encore, Shamir ne feint pas: il chante comme il parle.

La première fois que l’on a entendu cette voix si singulière, c’était sur On the Regular, l’un des tubes les plus incongrus de 2014. Un ovni pop jouette et malin, qui non content de réhabiliter la cowbell, assumait joyeusement sa bizarrerie. Aujourd’hui, un album déboule pour tenter de confirmer l’essai. Sous perfusion disco-house, Ratchet est certainement moins extravagant qu’espéré. Il n’en reste pas moins un drôle de disque, révélant surtout une drôle de personnalité.

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Shamir Bailey est né et a grandi du côté de Las Vegas, mais loin des casinos et du Strip: en banlieue, en face « d’un élevage de cochons », dixit sa bio. Ni strass, ni paillettes donc, mais bien le bruit et l’odeur. On repense au Chardonneret, le best-seller de Donna Tartt qui inscrivait une partie de son intrigue dans cette partie moins glamour de Vegas. Shamir l’a lu: « C’est exactement ça. Northtown, l’endroit où j’ai grandi, ressemble tout à fait au décor du livre. C’est le Vegas que je connais. Le côté dur, âpre. Ce n’est qu’à une demi-heure du centre-ville et des casinos. Mais c’est un autre monde. Il n’y a que des montagnes et de la poussière. Une fois que vous quittez le Strip de toute façon, vous réalisez que vous êtes au milieu du désert. »

A 9 ans, il tombe sur les Who à la télévision, qui chantent My Generation. Malgré le gap temporel, Shamir Bailey a la mâchoire décrochée, fasciné par ce qu’il vient de voir. « Quelques jours plus tard, chez le disquaire, je suis tombé sur le best of du groupe. J’ai supplié ma mère de me l’acheter. Elle a bien trouvé ça étrange, mais elle a fini par craquer. » Au même moment, le gamin reçoit une guitare acoustique. « J’avais envie d’écrire mes chansons, et je savais que pour me lancer là-dedans, je devais apprendre un instrument. Ma tante est aussi songwriter, mais elle ne chante pas et ne joue pas. Elle doit toujours compter sur d’autres musiciens. J’avais envie d’être autonome. » On continue à remonter le fil biographique. Première chanson? « A 13 ans. L’histoire d’un mec qui se fait buter par sa copine. Je l’avais appelée Devil’s Bride. » D’accord… Premier concert? « Aussi à 13 ans. Sara Bareilles, et puis la même semaine les… Jonas Brothers. » Il rougit presque. « C’était génial. L’un des meilleurs moments de ma vie! » Gloups.

Pop freak

Heureusement, arrive l’adolescence, et avec elle ses sorties de route. A 16 piges, Bailey découvre les Slits (« Cut reste mon album préféré de tous les temps »), et se retrouve dans un groupe punk (le duo Anorexia). « Mais il l’était surtout dans son approche. Derrière le bruit, il y avait toujours les mélodies, un peu comme chez les Vivian Girls, l’un de mes groupes favoris. » A ce moment-là, le portraitiste en recherche de fil conducteur commence tout de même doucement à pédaler dans la semoule: où et comment caser Shamir? Et surtout que cherche-t-il? La célébrité? « Non, cela m’effraye plus que tout. J’ai l’impression que cela vous fait perdre toute votre humanité. Les gens que j’admire le plus, comme Daniel Johnston par exemple, sont très peu connus. » En attendant de se recycler éventuellement dans la cuisine ou la comédie au cas où la musique ne marche pas, Shamir est tout de même signé chez XL Recordings, label « overground » par excellence, qui a souvent réussi à « vendre » et « breaker » les projets les plus originaux (sans forcément les dénaturer). « Le fait est que j’aime aussi la pop. Son grand avantage est qu’elle vous offre plus de possibilités. Vous ne devez pas coller à un certain son, à certaines règles. Vous êtes plus libre. »

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La voilà donc, la ligne de conduite de Shamir Bailey. Rester le plus mobile possible. Surtout ne pas se laisser coincer dans une case ou l’autre. Pouvoir se laisser aller à une pop ultra-catchy et vénérer les icônes jazz Billie Holiday et Nina Simone, dont il admire les parfaites imperfections vocales. Envoyer valser par la même occasion le cliché du Noir américain qui fait forcément du rap pour proposer à la place des friandises house queer. « Mais cela n’a jamais été un plan. Je suis juste comme je suis. »

On le croit. Pas plus que dans les autres tiroirs, Shamir ne compte se laisser visiblement enfermer dans le rôle de « porte-drapeau ». Peu importe la communauté. Même sur la question raciale, qui n’arrête pourtant plus d’occuper les conversations aux Etats-Unis, le jeune homme botte en touche. Après un instant de réflexion, il explique: « Je pense que si vous vous comportez en victime, que vous passez votre temps à vous plaindre, c’est du temps que vous avez tout simplement en moins pour agir. Je ne veux pas être celui qui passe ses journées à se lamenter et à ruminer sur ce qu’on lui fait subir, à crier à quel point son peuple est encore et toujours opprimé, ou à examiner les circonstances dans lesquelles est mort Michael Brown. Je préfère me bouger pour aider. Evidemment qu’il y a un gros souci aux Etats-Unis. Et ne me comprenez pas mal. Je connais plein de gens qui s’activent, essaient de faire avancer les choses. Mais il en faudrait encore davantage. Personnellement, j’essaie juste d’être qui je suis, de faire ce que je fais. De montrer cette toute nouvelle image de ce que peut être un jeune Américain, Noir, et queer. Je ne dis pas qu’il y a un grand plan là-derrière. Mais j’espère quand même que cela aide les gens à réaliser qu’il n’y a pas qu’un seul type d’Afro-Américain: le grand baraqué, forcément un peu effrayant, qui vous donne envie de lui tirer dessus (rires). »

SHAMIR, RATCHET, XL RECORDINGS. ***

En concert le 25/05, à l’Ancienne Belgique, Bruxelles.

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