Sfinks, éternelle renaissance

Manou Gallo © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Malgré une météo extrême, le festival anversois reste un rare endroit de convivialité internationale, entrée gratuite et musiques du monde comprises. Compte-rendu.

À une dizaine de kilomètres au sud-est d’Anvers, la coquette commune de Boechout connait quatre jours de son Woodstock annuel. Woodstock pour la boue certifiée de ce dimanche 28 juillet 2019 et aussi les teintes bariolées d’un public plus baba que bobo. Avec un maximum de kids qui y bénéficient de leur propre village avec concerts et collations. La présence naturelle des familles sur le terrain de dix hectares est d’ailleurs l’un des facteurs ayant amené moins de monde à l’édition pour cause de températures extrêmes: « La canicule de jeudi et vendredi a découragé les gens, particulièrement ceux qui ont des enfants, les conditions étaient trop dures. Et puis hier samedi, il n’a pas cessé de pleuvoir ». En ce dimanche après-midi, Patrick De Groote, patron du festival, avoue que le nombre de visiteurs attendu, aux environs de cent mille, sera sans doute à diviser par deux une fois les comptes faits. Pourtant, la foule est bien là, avec ou sans poussettes dans un décor un rien moins bien sapé que celui de Couleur Café, mais aux intentions pareillement métissées. Sauf qu’ici, on ne paie pas d’entrée et que les musiques urbaines restent en retrait par rapport à l’exotisme naturel de la prog. Avec une louche de militantisme qui préserve le Sfinks de la norme corporate de fonctionnement de la quasi-totalité des festivals belges grand public. Il y a étonnamment peu de francophones alors qu’on est à cinquante bornes à peine de Bruxelles et que ce samedi soir, l’attraction principale s’appelle Les Négresses Vertes. Trente piges après des débuts en fanfare scellant une nouvelle génération pop française -de laquelle sortira aussi La Mano Negra- la gouaille des parigots reste étonnamment populaire en Flandre, le groupe revenant d’ailleurs au Roma anversois en novembre. Sans doute parce que les chansons sont traversées de rythmes latins et de parfums tziganes volontaires, inaltérable passeport international.

Robotboy
Robotboy© Philippe Cornet

Native du Congo

Mais ce dimanche après-midi, c’est l’Afrique qui squatte les scènes. La petite, un podium, donne aux Tambours sacrés de la Réunion, l’occasion de faire un joli boucan synchro qui amuse les enfants. Y compris ceux qui se bouchent les oreilles, vampirisés par la chorégraphie des percus suivant celle des corps de l’océan Indien. À une centaine de mètres de là, surgit d’une tente noire un jeune homme au corps noueux, Robotboy Danniel Toya: ce Kinois sculpte des objets loufoques à base de matériaux de récupérations avec tout le génie congolais de faire beaucoup avec pas grand-chose. Une galerie de personnages qui tient un peu du fantasme des morts mexicains, de la galerie primitive et de l’école de recyclage. Stetson vissé sur le crâne, gants de cuir et torse nu, Robotboy se met à danser sur un grésillement funky devant une petite assemblée interloquée: on y voit notamment cette dame du troisième âge danser avec son parapluie. Une native -blanche- du Congo il y a 83 ans, comme elle nous l’expliquera dans un parfait français.

Sfinks, éternelle renaissance
© Philippe Cornet

On la retrouve d’ailleurs un peu plus tard sous la Concertent où les Sénégalais de l’Orchestra Baobab font chauffer la colle: depuis leur retour au début des années 2000, ces vétérans de Dakar n’ont cessé de réinventer le plaisir en fusionnant les traditions de l’Afrique de l’Ouest, la rumba et des mélodies de porcelaine. Gros succès même si c’est une autre prestation sur la même scène deux heures auparavant qui reste le souvenir du jour. Celle de Manou Gallo, Ivoirienne de Bruxelles, ayant récemment fait parler d’elle pour avoir convié Bootsy Collins à produire son album. Aux côtés de Chuck D de Public Enemy, Manu Dibango et Zap Mama. Groupe où elle a joué de la basse, instrument qui mène la danse sur des accords aussi colorés que sa veste, inspirée de la garde-robe de Prince. Les fringues sont funky, le concert tout autant, boosté par deux cuivres, une guitare, des claviers et une batterie, intégralement au service de l’électricité basse de Manou. Celle-ci gronde, caresse, fusille, se met à l’orage ou dope les mélodies royalement rythmées. Impressionnant et ludique, notamment lorsque, restée seule en scène, Manou se fait une sorte de Zap Mama instru, avec l’aide d’une petite bouteille et de pédales miracles. Elle et sa basse seront le 13 octobre à Roubaix et le déplacement en vaut la peine.

Sfinks, éternelle renaissance
© Philippe Cornet

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