Roscoe: « avoir un autre boulot, c’est la garantie qu’on fait de la musique pour les bonnes raisons »
Et si le Mont Royal des Liégeois de Roscoe était le plus beau rock jamais sorti de Wallifornie? Loin d’une poreuse image de boys de la classe moyenne, l’intense affaire est menée par Pierre Viking Dumoulin…
Roscoe. Une entité, une démocratie, une fédération où chacun ouvre sa gueule pour clore une idée prise à l’unanimité. Où tout le monde, ou presque, a un autre boulot que la musique. Cinq musiciens: Emmanuel Delcourt (claviers), 31 ans, Français migré à Liège, Premier Prix de Conservatoire en guitare/piano et études de musicologie à la Sorbonne, également guitariste chez My Little Cheap Dictaphone. Pierre Minet (guitare), 32 ans, Liégeois, animateur dans une MJ. Luc Goessens (basse), 32 ans, Liégeois qui « pimpe les vans ». Ben(oît) Bovy (batteur), 30 ans, Liégeois, chercheur à l’université en Sciences de la Terre. Pierre Dumoulin, 32 ans (chanteur-guitariste), Liégeois, travaille dans la com’ pour une fédération « qui redore l’image des métiers techniques en Wallonie ». Ce dernier est le « communicant, et comme les chanteurs, je suis un peu le plus fort en gueule. La présence physique doit jouer. L’autre boulot, c’est la garantie absolue qu’on fait de la musique pour les bonnes raisons, qu’on peut franchir les étapes de manière graduelle, qu’il n’y a aucune épée de Damoclès obligeant à sortir un tube, que la musique est notre passion première. On en mourrait si on n’en faisait pas… »
Origines. Dumoulin: « Mont Royal est arrivé après des milliers de titres essayés. On avait fait un très mauvais concert à Montréal et on s’était pris une cuite: le lendemain, on est allés se promener au Mont Royal, une colline qui domine la ville et on y a senti une vibration terrible. Une façon de se dégager de notre zone de confort et, quand même, de retrouver une sorte de chez soi. Je suis d’ailleurs allé composer une partie des chansons là-bas, j’y ai l’impression d’être surpuissant (sourire). Mais, au final, cet album est proche de la sérénité. »
Suite. Dumoulin: « Pour ce deuxième album, on a d’abord pensé travailler avec Valgeir Sigursson qui a bossé entre autres avec Feist, mais on s’est rendu compte que ce serait quinze jours en Islande ou ici, et basta. On avait besoin de quelqu’un qui s’investisse davantage: aux Pias Nites, j’ai rencontré le producteur hollandais Luuk Cox et parce que je savais qu’il avait collaboré avec les Girls et MLCD, qu’on allait me casser les pieds avec cette filiation qui n’existe pas, je lui ai donc dit qu’on ne bosserait jamais ensemble. Par après, il a vu notre session Belgacom TV de trois chansons et est revenu vers moi avec l’envie forte de faire le disque. On voulait réapprendre à écrire, que tout se tienne en guitare-voix: Luuk nous a transfigurés (sic), nous a constamment poussés, s’est investi à fond. Il venait chez moi pour des sessions d’écriture et il a également passé beaucoup de temps à chercher des sons, des synthés rares. On a voulu trouver, sans sonner comme qui que ce soit d’autre… »
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
Campagnes. Dumoulin, qui habite une maison dans le vieux quartier de Sainte-Marguerite (sorte de Molenbeek liégeois qui se boboïse lentement, ndlr), foutait régulièrement le camp en verdure pour écrire. « Il m’arrive d’aller dans des gîtes des Ardennes quelques jours. J’emmène une guitare, un petit clavier et un ordi, besoin de me calmer, que le cerveau ne parte pas dans tous les sens. La nuit, je me relève, je pense à mille choses. Faut structurer mes pensées, me calmer et le fait d’avoir deux vies, la musique et l’autre, nécessite de cloisonner. La chanson Nights est née une nuit -j’adore la nuit…- d’une simple nappe de synthé. »
Outre-Atlantique. Dumoulin: « La maîtrise de la langue anglaise est essentielle. En 2000, je suis allé refaire ma rhéto dans l’Etat de Washington: j’habitais une petite ville, Ferndale, au nord de Seattle où j’allais tout le temps, comme à Vancouver. Croisant parfois la trace de Nirvana et des autres (sourire). C’est là que j’ai appris l’anglais que je cultive. La langue tout court d’ailleurs: le morceau qui ouvre l’album, Fresh Start, est parti d’un livre de Milan Kundera, La Lenteur, qui fait l’éloge du temps à prendre dans les relations humaines. »
Equipement. Dumoulin: « Tout le fric qu’on a pu gagner avec les tournées du premier album Cracks -vendu à 4000 exemplaires, 80 concerts donnés-, on l’a réinjecté dans le matériel. Avec le nouveau set up, et notamment l’investissement d’écouteurs In-ear qui remplacent les vieux retours sur scène (plus de 2000 euros par musicien, ndlr), on peut se déposer partout. On avait besoin de maîtriser les sources pour être nous-mêmes envoûtés par notre propre musique. On utilise pas mal de synthés midi reliés aux ordis, plutôt que de se racheter des trucs coûteux. J’avais cru que payer cher une guitare à cordes de nylon pour restituer exactement le son d’un titre du premier disque était sensé. Mais non, les gens s’en foutent, ils veulent juste que cela sonne. Et désormais, ça sonne! Dans ce monde où les artistes ne savent pas de quoi ils vont vivre, tout le monde semble un peu perdu. J’adore ces moments de crise: cela renforce à crever le processus créatif et repose les bonnes questions. Pourquoi je fais de la musique? Ai-je envie d’avoir une autre vision? Avec l’économie au centre de toutes ces questions auxquelles je n’ai pas de réponse. Il faut savoir qu’à exposition égale, un groupe rock flamand vend quatre fois plus que son équivalent francophone. Mais la normalité économique, personne ne sait ce qu’elle va être. »
Roscoe – Mont Royal ****
Les onze chansons plutôt lentes de ce deuxième disque s’insinuent d’emblée par la voix et les instrus, d’une présence émotionnelle qui pousse à l’osmose: on devient peu à peu le disque. Vieux fantasme alchimique: la musique répond à des qualités souvent proclamées -hypnose, intimité, sensation amniotique, densité- mais rarement portées ainsi sous nos latitudes ou ailleurs. Plusieurs titres majeurs encadrent l’album, Fresh Start, Nights, Shore, Edges: ils ont les ailes assez larges pour migrer un peu partout sur la planète rock et faire de Mont Royal un oiseau d’envergure. Qui, de toute évidence, fait planer.
DISTRIBUÉ PAR PIAS.
Le 11 juillet aux Ardentes, le 17 juillet à Dour, le 4 février à l’Ancienne Belgique…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici