Rencontre avec Meskerem Mees, l’avenir de la folk belge qui se conjugue au féminin

"Je me suis longtemps opposée à tout ce qui sonnait trop moderne. Ce disque est très minimaliste. Je m'intéresse à un tas de choses. Derrière, je peux partir dans un million de directions." © ANNEKE D'HOLLANDER
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec Julius, son premier album, Meskerem Mees sort à 22 ans l’un des plus merveilleux disques de folk made in Belgium. Rencontre longue, bavarde et mélomane chez la singer-songwriteuse gantoise avant une inévitable consécration.

Gamine, elle avait participé à Wie Wordt Junior?, l’Eurovision pour les enfants. « On avait filmé une petite vidéo avec mon neveu alors qu’on était en vacances dans un Center Parcs. Je ne pensais jamais qu’ils me sélectionneraient mais je me suis retrouvée à la télé. Ce n’était pas une grande idée. J’ai surtout compris que si tu voulais faire quelque chose de bon, t’avais tout intérêt à y aller de ton côté. » L’an dernier, bravant le virus et le confinement, Meskerem Mees a caracolé en tête de De Afrekening sur Studio Brussel avec son single Joe et remporté le Humo Rock Rally. Une folk fragile, délicate, intime, sur le fil. Une guitare acoustique qu’elle a étudiée classique, un violoncelle et une voix magique… Son premier album sort le 12 novembre mais Meskerem Mees n’est déjà plus une inconnue de l’autre côté de la frontière linguistique.

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Meskerem est née en Éthiopie et a atterri à la naissance dans un orphelinat d’Addis Abeba. Elle est arrivée en Belgique à dix mois. « Mes parents avaient adopté mon frère deux ans auparavant. Ils voulaient un autre enfant et ils sont venus me chercher. J’ai un deuxième frangin de deux ans mon cadet. On est tous les trois Éthiopiens mais sans aucun lien biologique. On a grandi dans une ancienne ferme à la campagne. À 20 minutes en voiture d’ici en direction de la côte. »

Cette demeure familiale, Meskerem en revient quand on la rencontre dans l’étroite maison blanche où elle a emménagé à Gand avec son petit ami, musicien lui aussi. « C’est un vaste domaine qui demande de l’entretien. Mes parents vieillissent. Ça m’effraie que ce ne soit plus à nous et que je ne puisse plus y retourner. Quand tu vis en ville, tu es toujours occupé. Enfin, tu as toujours l’impression de l’être. Là-bas, tu vis à un autre rythme. Tu es au calme. Sans voisin. Tu as de l’espace et des animaux. »

Notamment l’âne qui figure sur la pochette de son disque et à qui l’on doit également le titre de l’album. « Il s’appelle Jul mais quand il fait des conneries, je l’appelle Julius. » Ça lui va bien à Meskerem qui avait dans un premier temps participé à un shooting avec Stephan Vanfleteren, photographe belge célèbre pour ses portraits intenses en noir et blanc… « C’était trop chic et propre pour moi. Ces photos donnaient l’impression que je me rendais à la cérémonie des Oscars. Ce n’est pas du tout d’où je viens. Ça ne correspondait pas vraiment à ma musique non plus. J’étais assez mal à l’aise de décliner cette opportunité, mais c’est aussi une manière de dire: ne prenez pas les choses trop sérieusement. C’est génial que des gens aiment, s’intéressent, mais ce ne sera jamais rien d’autres que des chansons écrites par une adolescente perturbée quand elle avait 16 ou 17 ans. »

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Super-pouvoir

Meskerem est la fille de deux biologistes. Sa mère enseigne. Son père travaille au Vlaams Instituut voor de Zee. « Quand on partait en vacances, ils nous emmenaient toujours dans de longues promenades et nous expliquaient tout ce qu’on voyait. Papa a même voulu un temps qu’on appelle tous les oiseaux par leur nom. Ça n’a pas marché… » Meskerem se marre. Elle est souriante, spontanée, passionnée, volubile. « J’aime les effets de la nature. Son silence. Le fait qu’elle t’inscrive dans l’instant présent. Tu y disparais de la surface de la Terre pour un moment. Tout cet environnement m’a ouverte aux choses créatives de la vie. J’ai passé l’été de mes 12 ans dans le garage à lire des livres et à écouter les Beatles. Je connaissais toutes les chansons par coeur. Je me sentais heureuse et détachée du monde. Dans mon propre petit univers. C’est la magie de cette maison et de ce foyer qui m’ont procuré tout ça. Tu as l’impression d’y avoir le temps. Le temps de réfléchir. Ça a été une épiphanie quelque part. Je me suis demandé qui j’étais. Où j’allais. Ce que j’aimais. La musique était fondamentale. »

Meskerem ne vient pas d’une famille de musiciens mais son père est un grand mélomane. Elle se souvient des soirées qu’il organisait, des invités qui devaient venir avec un disque à faire découvrir à la communauté. Elle parle de rock, de jazz. De Warren Zevon, The Clash et Bob Dylan. Freewheelin’, Self Portrait… « Mon père avait plein de folk et de vieilles chansons traditionnelles américaines dans sa discothèque. Elles me rendaient heureuse. J’aimais le fait que personne d’autre ne connaisse et n’écoute. C’est le son de mon enfance. » Loin des gratouilleurs du dimanche et des guitaristes autodidactes plus ou moins accomplis, Meskerem Mees a commencé la guitare à l’âge de 8 ans. « Mes frères jouaient au foot. J’aurais voulu moi aussi mais il n’y avait pas d’équipe féminine. J’ai fait de la gym, de l’athlétisme, de la natation. Et le seul truc sur lequel je suis restée coincée, c’est la musique. Au début, la théorie, c’est pas très drôle mais l’idée de créer des atmosphères, de pouvoir faire ressentir des choses aux gens juste en jouant des notes me parlait. Je ne savais pas ce qui rendait heureux ou triste mais j’adorais comment l’humeur et l’atmosphère dans une pièce pouvaient changer quand je jouais. J’avais l’impression d’avoir un super-pouvoir. Après, tu y ajoutes des mots et avant que tu ne le saches, tu écris des chansons. »

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Âme soeur

Après avoir terminé ses secondaires dans une école artistique à Evergem, le genre d’établissements où on prépare les élèves spécifiquement pour le conservatoire, Meskerem ne peut plus voir une guitare. « Je devais me réinventer. J’ai fait un pas de côté. Je n’étais pas très heureuse. Je voulais aller aussi loin que je le pouvais de tout et de tout le monde autour de moi. En ce compris ma famille. Je voulais partir en Finlande. Parce que c’était sombre et froid. Et que personne ne viendrait m’y voir. Ma mère m’a dit: « Tu n’iras pas en Finlande, tu es bien trop déprimée. » Du coup, je me suis retrouvée au Danemark. »

Elle s’y inscrit dans une école internationale qui ne remet pas de diplôme mais dope la créativité… « Musique, danse, cuisine, entrepreneuriat… Tu choisis les sujets qui t’intéressent. C’était parfait pour trouver ce que je voulais faire en rentrant. Et j’y ai rencontré plein de gens incroyables. J’avais le sentiment d’avoir cette drôle d’expérience de vie, tous ces sentiments en moi, et je ne voyais personne avec qui partager ça. J’avais des amis mais pas d’âme soeur. Quand tu la trouves, c’est une délivrance, un soulagement. Tu te dis: OK, tu me comprends. Je ne suis pas cette chose étrange, bizarre. Je ne me sens plus complètement seule. »

L'avenir de la folk belge se conjugue au féminin et s'appelle Meskerem Mees.
L’avenir de la folk belge se conjugue au féminin et s’appelle Meskerem Mees.© PATRICK BLOMME

C’est là-bas, au pays des Vikings, que Mees prend confiance. Elle avait déjà quelques chansons dans ses valises. Elle en écrit d’autres. Notamment Song for Lewis, le tout jeune fils de son prof de musique… De retour au pays, elle se lance à l’université, en Histoire de l’art. « J’ai arrêté. Encore. Toujours. Je suis très forte pour arrêter les choses. » Et entame derrière des cours pour devenir prof de musique. « Je ne savais pas trop ce que je voulais. Je commençais à jouer dans des clubs de Gand. À la fin de l’année, il est devenu clair que je pouvais devenir musicienne professionnelle. J’aimais ces études mais pas tant que donner des concerts. J’ai quitté à nouveau. »

Pour l’assister sur scène et sur la route, Meskerem a embrigadé une pote, Febe Lazou, au violoncelle. « Je lui ai proposé qu’on joue ensemble. Si elle avait été trompettiste, j’aurais été accompagnée d’une trompette. » À l’époque, elle n’est pas encore entrée dans le circuit des concours. Elle a juste rempli un profil sur un site web où elle postule pour des concerts. Dans un café à Tielt où elle est interrompue en plein milieu d’une chanson par un livreur de pizzas, le barman la branche avec un pote courtraisien. Il a un label, Mayway Records, et la met en contact avec Koen Gisen. Ensemble, ils enregistrent quelques chansons dont Joe, son premier numéro 1… « Ce n’était pas clair pour moi avant de l’avoir terminée. Joe, c’est une référence au fait de ne pas savoir ce qu’on veut. J’ai commencé à l’écrire à l’université. Je n’étais pas très bien. Assez stressée. Ça parle d’essayer de comprendre ce qu’on désire vraiment. De la sécurité, un diplôme ou alors le risque, l’aventure, ce qui nous fait vibrer. »

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La chanson cartonne sur StuBru. Elle l’entend même à l’antenne pendant qu’elle dispute les demi-finales du Humo Rock Rally. « Je n’ai pas joué le morceau. Ça aurait été bizarre. Presque comme tricher. Je ne comprenais pas ce qui excitait autant les gens. Pourquoi ils aimaient ce que je proposais tout à coup. Ça me fait plaisir, mais je n’ai pas inventé l’eau chaude. Je ne fais rien que personne n’a déjà fait. » Meskerem évoque Johnny Flynn, qu’elle est allée voir avec son père au Botanique à 13 ans. Cosmo Sheldrake, « qui a sorti un album avec des chants d’oiseaux anglais en voie de disparition« . Mais aussi Laura Marling (« surtout son premier album« ), Kimya Dawson, Jeffrey Lewis, à qui elle voue une grande admiration et dont elle a tous les comics. Elle cite également de plus ou moins illustres inconnus comme Jake Thackray ou Joanna Sternberg. Elle les a pour la plupart dessinés. « J’ai pris une photo de son portrait et la lui ai envoyée sur Instagram. Maintenant, on communique. Elle m’a demandé de lui envoyer mon disque. »

Comme Joe, Julius a été enregistré à Gand au studio La Patrie avec Koen Gisen. Ce découvreur de talents qui avait déjà mis en boîte le premier Bony King of Nowhere… « Koen a insisté pour que je reste en phase avec le format de mes chansons. Histoire de garder une certaine homogénéité. On voulait que l’auditeur vive une expérience en écoutant ce disque. Qu’il puisse s’asseoir, appuyer sur play et plonger dans mon univers. » Bram Vanparys, le Bony King, a pour la petite histoire mixé un titre de l’album. « Koen était tombé de cheval et a été immobilisé pendant un moment. Il était alité au premier étage et son studio est au rez-de-chaussée. Il a appelé Bram, qui est venu s’occuper du mixage. Ils communiquaient via WhatsApp. Tu dois mettre un peu moins de ceci, un peu plus de cela, tourner ce bouton. C’était très drôle. »

Médicament

La naïveté relative de la jeunesse colle merveilleusement bien à la simplicité d’une voix et d’une guitare. Surtout quand elles sont aussi jolies que celles de Meskerem Mees. « Je suis encore très jeune mais je l’étais encore plus quand j’ai écrit toutes ces chansons. Je suis sûre qu’un jour tout ça m’embarrassera. Tu grandis. Tu évolues. Tes idées changent. Et en même temps, ta manière de voir le monde. Ce disque sonne comme quelqu’un qui débute. Petit, hésitant, fragile. Je passe ma tête à la fenêtre pour dire que j’existe. »

Meskerem a appris à chanter plus fort tout en sonnant doux et joli. À porter l’émotion dont la chanson a besoin. À chanter vraiment. Plus comme dans sa chambre. À ne plus être timide. « Je me vois davantage comme une songwriteuse que comme une chanteuse, avoue-t-elle. J’écris mes textes sur des mélodies. Mais selon moi, il est important que ces mots tiennent la route tout seuls sur une page. J’apprécie cette idée que les paroles sont juste de la poésie mise en musique. » La Gantoise parle de Woody Guthrie, de Keats, de Byron ou encore de Niemandsland, un recueil de poèmes écrits par des soldats. Elle fait découvrir sur Spotify ce dont elle parle et sort un bouquin de poésie de Bukowski que lui a filé son père. « Pourquoi je fais de la musique? Parce que je ne peux pas ne pas en faire. C’est mon médicament quand je me laisse submerger par la vie. La musique a toujours été là. Quand je me posais trop de questions, quand je ne savais pas où j’allais… À 12 ans, je portais le poids du monde sur mes épaules. J’avais du mal à dire ce que je ressentais. Et certains disques, certaines chansons étaient des réponses aux questions que je n’osais pas poser. J’avais une chaise dans ma chambre tournée vers la stéréo sur laquelle je m’asseyais pour écouter de la musique et pleurer. Pas de manière hystérique. Me sentir triste et heureuse à la fois. Vivante. J’espère de tout coeur procurer ce sentiment. »

Le 05/12 au Botanique, le 07/12 au Handelsbeurs, le 09/12 à De Roma, le 16/12 au Reflektor, le 17/12 au Cactus…

Meskerem Mees – « Julius »

Distribué par Mayway Records. ****(*)

Rencontre avec Meskerem Mees, l'avenir de la folk belge qui se conjugue au féminin

Tout doux et dépouillé, c’est l’un des plus beaux et désarmants disques de folk sortis dans ce Plat Pays. Une merveille d’album et une collection de treize comptines fragiles chuchotées à l’oreille par un bout de femme à situer quelque part entre Joni Mitchell, Nina Simone, Carla Bruni et Alela Diane. Avec des petites perles de la trempe de Parking Lot, The Writer, Astronaut et autre Song for Lewis, Julius mettra vos enfants au lit. Vous réconfortera dans les moments de blues et vous accompagnera quand la nuit tombe trop tôt. Un remarquable disque crépusculaire pour une singer-songwriteuse à l’aube d’une grande carrière.

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