Rencontre avec l’acteur/chanteur Caleb Landry Jones: « Les Beatles, c’était un peu comme mon ourson préféré »

Multi-instrumentiste, Caleb Landry Jones joue de la guitare, de la batterie et du piano sur The Mother Stone. Il y a aussi convié une vingtaine de musiciens dont Robert Levon Been du Black Rebel Motorcycle Club. © JACQUELINE CASTEL
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pistonné par Jim Jarmusch, l’acteur Caleb Landry Jones sort à 30 ans un album ambitieux et foisonnant qui doit autant au White Album qu’à Syd Barrett. Il partagera cet automne l’affiche de Bios avec Tom Hanks.

« Are you alright? You got a bone sticking out your arm. » Se promener avec son pote à vélo et faire remarquer à un tueur à gages psychopathe incarné par Javier Bardem qu’un os lui sort du bras. Le tout dans un film des frères Coen en compétition officielle à Cannes. Jolie épiphanie. En 2007, Caleb Landry Jones fait ses débuts discrets au cinéma dans No Country for Old Men. Treize ans et un bout de carrière hollywoodienne plus tard, le comédien, acteur insaisissable et musicien touche-à-tout, profite du confinement pour parler de son premier véritable album solo (The Mother Stone) depuis la ferme texane de ses parents.Entre la musique et le cinéma, le coeur de Jones balance. « J’aime le divertissement. J’aime la performance. Jouer des choses aux gens. Inventer des histoires. Créer des sketchs. Dessiner. Gamin, je pensais que ça ne mènerait à rien. Je me suis obstiné et c’est devenu une facette normale de ma vie. »

À 30 ans, Caleb a déjà été le meilleur ami de Walt Junior dans deux épisodes de Breaking Bad, un soldat franc-tireur dans Queen and Country de John Boorman ou encore l’homme violent et toxicomane d’Amanda Seyfried dans la troisième saison de Twin Peaks. Il a aussi incarné Sean Cassidy, alias Le Hurleur (Banshee) dans X-Men: le commencement, un super-héros qui vole grâce à ses cris. « Mon amour de la musique vient probablement de mes parents. Mon père qui travaillait dans la construction en écoutait beaucoup. À la maison mais aussi dans la bagnole. Le Texas est tellement vaste… Généralement, on devait rouler une heure ou deux minimum pour arriver sur un chantier. Il mettait Hank Williams, Stevie Ray Vaughan. On écoutait beaucoup la radio. Ma mère, elle, est singer-songwriter et joue du piano. Elle donnait des cours à la maison mais elle n’a jamais sorti de disque. »

Un arbre généalogique à la fibre mélomane comprenant encore un grand-père qui composait des jingles pour des spots publicitaires… Né le 7 décembre 1989 à Garland, près de Dallas, Caleb commence à jouer de la musique à l’église et fait du théâtre à l’école. « C’est grâce à mon prof que j’ai décroché ce petit rôle chez les Coen. Il a invité une agence artistique dans notre établissement scolaire. On a tous fait des monologues. J’ai signé. Et quelques mois plus tard, j’ai décroché une audition pour No Country for Old Men. À la maison, on avait la BO d’O’Brother… Mes parents avaient adoré le film. C’était excitant pour toute la famille. »

L’ado est bluffé. Il sait au fond de lui qu’il a trouvé ce qu’il cherchait. « J’ai rencontré des gens qui travaillaient dur pour créer des choses en lesquelles ils croyaient. Des gens avec une forte éthique de travail, extrêmement conscients de ce qui avait été réalisé par le passé. Je n’avais jamais fait partie d’un projet aussi magique. Tu avais toute cette équipe à l’oeuvre en train de bosser sur un truc qui était dans la tête de quelqu’un d’autre. Tout le monde s’unissait pour que ça se passe. J’avais seize ans. Je craignais que l’occasion ne se représente jamais. J’avais l’impression d’avoir vu un mirage dans le désert, quelque chose qui n’existe pas vraiment. Mais je savais que c’était là, que c’était possible. C’est le moment où je me suis mis à regarder davantage de films. Les Kubrick, les Bergman… Réaliser que j’avais participé à quelque chose de ce genre m’a retourné. »

Jones décroche de petites apparitions dans Superbad, The Social Network. Puis un peu plus de boulot dans The Last Exorcism. « J’ai alors gagné assez d’argent pour pouvoir me demander ce que j’allais en faire. Je me suis dit qu’il pouvait me permettre d’investir dans un disque, dans un studio. Ou peut-être de déménager quelque part comme New York. Je ne savais pas quoi mais je savais que je devais faire quelque chose de ce fric. »

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Plus de 700 chansons…

Le cinéma a beau lui avoir ouvert lentement ses portes, Caleb n’a jamais délaissé la musique. Avec son pote Robert Hudson, il a créé le groupe Robert Jones. Ils tapent dans un rock psychédélique vaguement garage et fréquentent régulièrement une galerie, le Space, à Dallas. « À l’époque, on était dans Warhol, la Factory, le Velvet Underground. On n’en connaissait pas grand-chose mais on poursuivait l’idéal. On aimait bien The Black Angels. Une petite scène s’est constituée rassemblant des artistes indépendants du coin. Des photographes, des sculpteurs, des peintres, des cartoonistes, d’autres musicos. Robert se chargeait de nous trouver des concerts. Mais à un moment, ça a cessé de m’amuser. Peut-être parce qu’on jouait devant trois personnes et nos parents. J’espérais une réaction plus enthousiaste, plus instantanée. Puis je prenais trop de médocs. J’avais la peau sur les os. Je ne mangeais pas des masses. C’était juste parfait pour les auditions que j’ai eues l’année d’après (rires). »

Le Texan attire les rôles de tordus. Brandon Cronenberg, le fils de David, lui offre celui d’un employé dans une clinique où les patients se font injecter les maladies de leurs idoles (Antiviral). Les frères Safdie lui confient celui d’un héroïnomane qui demande à sa copine de se trancher les veines pour lui prouver son amour (Heaven Knows What)… Tandis que dans le film d’horreur politique Get Out, il enlève de jeunes hommes noirs pour y implanter les cerveaux d’amis, une pratique familiale élaborée par son grand-père fasciné par les Afro-Américains depuis que Jesse Owens l’a battu à la course aux J.O. de 1936…

Quand son pote Robert est parti étudier à Nashville, Jones a commencé à faire de la musique tout seul. Bossant à l’époque la nuit dans un restaurant qui ouvrait 24 heures sur 24 à côté d’un Comedy club. Il dit aujourd’hui posséder plus de 700 chansons dans son catalogue. The Mother Stone, son premier album, a bénéficié d’une sortie officielle, a essentiellement été écrit alors qu’il tournait The Kindness of Strangers (l’histoire de six inconnus traversant la pire crise de leur existence) et The Outpost (dans lequel il donne la réplique aux fils de Clint Eastwood et Mel Gibson et incarne un militaire décoré pour ses actions à la bataille de Kamdesh en Afghanistan). « Dans The Kindness…, je suis quelqu’un de doux, posé, aimant, indulgent. Une bonne personne. Dans l’autre aussi, j’ai un grand coeur. Mais c’était complètement différent. Je suis sûr que les tournages et les personnages ont influencé mon écriture. Mais je ne sais pas encore trop comment. Je pourrai sans doute mieux en parler d’ici quelques années, avec du recul. »

Caleb Landry Jones dans The Dead Don't Die.
Caleb Landry Jones dans The Dead Don’t Die.

Caleb, qui bosse généralement dans la grange de ses parents aménagée en studio au Texas, a enregistré son album à Los Angeles avec Nick Jodoin (recommandé par son pote Danny Blackwell de Night Beats) dans les murs des Valentine Recording Studios par lesquels sont passés entre autres Bing Crosby, les Beach Boys et Frank Zappa. Jim Jarmusch, qui l’a embauché pour The Dead Don’t Die, l’a ensuite mis en contact avec Sacred Bones, le label new-yorkais qui sort les disques de John Carpenter et de David Lynch… « Je suis venu avec une clé USB en disant à Jim que ça pourrait lui plaire et ça a été le cas. Un jour, je lui ai demandé quel morceau des Dandy Warhols il avait utilisé dans Broken Flowers. Il m’a répondu qu’il ne mettrait jamais une de leurs chansons dans un de ses films. (Il l’imite). C’est le Brian Jonestown Massacre qui se moque des Dandy… »

Caleb se marre. Il a aimé les deux mais son disque, odyssée baroque, orchestrale et théâtrale peuplée de piano, cors, cordes et tuba, baigne plutôt dans l’opéra rock psychédélique. Il rappelle le White Album et Alabama Song, les Beatles, David Bowie, Syd Barrett et T-Rex. « Les Beatles, c’était un peu comme mon ourson préféré. La peluche que tu emmènes partout quand t’es gamin. L’odeur du petit-déjeuner dans la cuisine. Le truc qui te remonte le moral le matin. Je les ai délaissés un moment mais le White Album dans toute sa diversité m’a fait replonger. J’aime beaucoup Bowie, mais je ne me rendais pas compte que mes chansons s’en rapprochaient avant que Nick me le fasse remarquer. J’ai parfois davantage conscience des ressemblances que d’autres. »

Obsessions, doutes et frustration

Il y a bien quelques notables exceptions pour confirmer la règle mais les acteurs qui se sont aventurés dans le monde de la musique ont rarement brillé par leur inspiration et leur originalité. Kevin Costner, Johnny Depp, Jared Leto, Jamie Foxx, Jeff Bridges… « Il y a aussi eu Robert Downey Jr., Eddie Murphy… (il rigole) Les gens y voient sans doute un côté fake. Ils se disent: si t’es un acteur, tu ne peux pas être autre chose. Quand tu es vraiment bien dans un rôle, les spectateurs se mettent à t’y identifier. C’est toujours compliqué de savoir où commence la personne et où se termine le personnage. »

Un deuxième, enregistré avant le premier, devrait sortir prochainement. Quelques films arrivent aussi d’ailleurs. « Je ne me sens pas mieux ou moins bien sur une scène ou dans un studio que sur un tournage. Ce sont les mêmes sentiments. Beaucoup d’irritation. Beaucoup de frustration, de doutes, d’échecs, de douleur, de bordel. Mais c’est aussi très contrôlé. »

Probablement avant qu’il puisse donner des concerts, Caleb Landry Jones réapparaîtra normalement sur les écrans à l’automne dans Bios de Miguel Sapochnik avec Tom Hanks. « C’est l’histoire d’un homme (le dernier sur Terre), d’un chien et d’un robot. Je suis le robot, oui. J’aime tout ce que je n’ai jamais fait. Et je pense que j’ai déjà joué un chien d’ailleurs. » L’an prochain, si tout va bien, il y aura The Forgiven de John Michael McDonagh, dont le tournage a dû être interrompu.

Au téléphone, le garçon, particulièrement loquace, est parfois difficile à suivre. Drôle, un peu surexcité par moments, il prend des voix bizarres, termine ses phrases dans de grands éclats de rire.

« Je ne vais pas beaucoup aux concerts à Los Angeles. Sauf lorsqu’un pote joue. Quand je n’avais pas de copine, je sortais juste pour sortir, pour être avec des gens, voir du monde. Mais j’étais sans doute un peu jaloux. Ça me frustrait de ne pas publier ma musique, de créer des chansons et de ne rien en faire. Je me suis retrouvé sous médocs tout un temps étant adolescent (il souffre de troubles obsessionnels compulsifs). Je n’ai pas une grande capacité de concentration. À un moment, les concerts ont commencé à m’ennuyer. Je ne voyais pas de nouveauté, d’originalité. Je picolais et j’angoissais. Je craignais de croiser un producteur, la police… Je trouvais ça flippant. J’ai eu du mal à sortir de tout ça. Dès que je me vois repartir dans cette direction, je retourne un moment au Texas et je fais de la musique. »

The Mother Stone, distribué par Sacred Bones/Konkurrent. ****

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Ils ont montré la voie…

Vincent Gallo

Avant de jouer devant les caméras d’Emir Kusturica, de Claire Denis et d’Abel Ferrara, Vincent Gallo avait déjà composé des bandes originales pour la scène expérimentale, officié dans un groupe punk (Bohack) et même agité un projet noise aux côtés de Jean-Michel Basquiat (Gray). Aujourd’hui devenu un sympathisant de Donal Trump, le Sicilien d’origine sortait en 2001 avec When l’un des meilleurs disques jamais signés par un acteur. Un album lo-fi enregistré seul avec sa guitare, son piano et quelques instruments rudimentaires.

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Golden Globe du meilleur acteur dans un film musical ou une comédie pour son rôle dans La La Land de Damien Chazelle en 2017, le mécanicien et cascadeur de Drive Ryan Gosling surprenait tout son monde en 2009 avec le jusqu’ici unique album de Dead Man’s Bones. Un disque pop macabre né de sa passion partagée avec Zach Shields pour l’univers de Tim Burton et d’Halloween. Une jolie bizarrerie gothique aux faux airs d’Arcade Fire enregistrée avec la chorale d’enfants du conservatoire de Silverlake.

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Invitée par le réalisateur Martin Hynes à reprendreWhen I Get to the Border de Richard et Linda Thompson avec Matt Ward pour la bande originale deThe Go-Getter, l’actrice Zooey Deschanel a, dans la foulée, créé un charmant duo pop vintage avec le singer-songwriter de l’Oregon. En douze ans, She and Him a sorti trois albums, deux disques de Noël (A Very She and Him Christmas, Christmas Party) et un autre de reprises (Classics). Frais, léger mais non dénué de charme.

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