Critique | Musique

Randy Newman – Live in London

SONGWRITING | Un live londonien capte l’ironie naturelle de Randy Newman et confirme la position debout du singer-songwriter américain, entre Woody Allen et Gershwin.

Randy Newman, CD/DVD Live in London, distribué par Warner. ****

Écouter l’album sur Spotify.

« J’ai oublié combien les textes de Dylan étaient bons, enfin ceux d’il y a 60 ans (rires). Non, je plaisante, c’est si facile de dire du mal des autres. Pourquoi le faisons-nous? Est-ce que cela me rend plus important? » En intro au sublime Lousiana 1927, Randy fait si bien le vinaigre que cela pourrait être un business familial. Pourtant non: le garçon naît en novembre 1943 à Los Angeles d’un père interniste, d’une famille comptant néanmoins 3 compositeurs à l’usine hollywoodienne. Randy débute dans la BO pour les autres, format court, en écrivant nombre de tubes sixties pour Gene Pitney, Jackie DeShannon ou Cilla Black. Quand sort son premier album solo en juin 1968, les ventes sont tellement raides que son label, Warner, propose aux (rares) acheteurs l’opportunité d’échanger le disque contre un autre inscrit à leur catalogue. L’échec commercial contient pourtant un (futur) classique newmanesque, I Think It’s Going To Rain Today, le morceau qui clôt le présent disque dans la veine affectionnée par le compositeur: des ballades inspirées de l’Amérique automnale de George Gershwin, où le spleen sert de kétamine au désespoir, de préférence amoureux. Il y a ici plusieurs titres lents de grand calibre: Feels Like Home, I Miss You, Marie ou Sail Away. Les mélodies évoquent le fantasme d’une Amérique éternelle, pays ogre qui concasse dans son propre mythe tous les destins individuels.

Amour vache

Seul au piano et au chant, Newman s’entoure à certains moments d’une enveloppe orchestrale mais on est plus dans la splendeur retenue que dans l’inondation de violons. S’il n’y avait que cela, Newman ne serait qu’un chanteur très doué et un mélodiste exceptionnel. La particularité de son style est de fondre dans ses chansons comme dans leur présentation un humour équivalent à celui de Woody Allen aux Urgences. Une mesure d’autodépréciation juive, 2 de fine observation historique, 3 de moquerie génétique. Particulièrement dans ce live, où il multiplie les interludes caustiques devant un public rieur. Quand il passe à la défense de son pays vilipendé pour impérialisme caractériel (A Few Words In Defense Of Our Country), il rappelle que Léopold II -oui, le nôtre- n’a laissé qu’une chose au Congo en se retirant chargé d’or et de caoutchouc: la malaria. Ecouter la vision de Randy sur Dieu se foutant complètement de l’humanité (God’s Song) ou l’inanité de l’argent permettant néanmoins d’acheter « une demi-livre de cocaïne et une fille de 16 ans » (It’s Money That I Love), c’est subir du mécréant magnifique. Sans équivalent en langue française -de toute façon peu douée dans le mariage de l’humour et de l’émotion- et sans non plus de véritable compétiteur anglo-américain. Après tout, Randy est le seul type capable de parler des tortures corporelles menées par l’Inquisition et de sous-entendre ensuite d’autres positions, nettement moins catholiques.

Philippe Cornet

www.randynewman.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content