Philippe Cornet
Prince, brusque fin de règne
Physique gracile et énergie thermonucléaire éclatée dans des concerts marathoniens: Prince semblait pourtant avoir signé un pacte d’éternelle jeunesse.
Le film au scénario complexe, s’est brutalement terminé ce jeudi 21 avril dans des circonstances encore non-déterminées. Il y a quelques jours, le jet privé de l’artiste atterrissait en urgence lors d’une tournée américaine pour contrer « une grippe » et le voilà mort, à quelques semaines de ses 58 ans datés au 7 juin prochain.
Sans évoquer la vilaine loi des séries qui semble régler ses comptes aux derniers symboles éclatants de l’Age Rock -Bowie pour mémoire il y a un peu plus de trois mois- la disparition de Prince Rogers Nelson est une surprise à plusieurs titres.
D’abord parce qu’il a incarné une forme d’anti-Michael Jackson dans sa façon de gérer sa santé, mentale comme physique. Pas de caisson foldingue ou d’opération de blanchissement, pas plus que de chirurgie esthétique, tout au moins apparente. Même si son allure racée -à l’image de sa carnation de peau- n’est pas vraiment présente aux débuts professionnels de la fin des années 1970. Pour mémoire, en 1980 en pochette de son troisième album Dirty Mind, Prince apparaît en caleçon cintré moule-cojones, le torse glabre exposé. Avec une veste en rab pour faire un rien habillé. Et quelque chose de l’ordre du féminin qui ne se démentira pas.
Fils de deux parents musiciens, le petit Prince -1m58- n’a pas fait de longues études mais a bien compris la dialectique qui consiste à proposer des chansons salées d’une manière parfois totalement velours. Purple Rain, le slow (?) de 1984 qui le métamorphose en star planétaire, en est l’ultime symptôme. Sans vouloir absolument ressasser les clichés, Prince semble incarner les hommes ayant le besoin d’être immenses pour faire oublier la possible frustration d’une petite taille. Même si ok, Freud n’a pas connu le funk. Le contraste entre un look assez vite ultra-soigné et des textes qui exsudent une sexualité carnivore, s’inscrit dans la lignée black impériale. Celle, géniale et troublée, qui compte James Brown, Marvin Gaye ou encore Sly Stone parmi ses serviteurs historiques: à la différence de ses glorieux aînés, Prince donnera toujours l’impression de maîtriser son destin et d’éviter la coke et autres chimies dangereuses comme carburant principal de vie et de création.
Même lorsqu’il change de nom, qu’il se fait ridiculement désigner par un symbole ou l’artiste-précédemment-connu-sous-le-nom-de Prince (…) et que dès le mitan des années 1990, il semble avoir précocement épuisé sa réserve de génie musical. En devenant au fil du temps, davantage une marque qu’un compositeur, il va vieillir prématurément dans le recyclage de son propre talent, tout en conservant l’aspect de jeune homme éternel. Et des concerts qui contrairement aux disques, ramènent toujours du monde.
Le yin et yang sont aussi drapés de mystère: peu sur sa vraie vie privée transparait, y compris la cohabitation de deux mariages et d’une sexualité apparemment débridée. Prince a beaucoup cultivé sa propre mise-en-scène: en créant son espace de Paisley Park, vaste studio-habitation labyrinthique, et un style vestimentaire entre maquereau et premier communiant pimpant.
Les costumes princiers rempliront sans doute plusieurs étages d’une future expo dédiée à son scintillant et trop bref parcours. Alors, au-delà des cent millions de disques vendus, des sept Grammy Awards, de la légende bâtie sur les fantasmes de rêve américain, les échecs et les déceptions façonnent un personnage caméléon.
Jamais aussi bien saisi que par le photographe Jean-Baptiste Mondino en 1988, sur la pochette de Lovesexy où Prince est à la fois dénudé et vulnérable, mâle triomphant et fragile. La preuve, tristement, aujourd’hui.
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