Pour les 25 ans de l’Ultratop, son directeur nous en dévoile les coulisses

Angèle - ici avec Dua Lipa, avec laquelle elle a enregistré le hit Fever - classe Tout oublier dans les hautes sphères du Top 1000 de l'Ultratop. © JOEL SMEDLEY
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Comment sont constitués les hit-parades? Pourquoi le rap prend-il autant de place? Est-ce que streamer, c’est tromper? Réponses avec le directeur de l’Ultratop, Sam Jaspers, à l’occasion des 25 ans du classement officiel musical belge.

Bien sûr, le monde du cinéma a les yeux rivés sur le box-office. Et, naturellement, chaque éditeur rêve de caracoler en tête des ventes des libraires. Il n’y a cependant qu’en musique que les chiffres sont scrutés avec autant d’attention. Et pas seulement par les professionnels de la profession. Le hit-parade, comme on l’appelait au siècle dernier, a toujours représenté plus qu’un simple outil business pour les labels. Dès le départ, il a été accaparé à la fois par les médias – chaque radio, ou presque, a le sien -, mais surtout par le public. A cet égard, les classements musicaux ont subi pas mal de changements ces dernières années. Notamment depuis qu’y ont été intégrés les chiffres du streaming. Analyse avec Sam Jaspers, directeur de l’Ultratop. Le « seul hit-parade officiel belge », lancé il y a précisément vingt-cinq ans.

De quand date le premier hit-parade en Belgique?

Selon nos propres recherches, les premiers classements arrivent vers les années 1950-1960. On a pu trouver des hit-parades dès 1954 en Flandre, et deux ans plus tard du côté francophone. Mais leurs profils ont beaucoup changé au fil des époques: ils pouvaient être mensuels, se résumer à des top 10, etc. Généralement, on se basait sur des enquêtes téléphoniques. Depuis le début, certaines radios ont aussi organisé leurs propres classements, soit en mobilisant leurs auditeurs pour voter, soit en téléphonant elles-mêmes chez les disquaires.

Comment est né l’Ultratop?

En 1985, un classement officiel des ventes en Belgique avait déjà été instauré. Le problème était qu’il était basé, non pas sur les ventes réelles en magasin, mais sur les déclarations des maisons de disques. Elles envoyaient le chiffre des livraisons. Des 45-tours et des albums se retrouvaient en tête de classement, alors qu’ils ne se vendaient pas tant que ça. Au bout d’un moment, la situation ne convenait plus à personne: ni aux labels, ni aux médias, ni aux disquaires. C’est comme ça qu’a été créé l’Ultratop. C’était aussi l’occasion de proposer deux classements distincts, un pour la Flandre et un autre pour la Wallonie. Ce qui était assez logique. Certains titres fonctionnent mieux dans une partie du pays que dans l’autre. Pour les médias notamment, cela devenait compliqué de « travailler » certains morceaux qui étaient quasi inconnus de leur côté.

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Comment se construit le classement?

Nous récoltons les chiffres de vente jusqu’au mercredi, minuit. Ils sont directement envoyés par les magasins – à la fois les grandes chaînes culturelles, les petits indépendants mais aussi les supermarchés, les webshops, etc. Je ne pourrais pas vous dire exactement combien de postes de ventes cela représente – le bureau d’études Gfk qui gère la base de données, ainsi que celle d’une dizaine d’autres hit-parades en Europe, pourrait vous répondre – , ni vous dire qui ils sont – cela reste confidentiel. Mais les enseignes les plus connues en font toutes partie. Il manque bien certains petits commerces – parce qu’ils ont fait le choix de ne pas en être, ou parce qu’ils ne sont pas équipés informatiquement. Mais en tout, l’outil permet de rassembler tout de même les données de 80% du marché des albums physiques, et quasi 100% du marché en digital (téléchargement et streaming).

On ne dit plus que l’Ultratop est un classement des meilleures ventes…

Depuis 2016, les chiffres du streaming, mais aussi des passages radio, ont ainsi été intégrés.

Oui, c’est pour cela que l’on ne dit plus que l’Ultratop est un classement des meilleures ventes, mais bien des morceaux les plus populaires et les plus consommés. On intègre donc les chiffres transmis par les plateformes de streaming, mais également ceux des passages en radio. Pour le calcul de ce que l’on appelle l’airplay, nous travaillons avec la société britannique Radiomonitor. Le système mis en place nous permet de scanner en continu la programmation de quelque 80 radios. Chaque chanson jouée reçoit un score, selon le nombre de passages, mais surtout l’heure à laquelle elle est programmée, sur quelle radio, etc. Un morceau qui ne passe qu’une seule fois, mais à une heure de grande écoute, sur une grosse radio, recevra par exemple un meilleur score qu’un titre qui est programmé à dix reprises, mais au milieu de la nuit, sur une antenne plus confidentielle.

… mais bien un classement des morceaux les plus populaires et les plus consommés.

Concernant le streaming, quels chiffres sont pris en compte?

Ceux que nous transmettent les principales plateformes. Soit Spotify, Deezer et Apple. Aux Etats-Unis, et aussi, pour partie, au Royaume-Uni, les classements prennent également en compte les passages sur YouTube. Ce n’est pas (encore) notre cas. Les discussions sont en cours, au niveau européen, et nous attendons de voir ce qu’elles vont donner. Faut-il par exemple uniquement prendre en compte les vidéos officielles ou doit-on intégrer tous les autres clips de fans? Qu’en est-il des contrôles?

Les plateformes de streaming fonctionnent sur le modèle du morceau unique. Comment sont-elles dès lors prises en compte dans le classement des albums?

En gros, il existe trois systèmes différents: celui en vigueur aux Etats-Unis (NDLR: où 1.500 streams équivalent à une « vente » d’albums), en Suède (NDLR: qui exclut les albums dont 70% des streams ne reposent que sur un seul morceau), et au Royaume-Uni. C’est ce dernier que nous appliquons. En gros, on se concentre sur les douze chansons les plus streamées d’un disque. Les deux titres les plus écoutés vont être ramenés dans la moyenne des dix autres morceaux. En diminuant le poids des morceaux qui cartonnent le plus, cela empêche qu’un album se retrouve numéro un seulement sur la foi d’un ou deux singles. Cela nous semble la méthode la plus correcte. Le billboard américain, par exemple, prend en compte tous les titres de l’album. Ce qui a poussé certains artistes à faire des disques de plus en plus longs, avec de plus en plus de titres.

Depuis quelques années, Damso, rappeur belgo-congolais, est un habitué de l'Ultratop.
Depuis quelques années, Damso, rappeur belgo-congolais, est un habitué de l’Ultratop.© OJOZ

Est-il encore possible de « trafiquer » les chiffres? Ou même de simplement les influencer avec des actions promo agressives?

Il existe un code de conduite qui détaille notamment les règles concernant par exemple les séances de dédicaces et autres événements destinés à stimuler les ventes. Nous effectuons régulièrement des contrôles, mais dont je ne préfère pas parler. Pas plus à vous qu’aux labels d’ailleurs. Le fait est que plus on détaille les actions entreprises, plus on recherche à y échapper. Auparavant, quand certains chiffres suspects étaient détectés, on discutait d’abord avec la maison de disques ou l’artiste pour régler le problème, avant de prendre éventuellement des sanctions – en diminuant par exemple les chiffres, voire en retirant le titre du classement. Mais cela prenait souvent beaucoup de temps, les discussions étaient parfois houleuses. Aujourd’hui, nous traitons les cas litigieux en interne, avec GfK. Si, après contrôle, les ventes d’un morceau nous semblent gonflées, on corrige les chiffres, sans en parler au label.

Quelle garantie avez-vous par rapport aux chiffres de streaming? Depuis plusieurs années, on parle notamment d’achat de clics qui permettent de pousser des titres.

Les plateformes font elles-mêmes déjà beaucoup d’efforts leur côté. Elles ont mis au point une série de filtres qui permettent d’éviter ou au moins de détecter d’éventuelles manipulations. Par exemple, on ne peut pas écouter le même morceau cent fois par jour. Et pour qu’un titre soit comptabilisé, il faut qu’il ait été écouté pendant au moins une minute.

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En intégrant les chiffres du streaming, le visage des charts a été chamboulé. Jusque-là marginal, le rap est ainsi devenu le genre dominant (1). Ce qui fait dire à certains que l’on est passé d’une sous-représentation à une sur-représentation d’une musique « consommée » avant tout par un public jeune, à la fois très présent sur les plateformes de streaming, et qui a souvent une écoute très compulsive des mêmes morceaux. Qu’en pensez-vous?

C’est un peu différent chez nous, parce que l’on intègre également l’airplay des radios dans le classement des singles. Un artiste comme Vianney, par exemple, fonctionne correctement sur les plateformes, mais encore mieux en radio, ce qui lui permet de très bien se classer. Si on ne tenait compte que des chiffres du streaming, le paysage serait tout autre, surtout en Wallonie où on ne trouverait quasi plus que des morceaux de hip-hop francophones. Ce qui ne serait pas tout à fait correct, à partir du moment où énormément de gens écoutent encore la musique via la radio. Je ne dis pas que la méthode ne changera jamais. Mais aujourd’hui, c’est celle qui nous semble correspondre le mieux à la manière dont les gens consomment la musique en Belgique. Par ailleurs, on observe que là où le streaming gagne du terrain, les genres écoutés se diversifient aussi. Les classements se font plus pop, par exemple.

(1) En France, la moitié du top 10 des albums les plus vendus en 2019 étaient des disques de rap.

Puissance 1.000

A l’occasion de ses 25 ans – le premier classement a été publié en avril 1995 -, l’Ultratop a réalisé un top… 1.000 des titres qui ont agité le paysage musical belge durant le quart de siècle écoulé. Avec, à la première place, le Happy de Pharrell Williams, coincé pendant plus de 60 semaines dans le classement des meilleures ventes. Sans surprise, le premier Belge se nomme Stromae avec Papaoutai à la 9e place (mais aussi Alors on danse (14), Formidable (23), pour ne citer que les titres du top 100), suivi de la fratrie Van Laeken (Tout oublier d’Angèle avec Roméo Elvis, à la 52e place). Le reste du classement se partage entre grosses cylindrées bien connues de l’industrie musicale – Adele, Céline Dion, Coldplay, Sia, etc. -, et, surtout, de nombreux one shots. Des tubes que l’on a souvent subis, et que l’on pensait vite écoutés, vite consommés, mais dont la seule lecture du titre remet automatiquement le refrain en tête, de Gangnam style à L’Agitateur de Jean-Pascal…

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