Phoenix: « Essayer d’être toujours comme quand on avait 15 ans »

Phoenix © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Quatre ans après le triomphe de Wolfgang Amadeus, les français de Phoenix reviennent aux affaires. Sur Bankrupt!, leur pop multi-couches est toujours aussi euphorisante.

On ne sait jamais trop ce qui peut se cacher derrière les portes d’une rue parisienne. Dans un coin de Pigalle, par exemple, rue des Martyrs, se niche le studio Motorbass. On est dans l’antre de Philippe Zdar, personnage clé de ce qu’on a appelé la French Touch, et devenu depuis producteur couru (The Rapture, Cat Power…). Sixième membre officieux de Phoenix, il a de nouveau accueilli ici le groupe pour enregistrer leur nouvel album. Dans un coin du salon-cuisine, une armoire remplie de vinyles et une platine qui passe It Takes a Nation of Millions to Hold Us Back, l’album culte de Public Enemy. Posé juste à côté de l’engin, une bio vintage de Michael Jackson, en format poche, probablement chopée en brocante.

Dans le studio même -spacieux, boisé, chaleureux-, les instruments sont dispersés un peu partout. Il y a notamment pas mal de claviers vintage: Oberheim OB-XA, Korg…. Et puis, au fond de la pièce, l’un des achats récents de Phoenix: « C’est un bout de la console qui a été utilisée pour enregistrer Thriller! », jubile Christian Mazzalai, l’un des deux guitaristes du groupe. « Elle était en vente sur ebay. C’était trop beau pour être vrai, on n’arrivait pas y croire. Mais c’est bien celle qui a servi à Michael Jackson, celle sur laquelle a bossé Quincy Jones. » On fronce le sourcils. Le musicien insiste: « Au début, elle était proposée sur le site d’enchères à un prix dément. Le mec l’a mise en vente le lendemain de la mort de Jackson, il pensait se faire plein d’argent. Mais personne ne l’a cru. C’était n’importe quoi. Du coup, le prix a baissé petit à petit. Pendant ce temps, on a mené notre petite enquête, pendant plusieurs mois. Il s’est avéré que c’était la vraie! En fait, le mec était très gentil, mais un peu taré comme les Américains peuvent parfois l’être. Il tient un studio de rock chrétien. Par hasard, il est tombé un jour sur cette console. C’était un moment où tout le monde s’en foutait un peu. Elle demandait pas mal d’entretien, elle était vieille. C’est comme ça qu’il a pu mettre la main dessus. »

La tentation de la faillite

Chaque groupe pond un jour ou l’autre son Thriller. Pour Phoenix, c’était en 2009, avec Wolfgang Amadeus Phoenix. Après trois premiers albums, les Français sortaient leur smash hit. Le disque qui allait les propulser définitivement dans une autre dimension en réussissant à conquérir, lentement mais sûrement, jusqu’au marché américain -le groupe remportera le Grammy du meilleur album alternatif en 2010! Ce triomphe n’était pas complètement une surprise: parfois controversée sur ses propres terres, la musique des Versaillais a toujours fonctionné à l’export. Tout à coup, ils en avaient la confirmation en mode XL, enchaînant les passages sur les late show US, en festivals, et achevant leur tournée avec une date au prestigieux Madison Square Garden. Rien que ça…

Il en faut cependant plus pour déstabiliser les intéressés. Christian Mazzalai en tout cas n’a pas l’air autrement stressé par la sortie de Bankrupt!, le nouvel album. « Sincèrement, la pression est surtout créative. Comment réussir à refaire quelque chose de frais et d’excitant? Comment recréer le frisson? A chaque fois, c’est un peu plus compliqué. Il faut trouver de nouvelles petites méthodes pour débloquer les choses. » En pleine débâcle financière, alors que le sud de l’Europe se débat avec la crise, intituler un disque « Faillite! » est pour le moins cocasse. Le clin d’oeil est pourtant d’abord destiné au groupe lui-même. Après le triomphe et le succès planétaire, Phoenix a-t-il eu envie de se saborder? « Disons que l’idée de l’échec peut parfois être fascinante. Avec un point d’exclamation, ça le rend presque positif. Pouvoir repartir de rien, de zéro. A chaque album, on fonctionne comme ça. Mais c’était encore plus le cas ici. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Pendant deux ans, Phoenix va donc s’enfermer en studio, en totale immersion (« On ne sortait plus, on a dû aller peut-être une seule fois au cinéma »), essayant des choses, en jetant pas mal: la version deluxe du nouveau disque comprendra quelque… 70 démos, essais. « Un jour -on devait avoir 15 ans-, on a vu un documentaire sur les Beatles et l’enregistrement de Sgt Pepper. C’est là qu’on a compris le concept des pistes par exemple, ou plus généralement que l’enregistrement avait une valeur presque égale à la composition. » Quitte parfois à s’y perdre, multipliant les propositions, les possibilités, pensant trouver un fil avant de le détricoter aussi vite…

Pop champagne

Sur Wolfgang Amadeus, Phoenix avait notamment appliqué les fameuses « stratégies obliques » de Brian Eno -un jeu où chacune des cartes est une sorte de mantra, du genre « qu’aurait fait votre ami le plus proche? », « utilisez une ancienne idée », « examinez avec attention les détails les plus embarrassants et amplifiez-les »… « On a voulu les ressortir cette fois-ci aussi, mais la magie avait disparu, on l’avait déjà fait. Il fallait trouver autre chose. » Comme? « Tu vois le frigo, là-bas, au fond du studio? Il est rempli de bouteilles de champagne. Il est comme ça, Philippe. À la moindre occasion, il ouvrait une bouteille. Dès qu’il y avait un début d’idée, un truc, hop! Mais c’était soit champagne, soit la catastrophe intégrale, le désastre… Ce n’était jamais mou. C’est à la fois stimulant, et, sur la longueur, extrêmement épuisant. Le genre de montagnes russes impossibes à vivre si tu n’es pas avec tes meilleurs amis. »

Ce n’est pas une posture. Groupe de potes, lancé dans le garage de Thomas Mars, Phoenix semble être resté cette entité soudée, fraternelle, authentique. Ce n’est pas toujours l’image qu’ils ont véhiculée: à ses débuts, la formation passait volontiers pour artificielle auprès de certains. Backing band de Air, ses premiers essais pouvaient sonner souvent prétentieux et trop tongue-in-cheek pour être honnêtes. Au fil des disques, les critiques se sont cependant estompées. Il a fallu du temps pour comprendre et cerner un groupe qui a son propre mode de fonctionnement. Français, mais chantant en anglais. Pop, mais sans batteur officiel –« On en a un, toujours le même (Thomas Hedlund, ndlr), mais uniquement pour les tournées. » Un groupe têtu, imperturbable, qui en sortant un premier album intitulé United (2000) faisait déjà profession de foi. « Peut-être qu’on splittera un jour. Mais si cela arrive, on ne fera plus de musique. Ou alors on fera un disque moins bien, qui aura moins d’intérêt. Le truc, c’est qu’on est potes avant d’être musiciens, mon frère aussi joue dans le groupe. On a tout appris et découvert ensemble: chaque accord, chaque disque, chaque artiste, chaque label… »

Premiers frissons

Les années ne semblent pas avoir changé grand-chose à cet état d’esprit. Ni la distance. Thomas Mars, le chanteur, marié à la réalisatrice Sofia Coppola, vit par exemple la moitié de l’année à New York. C’est d’ailleurs là que les sessions de Bankrupt! ont débuté. Pendant trois mois, Phoenix y lancera les premières ébauches, profitant du studio des Beastie Boys, dans China Town. La connexion avec le groupe de rap n’est pas forcément évidente. « On s’était croisés de temps en temps. Mais on se connaît surtout parce qu’ils ont voulu nous signer sur leur label pour le premier album. Finalement, Grand Royal a dû fermer et cela ne s’est jamais fait. Mais on a gardé le contact. Leur studio était parfait. C’est toujours compliqué de trouver des lieux qui ne sont pas trop « salis », qui ont su rester « purs ». On déteste les studios orientés business. Ça nous angoisse. Le genre d’endroits où les disques d’or sont accrochés tout le long des murs. Dans le studio des Beastie Boys, les ondes étaient parfaites. Puis, ils ont une carrière sans compromis. C’est assez rare à un tel niveau. Pour nous, c’est une référence. »

Un autre lien est peut-être à trouver dans une même énergie juvénile: déconneuse et tapageuse dans le cas des rappeurs new-yorkais, romantique et naïve dans celui de Phoenix. En cela, le groupe fabrique une pop presque parfaite. A la fois éduquée, complexe, multi-couches. Mais en même temps instantanée, fraîche. « Essayer d’être toujours comme quand on avait quinze ans, à nos débuts, quand on courait pour aller au studio de répétition le samedi. La première fois que tu fais un accord, ce frisson, c’est ça qu’on recherche. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Il ne faut pas se leurrer. A l’heure actuelle, la musique pratiquée par Phoenix reste une joyeuse anomalie, une alternative durable dans le monde de la pop kleenex. Un groupe étrange, sans réel charisme mais qui arrive pourtant à susciter l’enthousiasme. Capable par exemple de pondre un morceau comme Entertainment, premier single au motif orientalisant, dont la joyeuse euphorie (les choeurs extatiques à la Arcade Fire, période Funeral) contraste avec la conclusion chantée par Thomas Mars: « I’d rather be alone. » Assez décomplexé aussi que pour intituler un morceau Drakkar Noir. « C’est un truc de jeunesse, un parfum un peu cheap lié à l’adolescence. L’idée de parler d’un produit de consommation de masse, un peu médiocre: c’est le genre de choses qui nous excite. Puis il y a un côté pop art aussi qu’on aime bien. »

Fondamentalement, Bankrupt! ne change pas la donne des albums précédents. Phoenix continue de creuser son sillon, se tenant à quelques principes de base. « En fait, on suit deux règles depuis le début. Chaque album contient dix chansons et comprend au moins un instrumental, dans lequel on peut glisser tous nos fantasmes. » Il y avait Love Like a Sunset sur Wolfgang Amadeus Phoenix; ici c’est le morceau Bankrupt!, long de près de sept minutes. « Ce sont toujours les premières chansons auxquelles on s’attaque. Parce qu’on a plein d’idées, c’est musical, le terrain est vaste. C’est hyper jouissif. Le problème c’est qu’au bout d’un moment, il y a trop de possibilités, tout est ouvert. Bankrupt!, on a mis deux ans pour le faire. On a débuté et terminé l’album avec ce morceau, le dernier jour. »

Phoenix reste surtout fidèle à son éthique, la volonté d’écrire une musique qui va chercher son ADN dans les humeurs adolescentes. Une manière aussi de pratiquer un format musical foncièrement anglo-saxon, tout en y injectant une identité plus française, voire « continentale ». « On a toujours voulu embrasser notre « européanité ». L’Europe pour moi, c’est l’austérité de Kraftwerk et le romantisme de Lucio Battisti. Sur ce disque, on a peut-être juste encore plus tendu vers la pureté d’émotion de Battisti. »

PHOENIX, BANKRUPT!, (****) DIST. WARNER. EN CONCERT LE 5/07, À ROCK WERCHTER.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content