Phil Spector, génie dérangé de la pop, mort en prison

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Décédé en prison ce samedi, où il était enfermé pour meurtre, Phil Spector a redéfini les contours de la pop music. Un génie extravagant qui a fait l’objet d’une passionnante biographie. Portrait en compagnie du dernier journaliste à l’avoir rencontré avant le drame.

Article initialement paru dans le Focus du 29 octobre 2010. Nous le republions à l’occasion du décès de Phil Spector, à 81 ans, en prison.

3 février 2003. 5h du matin. Adriano De Souza, chauffeur-garde du corps de Phil Spector, entend un bruit sourd. Quelques minutes plus tard, il voit son patron sortir par la porte de derrière: « Je crois que j’ai tué quelqu’un », déclare-t-il. A l’intérieur du manoir californien du célèbre producteur, Lana Clarkson, actrice de série B âgée de 40 ans, gît morte, abattue d’une seule balle. Spector évoque un suicide. Mais sa thèse ne convainc pas. Le 13 avril 2009, il est condamné pour meurtre, écopant de 19 ans de prison. Triste fin pour l’une des trajectoires les plus brillantes de la pop music, faite d’une myriade de tubes, et traversée par une vision et une ambition qui auront bouleversé les charts. Ni plus ni moins. Phil Spector fut en effet un authentique génie. Un talent d’autant plus unique qu’il ne s’est pas construit sur scène, mais bien dans les coulisses, derrière la console d’enregistrement.

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Jusque-là, le producteur se contentait souvent de graver la musique des groupes qui faisaient appel à ses services. Avec Spector, il devient chef d’orchestre, grand sorcier du son, qui pèse de tout son poids sur l’architecture des morceaux. Sa marque de reconnaissance: le fameux Mur du son, soit l’empilement des instruments jouant la même note, donnant des airs de chevauchée wagnérienne à de simples ritournelles pop. Des exemples? Be My Baby des Ronettes. Le Da Doo Ron Ron des Crystals aussi, tout comme You’ve Lost That Lovin’ Feelin’ des Righteous Brothers ou River Deep Mountain High de Ike et Tina Turner. Spector a également bossé pour Leonard Cohen, les Ramones, a sauvé le dernier album des Beatles (Let It Be), et enregistré les disques solos de Lennon, Harrison… Mais l’homme était également connu pour ses sautes d’humeur, ses délires paranos, et son goût pour les armes. Une légende se construit aussi sur ce genre d’extravagances, dirait-on…

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Milliardaire à 25 ans

De cet itinéraire, le journaliste anglais Mick Brown en a tiré une biographie passionnante. A l’anglo-saxonne: fouillée et rigoureuse. Argument supplémentaire: Brown est le dernier journaliste à avoir pu interviewer Spector avant le drame. « J’ai toujours été fan de sa musique. J’ai 59 ans. Je me rappelle très bien avoir acheté Zip-a-Dee-Doo-Dah de Bob B. Soxx & the Blue Jeans. Je devais avoir 12 ans et je n’avais jamais rien entendu de pareil. » En 2002, Spector travaille avec le groupe anglais Starsailor. « Il sortait d’une période difficile. C’était l’occasion pour lui de revenir aux affaires. J’imagine que c’est aussi pour cela qu’il a accepté de parler. » L’affaire prend malgré tout 3 mois. Et quand Brown arrive à L.A., en décembre, le rendez-vous est encore reporté. Finalement, le lendemain, une Rolls Silver Cloud blanche, immatriculée PHIL 500, vient le chercher à son hôtel. Le journaliste a son interview, « étrangement l’une des plus agréables que j’ai pu faire. Je pensais tomber sur quelqu’un de sinistre et cynique. Il s’est montré charmant, drôle, vulnérable même ». L’entretien est publié dans le Daily Telegraph du 1er février 2003. Deux jours plus tard, Lana Clarkson est retrouvée morte dans la propriété de Spector. « Du coup, l’article a pris une autre dimension. Toutes les citations où il parlait de sa folie, de ses démons intérieurs, ont été reprises un peu partout dans le monde. Je me suis senti d’une certaine manière impliqué. Il m’a semblé logique par la suite d’écrire ce livre. »

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Mick Brown se met donc à creuser la biographie de Harvey Philip Spector, Juif né dans le Bronx le 25 décembre 1940. Il revient sur son enfance, la mort de son père -suicidé alors que Phil n’a que 9 ans-, la relation compliquée avec sa mère, faite d’engueulades permanentes. « A bien des égards, c’était la mère juive typique, protectrice au point d’en devenir étouffante. En plus de cela est venu se greffer le drame du père, avec ce que cela a pu charrier de culpabilité chez l’un et l’autre. » Maigrichon, pâlot, Spector a aussi du mal à se faire une place à l’école. A 19 ans, il signe cependant son premier hit, To Know Him Is To Love Him, inaugurant une série qui le rendra milliardaire à 25 ans. Le succès ne résout cependant rien. « A certains égards, il pensait que le monde entier était contre lui. D’où sa parano latente, son attirance pour les armes à feu, le fait qu’il était entouré de gardes du corps en permanence. Les hits n’ont pas arrangé cela. Au contraire. »

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Aujourd’hui, Brown pense que c’est bien Spector qui a tiré sur Lana Clarkson. « Mais je peux imaginer que le coup était accidentel. Il a voulu lui faire peur. » Enième drame de la célébrité à l’américaine, et tous ses excès? « On a développé une espèce de tolérance envers les stars. Le génie et la célébrité autorisent des extravagances qui ne sont pas permises par ailleurs. Dans un autre monde, quelqu’un aurait arrêté Phil Spector à temps et évité le drame. »

Phil Spector, Le mur de son, de Mick Brown, Éditions Sonatine.

Phil Spector, génie dérangé de la pop, mort en prison
PHIL SPECTOR EN 4 ALBUMS ESSENTIELS

DIVERS – « A CHRISTMAS GIFT FOR YOU FROM PHIL SPECTOR » (1963)

Le disque de Noël ultime! En plein mois d’août 63, Phil Spector rassemble ses protégés -Ronettes, Crystals…- pour enregistrer les classiques du genre. Tout y est: clochettes, carillons… Dopé au mur du son spectorien, ce qui aurait pu passer pour un sommet de kitsch prend des allures féériques. Un must.

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IKE & TINA TURNER – « RIVER DEEP/MOUNTAIN HIGH » (1966)

Fan de la voix volcanique de Tina Turner, Spector se plie en 4 et dépense une énergie folle pour enregistrer ce qu’il envisage comme son chef-d’oeuvre. Las, le disque fera un four dans les hit-parades, plombant durablement le moral du génie. Aujourd’hui encore, les critiques sont divisés: oeuvre géniale ou délire sonique indigeste?

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GEORGE HARRISON – « ALL THINGS MUST PASS » (1970)

Quelques mois auparavant, Spector a été appelé à la rescousse pour sauver Let It Be, l’ultime album des Beatles. Conquis, Harrison demande au producteur de lui donner un coup de pouce pour son 1er disque solo. La collaboration sera loin d’être évidente. Au final, le triple All Things Must Pass constitue pourtant une réussite éclatante.

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JOHN LENNON – « IMAGINE » (1971)

Co-producteur du précédent Plastic Ono Band, Spector est une nouvelle fois de la partie sur le 2e album solo de Lennon. L’occasion de montrer que le producteur ne se contente pas d’appliquer sa formule du mur du son à tout-va, mais peut aussi se mettre au service d’un projet. Y compris quand celui-ci demande une plus grande nudité.

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INFLUENCE: LES ENFANTS DU MUR

Amy Winehouse

C’est peut-être son héritière la plus évidente. Ou en tout cas la plus spectaculaire. Avec ses choucroutes sur la tête et sa soul sixties, Winehouse n’a jamais caché son admiration pour les girl bands, comme les Ronettes ou les Crystals, lancées par Spector.

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The Horrors

Il paraît que Faris Badwan, leader du groupe rock garage anglais, est un de ses plus grands fans. Etonnant? Logique au contraire. Il y a en effet dans le rideau sonique érigé par The Horrors, tout comme celui monté par l’ensemble de la scène shoegazing anglaise (de Ride à My Bloody Valentine), quelque chose du mur du son prôné par Spector. Une sorte de vague sonore, faite d’une accumulation de guitares et de larsens, dont le tout dépasse la somme des parties.

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Sufjan Stevens

Avec sa pop magnifiée par de grandes orchestrations et ses concerts king size, l’Américain Sufjan Stevens partage avec Spector un certain goût du grandiose. En fait, c’est toute une scène « indé », des Morning Benders à Super Furry Animals, qui retrouve chez le producteur excentrique matière à gonfler ses morceaux.

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Public Enemy

Finalement, les productions de Phil Spector n’ont pas été tellement pillées par la scène hip hop. Par contre, l’éthique du mur du son a été appliquée au pied de la lettre par un groupe comme Public Enemy. Chuck D, leader du groupe rap bruitiste, baptisera ainsi leur producteur, Hank Shocklee, le « Phil Spector du hip-hop ».

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