Petit traité du tempo sur les dancefloors

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Tous les beats sont-ils dans la nature? Quel est le bon BPM pour danser malin? La dance music est-elle en train de ralentir le tempo? Analyse et décryptage avant la cuvée 2012 du festival 10 Days Off, classique électro de l’été.

C’est un incontournable de l’été. A partir du 13 juillet, les 10 Days Off vont conjuguer les musiques électroniques à tous les temps, sur tous les tons. Du clubbing à taille humaine, calfeutré dans les murs du Vooruit gantois. L’occasion aussi de dresser un état des lieux et de tenter de répondre à la question: sur quel pied danser en 2012?

Le mois dernier, une étude américaine livrait ses conclusions après l’analyse de 50 ans de musique pop. Elle arrivait notamment au constat suivant: depuis un demi-siècle, les tubes n’ont cessé de s’allonger et de ralentir. Qu’en est-il pour la musique dance? Le BPM, pour « beats per minute », s’est-il accéléré ou a-t-il au contraire suivi la tendance pop à la décélération? Au-delà, existe-t-il un beat idéal? Et si oui, à quelle vitesse tourne-t-il? Le légendaire DJ Harvey, né Harvey Bassett, tapait sur les futs de son premier groupe punk à à peine 13 ans, avant de tomber dans la marmite disco-house et de ne plus jamais en sortir. « Le tempo magique pour danser doit probablement tourner autour des 120 BPM. Pourquoi? Parce que c’est le tempo qui colle le mieux au rythme de la vie. Les fréquences sont très importantes: les hautes fréquences sont la lumière, les plus basses sont les révolutions des planètes autour du soleil. Les choses vibrent, vos organes fonctionnent selon une certaine cadence, la vie a son propre rythme… Les BPM d’un morceau sont forcément importants. »

Récemment, en Angleterre, une campagne d’information lancée par la British Heart Foundation donnait ses conseils pour effectuer correctement un massage cardiaque. Parmi ses recommandations, elle propose de s’entraîner en écoutant Stayin’ Alive: le morceau des Bee Gees donnerait en effet le parfait tempo lors d’un massage. Last night, a DJ saved my life…

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Excès de vitesse

Certaines musiques ne se sont pourtant pas bornées à tourner autour des fameux 120 BPM. Dans un sens ou dans un autre. Comme son nom l’indique, le morceau 1000 de Moby monte jusqu’au millier de beats par minute. Une vitesse démentielle qui reste cependant encore loin de celle à laquelle évolue Aekhloria. Sur leur morceau The Lost Temple, le groupe de speedcore a été flashé à 400.000 BPM…

A l’inverse, d’autres musiques revendiquent un certain art de la lenteur. En Belgique, on en sait quelque chose. Dans les années 80, la new beat a fait danser des nuits entières sur des rythmes ne dépassant pas les 90 BPM. La légende veut que la mode fut lancée par erreur, quand Marc Grouls, DJ au Boccaccio, lança le 45 tours Flesh du groupe new wave A Split Second à la mauvaise vitesse… Autre cas: celui de la techno minimale. Pourquoi celle-ci a-t-elle particulièrement essaimé à Berlin? D’aucuns, comme Ellen Alien, figure centrale de la scène techno locale, ont une explication très simple: les clubs berlinois n’étant pas soumis à des heures de fermeture strictes, il est difficile pour eux de jouer toute la nuit à une cadence infernale. Avec la minimale, il est au moins possible de ménager sa monture…

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En fait, à bien y regarder, le ralentissement du BPM serait général. Ces dernières années, le tempo serait redescendu autour des 110-120 BPM de croisière. « Il faut nuancer, précise Moonlight Matters, alias Sebastiaan Vandevoorde, remarqué pour ses récents remixes de Lana Del Rey et Charlotte Gainsbourg. Il existe plein de courants différents. Certains fonctionnent en effet sur des tempos plus lents, en dessous des 130 BPM. Mais en même temps, ces dernières années ont quand même vu l’arrivée et la domination de genres comme le dubstep. » En moyenne, un morceau dubstep tourne autour des 140 BPM. « Mais à ce rythme-là, explique DJ Harvey, cela devient difficile de danser sans paraître ridicule. C’est pour cela que le dubstep joue sur le demi-temps », donnant ainsi finalement l’impression de tourner lentement, autour des 70 BPM.

Qui sème le vent récolte le tempo

Pour fêter le début de l’été, Geoffroy Mugwump s’est fait plaisir. Le 30 juin dernier, au Bazaar, à Bruxelles, le boss des soirées Leftorium livrait un set de 8 heures . « Forcément, je vais me retenir de lâcher les chevaux trop tôt », s’amusait-il la veille de sa prestation marathon. Présent depuis 20 ans, figure essentielle du clubbing de la capitale (les soirées Food), Geoffroy confirme la décélération générale. « Il y a clairement une tendance au ralentissement. Un mec comme Andrew Weatherall par exemple, qui était super supporter d’une électro pure et dure, est en train de diminuer le tempo. On l’a programmé dans une prochaine Leftorium avec son concept A Love From Outer Space: il ne devrait pas commencer à plus de 90 BPM. » Une explication à ce coup de frein collectif? « Difficile à dire. La musique, c’est une succession de tendances. On ne peut pas éternellement être dans la surenchère et bastonner. Il y a moyen de gérer une salle sans taper tout le temps dans les 135 BPM. »

Un indice malgré tout? Depuis quelques années, les voix ont fait leur grand retour dans la musique électronique. Or, même déformées et retravaillées, elles sont plus compliquées à mixer et à accélérer -en tout cas sans que cela se remarque trop. The Magician, alias Stephen Fasano, continue: « Le format dance intègre aussi de plus en plus d’éléments pop, funk. Tout se mélange en fait. Personnellement, cela fait 3, 4 ans que j’observe ce ralentissement général. Il y a eu par exemple la vague nu disco à laquelle j’ai pu contribuer et qui a fait redescendre le compteur à 115-120. Et puis certains « meneurs » ont aussi commencé à lever le pied. Des mecs comme Diplo ou même Steve Aoki jouaient beaucoup plus rapidement il y a 4 ans d’ici. »

Pilier de la French Touch, Etienne de Crécy vient lui de sortir My Contribution To The Global Warming, anthologie de 5 CD résumant quelque 20 ans de carrière (lire dans le Focus du 6 juillet). « Ce qui a changé depuis mes débuts? Les drogues. Quand j’ai commencé, c’était beaucoup d’XTC: les morceaux étaient très longs, dans la montée. Puis, il y a eu la coke: les morceaux faisaient 2’30 à tout péter. Aujourd’hui, tu sens que le MDMA revient énormément dans les soirées. Donc, la musique va rechanger. C’est en cours. C’est pour cela que les morceaux redeviennent plus longs, beaucoup plus cool. »

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L’explication serait donc là, dans les changements d’habitudes de « consommation » des clubbers. A nouveau carburant, nouvelle musique. La vogue actuelle du MDMA aurait ainsi amené à ralentir le tempo. On soumet l’hypothèse à ce vieux pirate de DJ Harvey. « Bullshit! C’est la chose la plus ridicule que j’ai jamais entendue. Ce n’est pas très sérieux, franchement. C’est comme quand on me dit que les Kraftwerk sont les Beatles de la musique électronique. Gimme a fuckin’ break! A la limite, la drogue permet de jouer de la musique chiante (rires). C’est vrai que si vous prenez assez de speed, tout devient divertissant, non? » Puisqu’il est bien lancé, on insiste tout de même un peu: n’y a-t-il vraiment aucune corrélation à faire? « Les rythmes qui font bouger les gens sont les mêmes depuis le début. Avec ou sans drogues, 120 BPM est un super tempo si vous avez envie de danser. C’est le même que le rock’n’roll des années 50: tchukudumdum… Franchement, vous n’avez pas besoin de drogues pour être high sur cette musique. »

10 DAYS OFF EXPRESS

Quand? du 13 au 23 juillet, pendant les fameuses Gentse Feesten.
Où? Loin des festivals électros mammouths à la Tomorrowland, les 10 Days Off restent ancrés au superbe Vooruit de Gand, au coeur de la ville.
Comment? Chaque soir, une affiche différente et cohérente, avec des live et surtout des DJ set.
Qui? Richie Hawtin, Booka Shade, Koze, DJ Harvey, John Talabot, Pachanga Boys (Rebolledo + Superpitcher), Matthew Herbert…
Combien? 16 euros par soir en prévente; 75 euros pour tout le festival.
Infos? www.10daysoff.be

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