Pelican Fly, un nouvel envol pour la musique électronique belge

Le logo de Pelican Fly. © Richelle
Tanguy Labrador Ruiz

Pelican Fly fait aujourd’hui l’objet d’un succès grandissant à travers le monde. Avec ses productions éclectiques et aventureuses, le label bruxellois rappelle que la Belgique s’y connaît en musique électronique. Interview.

C’est en 2011 que la bande à DJ Slow, Richelle et Mister Tweeks fonde le label Pelican Fly à Bruxelles. Objectif: regrouper et sortir leurs morceaux de manière autonome et indépendante. Rapidement, les propositions d’artistes enthousiasmés par leurs productions novatrices et originales affluent et le succès est au rendez-vous. Cashmere Cat propulse le label à un niveau supérieur avec son EP Mirror Maru en 2012 et les soirées à travers le monde se multiplient.

Alors que Lido fait parler de lui avec son EP I Love You, sorti il y a peu de temps, et que Lucid vient de sortir son deuxième EP, Heartagram le 18 novembre, les membres fondateurs du label se posent des questions. Comment s’affirmer davantage en Belgique, alors que d’autres pays accueillent leurs soirées à bras ouverts? Est-il temps de grandir davantage et de faire de Pelican Fly un métier et non plus une passion sur le côté? Nous en avons parlé avec Richelle, Charles et Gilles.

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Pelican Fly est né grâce à Internet et aux nouveaux médias?

Thomas: Internet permet d’accélérer le processus.

Richelle: Ça réduit la part d’investissement. L’investissement nécessaire pour sortir de la musique n’est plus du tout le même, qu’à une époque où on devait obligatoirement passer par un studio et investir dans la publication de la musique. Dans les CD pour la promo par exemple, qui coûtent très cher et qu’il faut distribuer. Alors qu’un mp3, ça s’envoie par mail et ça va très vite.

Au niveau de la distribution de la musique, vous ne proposez que Mirror Maru de Cashmere Cat au format physique. C’est une question de choix ou un manque de moyens?

Mirror Maru de Cashmere Cat
Mirror Maru de Cashmere Cat© Pelican Fly

Richelle: Les deux. La question se posait: est-ce que nous allons proposer du physique pour ne vendre que 50 exemplaires? Dans un premier temps, on s’est dit que ça n’en valait pas la peine. Par contre, cela ne veut pas dire que nous ne mettrons pas notre catalogue au format physique un jour ou l’autre.

Gilles: Ce n’est pas l’idée de base, mais ce n’est vraiment pas quelque chose qui nous déplairait de faire. En fait, la sortie de Mirror Maru s’est faite en collaboration avec Ed Banger (le label de Justice et Busy P, ndlr).

Richelle: Et ce n’était que pour les remixes. L’EP original n’est sorti qu’en digital lui aussi. Et le deuxième EP de Cashmere Cat est disponible sur un autre label (Wedding Bells sur LuckyMe, ndlr) en physique et en digital. Nous, on ne l’a pas fait, mais ce n’est pas quelque chose que je regrette. On y pense quand même souvent. Mais à l’époque, nous n’avions pas les moyens d’investir là-dedans.

Le hip-hop semble être une influence majeure pour toi et la plupart des artistes du label. Est-ce quelque chose que Pelican Fly revendique?

Richelle: Je crois que c’est le point commun entre tous les artistes du label, c’est cette influence rap. Et je pense que la plupart des artistes qui ont sorti quelque chose chez nous avaient une histoire dans le rap auparavant. Par exemple, Mister Tweeks, c’était un beatmaker à la base. Il avait déjà des productions pour des artistes locaux et quelques-unes à l’étranger.

Gilles: Il a travaillé notamment avec Convok, un rappeur bruxellois qui est depuis longtemps dans le milieu et qui est vraiment bien.

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Richelle: Pareil pour Mister Tweeks et Sinjin Hawke, qui lui, était davantage issu du milieu des soirées. Un moment, avec DJ Slow, nous organisions des soirées qui s’appelaient Freaks & Geeks. C’était une soirée dont le but était de faire de la musique que nous considérions comme « à la pointe ». Ça a commencé en 2008 au Café Bota pendant 3/4 ans. Mais le concept s’est essoufflé. Les frontières musicales disparaissaient à l’époque. Tout le monde voulait faire des remixes et sortir la musique la plus « bizarre » en quelque sorte. Il y avait une énorme émulation autour de ça. Et la naissance de Pelican Fly est très fortement inspirée de cette idée-là. C’est un peu ce qu’exprime le logo du label, avec sa cage ouverte. Il y a des genres musicaux qui existent, mais nous n’aimons pas être catalogués comme juste « trap » ou juste « électro » ou « rap ».

C’est en effet un peu ce à quoi a toujours aspiré la musique électronique.

Richelle: Clairement. Et c’est pareil pour le rap, qui a toujours absorbé ce qu’il y a autour de lui. Il y a des samples de tout, de musique classique, de jazz, de rock…

Gilles: Il y a également ce côté club mis au milieu. Que ce soit le hip-hop et la techno, les deux se passent dans un club. Ce sont des milieux parallèles. Ils possèdent le même type d’endroit pour jouer leur musique. Alors que les salles de concert sont moins bien adaptées pour le rap. Il y a un côté qualitatif qui n’est pas souvent présent dans les concerts de rap.

C’est donc quelque chose que vous avez voulu arranger, en prenant des racines hip-hop que vous avez transposées dans une musique plus dansante, plus club, qui puisse être transmise plus facilement au public?

Richelle: Oui, tout à fait.

Gilles: Surtout le rap du sud des Etats-Unis (le Dirty South de Scarface, CunninLynguists ou encore Three 6 Mafia, ndlr). Et la musique électronique, de manière générale, à part Aphex Twin et des choses assez obscures comme ça, ça s’écoute dans des boîtes, avec une rythmique qui fait bouger les gens. Et je pense que dans la rap il y a ça et autre chose aussi. On prend ce qu’il y a de club dans l’un et club dans l’autre, même si, au final, nous ne sommes pas un label club uniquement. Nous avons aussi des productions plus intimistes, comme le premier EP de Lucid (Thy EP, ndlr)

Richelle: C’est plus mental.

Gilles: Comme Sam Tiba, c’est davantage de la musique de chambre (rires). De la musique de chambre pas forcément calme, mais ça s’écoute plutôt chez soi en tout cas.

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En parlant de Sam Tiba, il a signé un EP chez vous, Para One a remixé Lido, Pedro Winter parle régulièrement de vous dans son émission sur le Mouv’, Canblaster a aussi fait un remix pour vous… Vous avez l’air d’avoir un contact très fort avec la France et la scène parisienne. Comment est née cette connexion?

Richelle: D’abord, DJ Slow avait des connexions musicales bien ancrées à Paris. Paris a beau être une nettement plus grande ville que Bruxelles, dans le monde de la musique électronique ça reste une assez petite scène finalement. Et les gens se connaissent bien. Au début, quand on a fait le label, on nous avait proposé assez rapidement d’avoir une soirée en résidence dans un club à Paris. Ensuite, avec Thomas nous avions un blog via lequel nous étions en contact à l’époque avec un autre blog en plein essor, Fluokids. Et ce blog regroupait ce qui est devenu aujourd’hui des têtes pensantes de la nightlife parisienne. Je pense par exemple à Guillaume Berg, qui est aujourd’hui le manager de pas mal de monde (il est notamment manager pour le label Savoir Faire, ndlr) . On rencontrait ces gens sur des forums, et ce qui est marrant, c’est que c’était souvent sur des forums américains. Notamment, Hollerboard, qui était tenu par Low Bee et Diplo.

Gilles: C’était les prémices de Mad Decent (le label de Diplo, Sinden, Major Lazer… ndlr).

Richelle: Exactement. Mad Decent existait déjà, mais c’était de la taille de Pelican Fly aujourd’hui. C’est un forum sur lequel on discutait tous les jours avec des gens comme Diplo, Duke Dumont, Teki Latex, Para One… Et tous ces gens sont devenus très connus. Nous étions très fans de l’album Bâtards Sensibles, produit par Para One pour TTC. C’était un des premiers à faire ce mélange entre rap et musique électronique. Et à le faire bien. Et DJ Orgasmic était aussi un des premiers à jouer sur le croisement des genres musicaux, avec une culture rap très importante. Ce sont ces gens qui ont lancé cette démarche de mélange des musiques.

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D’où votre parenté musicale avec cette scène. Mais vous possédez indéniablement une identité sonore qui vous est propre.

Richelle: Oui. Ça s’est créé un peu tout seul. Je crois que ce sont les premiers EP qui ont donné un peu la couleur. Pas mal de gens se sont ensuite reconnus la dedans et sont venus vers nous. Ce qui est paradoxal par rapport à notre image, c’est qu’en voulant casser les catégories, nous avons fini par en créer une autre.

Est-ce que vous arrivez facilement à jouer en Belgique? Est-il encore possible de jouer en dehors des festivals et des concerts et de faire des soirées?

Richelle: C’est une question compliquée. On aimerait vraiment pouvoir trouver une résidence à Bruxelles. Quand les soirées Freaks & Geeks ont périclitées, ça nous a un peu refroidis. On avait quelques amis qui ont essayés de faire des soirées dans la même veine, et ils ont eu beaucoup de mal. C’est beaucoup d’efforts avec assez peu de retours. À cette époque, nous avions de meilleures propositions à Paris et dans d’autres villes, du coup ça ne servait à rien de beaucoup s’investir ici. Mais on aimerait bien avoir un endroit qui nous donne la liberté artistique complète pour jouer.

Au niveau médiatique, on n’entend pas beaucoup parler de Pelican Fly chez nous, comment cela se fait-il?

Pelican Fly
Pelican Fly© Pelican Fly

Richelle: Je ne sais pas si c’est une bonne solution ou une erreur, mais globalement, nous n’avons jamais cherché à démarcher les gens.

Gilles: Nous n’avons pas de dossier de presse.

Richelle: Ça peut sembler bizarre, mais nous nous sommes toujours dits qu’on avait envie de travailler avec une audience qui est la plus qualitative possible.

Ne faire de la musique que pour ceux qui viennent vous écouter?

Richelle: Oui. C’est un peu le même principe que pour les likes « organiques » sur Facebook. On aime que les gens viennent vers nous dans une logique proactive et qui nous disent que c’est ça qu’ils aiment et qu’ils recherchent. On ne veut pas dire « écoutez ce qu’on fait, écoutez ce qu’on fait! »

Ne risquez-vous pas de passer à côté de personnes susceptibles d’apprécier votre travail, mais qui n’ont jamais entendues parler de vous?

Richelle: Il y a un autre aspect à prendre en compte. J’ai un autre emploi à plein temps, DJ Slow aussi. Maintenant, nous sommes tous en train de nous poser des questions, d’envisager de passer au niveau supérieur. Et alors nous serions un peu plus présents. Si nous devions gagner notre vie grâce au label, il faudra agir proportionnellement pour y arriver.

Il y a indéniablement une attention nouvelle qui se porte actuellement sur vos productions. Lido a remixé Banks, Disclosure, The Weeknd, Justin Timberlake ou encore Bastille, qui sont tous des artistes très populaires. Est-ce un moyen de toucher un public plus vaste?

Richelle: Celui qui a le mieux marché, c’est le remix qu’il a fait du Ain’t No Sunshine de Bill Withers, qui est quand même un vieux classique de la soul. Mais on sent effectivement qu’on passe à un autre niveau.

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Gilles: Dans le choix des remixes on voit qu’il a choisi des morceaux pop. Et des gens peuvent se demander pourquoi un artiste de Pelican Fly remixe ça. Mais nous n’avons aucune frontière.

Charles: C’est le résultat final qui est important.

Richelle: Faire un remix de Banks pour en faire quelque chose qui se joue en club, ça colle bien à ce qu’on veut faire avec Pelican Fly. Mais on reste très sélectifs dans notre recherche d’absence de limite. Nous avons un certain ADN.

Votre musique reste facile d’accès, presque pop par moments et c’est assez étonnant de ne pas la voir davantage appréciée du grand public.

Richelle: Nous ne cherchons pas à faire de la musique pour être à la mode, ni à suivre la tendance du moment. On aime bien l’imprévu.

Gilles: Il faut mettre ses couilles sur la table. Si tu aimes faire de la musique, ce n’est pas pour recopier les autres. Tu peux t’inspirer de quelqu’un, mais tu dois apporter quelque chose en plus de personnel.

Richelle: Il n’y a pas de préceptes Pelican Fly. On reçoit tous les jours des propositions, maintenant. On se dit souvent que les gens essayent de faire quelque chose qui va marcher, mais qui n’a pas de personnalité. Alors que la première fois qu’on a écouté Lucid, par exemple, on s’est dit qu’on n’avait jamais rien entendu de pareil. Pareil pour Cashmere Cat. C’est ça qui nous passionne. Des gens qui font découvrir un spectre musical d’une façon unique et spécifique.

Comment travaillez-vous avec vos artistes?

Richelle: Nous n’avons aucun engagement sur les délais. Quand le résultat nous plaît, on confie les morceaux au distributeur. Et on essaye à chaque fois de créer un vent favorable aux sorties avec des teasers, des vidéos, … De quoi accompagner la sortie.

Gilles: C’est une coordination de grand nombre.

Richelle: Par exemple Lido, avant de sortir son EP I Love You, il a lâché pleins de remixes qui ont fait monter la sauce.

Lido qui est d’ailleurs assez réputé comme remixeur. Quelque chose de prévu avec lui prochainement?

Richelle: Il est très prolifique. Il est en train de travailler avec Canblaster sur un projet, qui est plutôt prometteur.

Il est un peu devenu la figure de proue du label?

Richelle: Oui, mais comme le montre bien notre logo, nous ne cherchons pas à forcer les artistes à rester. Si ils veulent partir, ils sont libres de le faire. Mais, d’un autre côté, la cage est quand même là. Si ils restent, c’est mieux pour nous bien entendu.

Gilles: Je pense que c’est mieux de travailler dans une ambiance familiale, où les gens aiment se voir et travailler ensemble. Pelican Fly, ce sont avant tout des amis.

Richelle: Et ceux qui ne l’étaient pas, le sont devenus. Par exemple Andrew, qui est australien, a passé un mois avec nous. Ce n’est pas un rapport très professionnel, mais nous sommes dans une logique artistique. On cherche d’abord à faire de l’art. Une fois que notre catalogue sera bien rempli, et il commence à l’être, nous chercherons davantage à nous vendre.

Vous n’avez sorti aucun album pour le moment, c’est une question de choix?

Richelle: Pour moi, il faut un sacré matériel pour faire un album…

Gilles: Et nous n’avons aucune garantie. On peut travailler avec quelqu’un sur base de ses démos, et si après 6 mois il part dans d’autres directions qui ne nous conviennent plus, on arrête tout. Il n’y a aucune obligation.

Richelle: C’est un contrat moral. On apporte de l’aide à l’artiste, mais il n’y a pas de promesse de sortie ou de date fixée à l’avance. Pour le moment, nous avons bien une dizaine d’EP en préparation. Et nous n’avons aucune idée, ou très peu, de quand ça sortira. Chacun a des rythmes différents, mais il n’y a pas de règles.

Pelican Fly sera présent le 4 décembre prochain au Recyclart pour la Pelican Fly Label Night. Plus d’informations ici.

Plus d’informations sur le label via leur site.

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