Oxmo Puccino, le roi de pique

© DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Loin du rap game, mais toujours en mode hip hop, Oxmo Puccino fricote à nouveau avec la chanson sur son « Roi sans carosse ». Rencontre avec le black Popeye, entre deux séances de répèt’.

OXMO PUCCINO, ROI SANS CARROSSE, WAGRAM/PIAS. ****
EN CONCERT LE 29/11, AU CIRQUE ROYAL, BRUXELLES.

Montrouge. Au bout de la ligne 13, au sud de Paris. À dix minutes à pied de la station de métro, les studios Music Live sont planqués derrière une façade anonyme. C’est là qu’on a rendez-vous avec Oxmo Puccino, en plein rodage avant de partir en tournée. Sur le côté, dans la pente d’un car-wash en souterrain, une porte. Un escalier plus bas, une dizaine de locaux de répétition s’enchaînent le long des couloirs étroits, de l' »alcôve » intimiste au grand plateau. Le plus imposant -160 m²- sert généralement à préparer des Bataclan ou des Olympia. Il est aujourd’hui occupé, mais impossible de savoir par qui. « Top secret »… Sur le mur de la réception, quelques-uns des artistes qui sont passés ici ont laissé un mot, une signature: de Claude Nougaro à Alicia Keys, de Zazie à Supertramp, etc.

Assis sur un tabouret, le rappeur Féfé picore dans son paquet de dragibus. L’ancien Saïan Supa Crew est en train de terminer son second album solo (son premier, Jeune à la retraite, est sorti en 2009) et est venu faire écouter un de ses nouveaux morceaux à Oxmo Puccino. « On arrive au bout du processus. Le disque pourrait sortir début de l’année prochaine. Mais ce n’est pas simple. Il a fallu encore convaincre la maison de disques, réexpliquer inlassablement que mon projet n’est ni complètement chanté, ni totalement rappé… » Comme quoi, la liberté ne s’arrache pas en un jour. Posez la question à Oxmo Puccino. Depuis près de quinze ans, il n’a cessé de déjouer les paris, feintant, esquivant, passant du rap à la chanson, du jazz à la pige pour cadors de la variét’, en passant par des expériences latino.

Le sucre et le piment

Au départ, Puccino a pourtant les deux pieds bien ancrés dans le rap. Né au Mali en 1974, Abdoulaye Diarra de son vrai nom arrive à Paris, alors qu’il n’a que 5 ans. Sa famille s’installe dans le quartier Danube. Un coin « sensible » du XIXe arrondissement, au nord-est de la capitale. Il commence à rapper assez tard, vers 20 ans, intégrant le collectif Time Bomb (dans lequel on retrouve un certain Booba). Il sort alors un premier titre, en 97. Ambiance black mafia, Scarface en boucle, The Notorious BIG dans le poste (le rappeur américain vient de se faire assassiner). « Black Mafia, lève ton flingue, charge-le, sois dingue/Vise dans le tas et n’hésite pas si on injurie la Black Mafia. » Du gangsta rap made in France, sauf que le morceau s’appelle Pucc Fiction, et qu’il joue plus sur le fantasme et le côté comics que sur le roulement de mécaniques mononeuronal. Le verbe d’Oxmo a de l’allure, un sens de la métaphore et de la litote qui fait mouche. Le rappeur évite ainsi de jouer la carte « rap de caillera », l’agression frontale. Pourtant, les mauvais plans, les coups foireux, la violence urbaine, il connaît. En 2009, il rappera notamment: « J’ai trouvé ma voie le jour où j’ai pensé à tuer un homme » (L’arme de paix)… « Je suis heureux du mal que je n’ai pas fait », insiste-t-il à nouveau aujourd’hui sur son dernier album…

Après trois premiers albums, il osera le virage Lipopette Bar. C’était en 2006. Oxmo Puccino prenait la tangente, quittant l’univers hip hop stricto sensu pour s’offrir une balade « jazz » pour le compte du prestigieux label Blue Note. « J’avais un album qui était prêt, mais je n’avais pas envie de le sortir à ce moment-là. J’avais l’impression de ne pas évoluer, d’être dans la redite. Et puis, autour de moi, il n’y avait aucune émulation. Je voyais la scène hip hop en roue libre, en train de louper le train de l’électro, complètement refermée sur elle-même, divisée entre puristes et cartons commerciaux faciles. Je me suis dit alors ‘ciao, tout le monde, je vais voir ailleurs, on se retrouvera plus tard’. »

Depuis, celui que certains ont surnommé le Black Jack Brel s’est donc notamment promené du côté de la chanson française (L’arme de paix, disque d’or, Victoire de la musique en 2010). On le retrouve sur le nouveau Biolay, et pour le Roi sans carrosse, il collabore avec le violoncelliste Vincent Ségal. Pourtant, le premier single de l’album, Le sucre pimenté, est bien un rap ego-trip virtuose (« Le rap francophone/Je vais m’le piloter »). Dans une vidéo disponible sur YouTube (ci-dessous), Oxmo invite même une série de collègues rappeurs (Busta Flex, Orelsan…), tout le monde dans le jardin, grillades au menu, pour un « freestyle bbq » aux petits oignons. En fait, c’est bien là le tour de force d’Oxmo Puccino: être arrivé à passer le nez en dehors du rap, tout en maintenant une crédibilité hip hop. « Mon état d’esprit est hip hop. Cela, personne ne peut le remettre en cause. Je peux régler la question en un morceau. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Le voici donc, crâne glabre, stature amincie mais toujours imposante de héros de cinéma, type Lino Ventura. Il a laissé son groupe quelques minutes, toujours mené par le fidèle Côme Aguiar à la basse. Pendant qu’ils retravaillent l’intro de Mes fans, leur leader-rappeur s’assied dans le divan pour évoquer Roi sans carrosse, ses humeurs souvent sombres, son « daddy blues », sa vision du couple… La vie devant soi, façon Oxmo, en Puccino dans le texte.

« Le suspense des prochains loyers/Peut causer des problèmes de loyauté » (Artiste). Cela a pu être ton cas?

Non. Je suis quelqu’un qui essaie de tenir sa parole. Même si c’est quelques fois à mes dépens… Je ne dis pas que c’est simple. L’appât du gain qui vient d’apparaître, qu’on ne reconnaît pas, que l’on prend pour autre chose -une chance, une opportunité, une ouverture-, alors que ce n’est que financier… Moi, je suis toujours concentré sur l’oeuvre, la raison de la rencontre, et puis ensuite on voit.

Début des années 2000, tu as par exemple écrit des textes pour Florent Pagny, Alizée…

Je n’ai jamais rien promis par rapport au rap. Quand j’ai commencé, je n’avais pas de fans. Cela s’est fait sur la durée. J’ai présenté quelque chose et cela a plu. Par après, je n’ai jamais proposé deux fois la même chose. J’ai toujours voulu évoluer, essayer des choses. Alors aujourd’hui, je peux être compris et ça semble plus évident. Mais j’ai connu des passages où je passais pour le fou. Quand j’ai sorti par exemple mon 3e album, Cactus de Sibérie, je n’étais plus à la mode, j’étais considéré comme un artiste fini. L’ambiance dans le rap était au ras des pâquerettes. C’étaient les clash, le rap rentable. On vendait des disques à 100.000, 200.000 exemplaires. C’était déjà un peu la fin, mais beaucoup s’accrochaient à ça. De nombreux labels indépendants se sont créés pour des raisons uniquement vénales. Ils ont commencé à singer les maisons de disques, sans aucun moyen, ni expérience, ni aucune organisation. Forcément, ça n’a pas duré longtemps. Moi, j’ai continué à faire mes trucs. De cette ambiance ennuyeuse et dangereuse artistiquement, j’ai sauté dans Lipopette Bar…

« Après le coup de foudre, la vie la joue fourbe/Un bébé c’est doux, mais c’est la fin du couple » (Un an moins le quart).

Évidemment (sourire). Une des raisons pour lesquelles le couple a pas mal de difficultés aujourd’hui, c’est qu’il vit dans une sorte de fantasme que nos parents n’avaient pas: l’idée de correspondre à un schéma presque télévisé, quelque chose de parfait, où tout le monde serait heureux, le petit-déjeuner le matin comme dans la pub. Mais ce n’est pas comme ça du tout. Et quand on s’en rend compte, le revers peut être violent. C’est la vérité! Au départ, c’est le coup de foudre, vous êtes deux. Puis, il y a un troisième élément qui arrive. A partir de là, on n’en a plus rien à foutre du couple. Personne n’en a plus rien à foutre. Tout le monde est sur l’enfant. Ce qui est normal! Mais parfois, du coup, le couple s’oublie en route aussi.

Un an moins le quart est une sorte de daddy blues. Sans rentrer dans les détails, quel genre de père penses-tu être?

Disons, un père qui (silence)… fait le boulot. Et qui fait ce qu’il peut. Conscient de ses limites. Mais qui fait les choses à fond.

« Du paternel/On n’a pas tous la fibre »

L’instinct paternel, c’est quelque chose de très moderne. Demander à un père de mettre des couches il y a quelques décennies, c’est comme demander à une femme aujourd’hui de rester au foyer. C’est la même absurdité qui explose dans le cerveau. Cela étant dit, il n’y a rien à faire, l’instinct paternel n’est jamais aussi puissant que l’instinct maternel. La mère met au monde. Il y a un lien direct, littéralement ombilical. Un truc fusionnel. Tandis que le père a tout à faire. Il est extérieur à ça. Il n’a pas de mode d’emploi. Le jour de l’accouchement, tu es les bras croisés, tu ne sais pas comment réagir, tu vois tout le monde s’affairer autour de la mère, qui mène le combat de sa vie. Et là vraiment, on ne sert à RIEN. Je pense que beaucoup d’hommes ressentent ça.

« La liberté passe par un long chemin » (Parfois). Tu te sens libre aujourd’hui?

Ce n’est pas quelque chose de nouveau. On a pu me le reprocher même. Je vais là où je vibre. Tant qu’une musique, que quelqu’un me fait résonner, quelle que soit sa provenance, je ne réfléchis pas. Mais je ne vois donc pas ça comme une liberté. Ce sont les autres qui sont enfermés dans des petites cases. Ce sont les autres qui s’étonnent qu’il y ait une lumière différente de l’autre côté de la porte. Alors que la porte, ce sont eux qui l’ont mise. Il n’y a pas de portes, mais juste une sorte d’illusion collective. Un amalgame des clichés qu’on a en tête, de notre éducation, de nos peurs, de tout ça, qui construisent une façon de voir.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

« De l’oeuvre/Comment dresser la valeur? », t’interroges-tu encore dans Artiste. T’arrive-t-il de télécharger des morceaux par exemple?

Euh… un peu… Pour écouter, prendre la température. Et si ça me plaît, je vais acheter. Mais c’est rare. Parce que je me concentre souvent sur les mêmes musiques. Parce que je les étudie, je les travaille, parce que j’écris. Donc j’en écoute peu pour le plaisir.

Cela ne te manque pas?

J’étudie ce qui me touche. Il y a pire… Je découvre des formules magiques, je comprends mieux certaines choses… C’est comme si certaines créations étaient des clés pour comprendre l’univers. Un peu comme les quêtes scientifiques qui n’inventent rien, mais découvrent des choses, comme la formule de l’ADN. On arrive à déchiffrer des choses qui sont dans la nature depuis la nuit des temps. C’est ce qui est excitant. A mon échelle, compte tenu de l’étendue infinie de l’univers musical, je jubile.

« Les gens de 72, ils ne sont jamais bien nulle part/(…) Le coeur brisé à se remémorer l’âge d’or » (Les gens de 72). Alors qu’on ressort les compilations Rapattitude, que le rap français semble redécouvrir les fondamentaux des années 90, tu ponds un morceau anti-retromania!

Je ne parle pas des gens de 72 en particulier. C’est un chiffre parmi d’autres. Mais il est symbolique d’un endroit, d’une année. Des personnes qui ont vécu quelque chose de formidable dans un lieu, une date en particulier et qui veulent nous gâcher notre présent avec ce souvenir. Personnellement, j’ai vécu en direct ce qu’on appelle l’âge d’or du rap français, mais je ne suis pas nostalgique. Pour chaque événement heureux, il y avait son pendant plus sombre. Rien que ça, cela te donne envie d’avancer. Je veux profiter de la vie, tous les jours. Bien sûr, quand j’écoute Marvin Gaye, j’aurais rêvé d’assister à l’un de ses concerts. J’écoute avec envie ces mecs qui ont vu Hendrix à l’Olympia en 67. Mais là maintenant, il s’en passe aussi des choses. J’essaie de profiter aujourd’hui de ce qui pourrait me donner envie plus tard. Ce serait regrettable de nier une époque entière à cause d’un souvenir.

Rencontre Laurent Hoebrechts, à Paris

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content