Où sont les sons, expo ludique et immersive

Music for the Eyes © Rolf Julius
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

À la Centrale, l’exposition Où sont les sons? questionne les relations entre l’écoute, l’espace, le corps et la mémoire.

Deux immenses camions se serrent devant son entrée au point que, distrait, on pousse la porte de son voisin l’Open VLD… À la veille du vernissage d’Où sont les sons?, Nicole Gingras se promène dans la Centrale for Contemporary Art bruxelloise et veille au bon déroulement des opérations. Commissaire indépendante canadienne spécialisée dans les arts médiatiques, cinétiques et sonores, Nicole Gingras est la cheffe d’orchestre de l’exposition. Invitée à en tenir les rênes par la plateforme pour la recherche, la production et la diffusion de l’art sonore Overtoon, la Montréalaise a eu carte blanche dans la sélection des seize artistes. Certains sont belges. Contemporains. Parfois produits par ladite plateforme bruxelloise. D’autres sont des pionniers de l’art sonore. Des Allemands, des Autrichiens, des Canadiens… « Quand je monte des expositions de groupe, je tiens toujours à relier les pratiques récentes à l’Histoire. À créer du dialogue, explique-t-elle. Les plus vieilles oeuvres datent des années 80. Les plus récentes sont d’aujourd’hui. »

Dans son esprit, Nicole Gingras n’a pas tant conçu une exposition d’art sonore qu’une invitation à se mettre dans une position d’écoute. Écoute des sons, de l’espace, du silence. À la Centrale, on peut entendre de l’acier soumis à l’action d’une lente corrosion (Golfvorm de Christoph De Boeck). On lit les noms de vents enfermés par Raymond Gervais dans des boîtiers de CD et on se laisse envahir par les souvenirs qu’ils évoquent (Blaast). « Des relations se tissent entre les types de sons mais aussi entre les pratiques. Certains artistes par exemple pensent le son avec des oeuvres qui n’en produisent pas. Ils suggèrent des images acoustiques. Vont décrire, commenter, réveiller des expériences liées à l’écoute. On propose également des oeuvres sonores dans l’espace avec de l’amplification. Via des hauts-parleurs conventionnels mais aussi des boîtes en carton. »

Quelques oeuvres de l’expo font même directement appel à des parties inattendues du corps. Les os, la boîte crânienne… « Le corps est une antenne. On a beaucoup mis l’accent sur le tympan, l’ouïe mais on perçoit aussi les sons par les pieds, par la structure osseuse… » L’Allemand Rolf Julius (décédé en 2011 à Berlin) a ainsi intitulé l’une de ses oeuvres Musique pour les yeux. Soit des hauts-parleurs posés sur les mirettes. Une musique ténue qui fait vibrer la surface des paupières. « Le crâne devient une caisse de résonance. Ce sont les parties du corps qui vont conduire et transmettre le son. » Headscapes de Bernhard Leitner a lui été conçu pour un casque d’écoute. « Bernhard est un architecte de formation. Sa composition circule à l’intérieur de la tête. Elle traverse, tourne, se promène. J’ai voulu l’expo immersive. Et l’écoute dynamique. Elle n’est pas abstraite. Mais ludique, participative, ouverte… »

Promenades sonores

Où sont les sons?, ce sont des trucs carrément bizarres aussi. Comme cette installation (Bug Sounds) de Floris Vanhoof qui expérimente avec les découpes d’un disque vinyle transparent un projecteur à diapositives et une pince de scarabée utilisée comme pointe de lecture d’un tourne-disque. « Les artistes ont différents profils. Ils sont chercheurs par définition. Mais les parcours sont singuliers. Certains viennent de l’art visuel ou du son. D’autres de l’architecture ou de l’exploration de matériaux… Comme des ingénieurs. Floris et Katerina Undo par exemple sont fascinés par des choses extrêmement précises. »

Tandis que le Musée des Instruments de Musique accueille sur sa terrasse l’Heliophone d’Aernoudt Jacobs (Overtoon), une installation qui transforme la lumière du soleil en sons, l’Italien Davide Tidoni propose des promenades sonores. Des exercices d’écoute en extérieur, dans la ville, la nuit. « Sa participation est essentielle. Elle se fait hors murs. Elle va offrir une autre expérience. Elle changera le rapport que les visiteurs/participants entretiennent avec le son. » C’est l’une des volontés de l’art sonore. « En étant à l’écoute, en prêtant l’oreille, on peut entendre des rythmes sur des chantiers de construction. On décode les informations d’une autre façon. Les sons réunis ici sont des sons qu’on peut reconnaître dans notre quotidien. Peut-être qu’après s’être promené dans l’exposition, le visiteur sera sensible à une gamme plus large de sons. Certains sont associés à l’idée de bruit. Mais on réalise que ces bruits peuvent être agréables ou étonnants. Qu’ils peuvent réveiller des souvenirs. »

Qu’ils ont leur place au musée aussi… « Les pratiques sonores ont une histoire. Elles existent depuis 150 ans et on peut même remonter beaucoup plus loin. Des oeuvres étaient déjà présentées dans les années 60 et 70 dans un autre contexte. Un contexte où on ne parlait pas d’art sonore. Plutôt de performances. Il y a une histoire du son dans l’espace qui est née avec les artistes. Ce sont les artistes qui nous montrent comment faire les expos. » Celle de la Centrale se veut tout sauf austère… « J’ai pensé en termes de familles. Joué avec les compatibilités. Créé des compositions visuelles et sonores. Les gens s’attendent trop souvent à quelque chose de cacophonique quand on leur parle de ce genre d’événement. »

Où sont les sons? Where are sounds? Jusqu’au 10 septembre à la Centrale (Bruxelles). www.centrale.brussels

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