Orelsan: « J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les gens comprennent mieux ce que je fais »
Si le rap francophone a triomphé cette année, c’est notamment grâce à lui. Pilonnant les classements de vente avec son 3e album, Orelsan confirme qu’il est possible de combiner hip-hop et succès pop. La fête est finie? Elle ne fait au contraire que commencer…
2017, fin de partie. à l’heure de dresser les bilans, les classements des ventes de disques sont formels. Six ans après son dernier album sous son nom, Orelsan est bien l’un des grands vainqueurs de l’année écoulée. Avec La fête est finie, il a en effet retrouvé directement les sommets des hit-parades. Meilleur démarrage de 2017 en France lors de sa sortie, l’album était déjà certifié disque de platine (100.000 exemplaires), après une semaine seulement. Et il suit à peu près le même régime en Belgique.
Il a suffi d’un seul clip pour que la machine se remette en mouvement. Fin septembre, Orelsan lâchait ainsi un premier extrait, tourné sous la forme d’un long plan-séquence, filmé sur un pont en construction en Ukraine. Simple. Basique même, comme le titre du morceau qui a déjà tourné plus de 35 millions de fois sur YouTube. « Franchement, on pensait bien que le titre était pas mal, mais pas au point de cartonner comme ça », commente l’intéressé. Il faut dire que le gimmick est à peu près imparable. Sans le représenter complètement, il symbolise d’ailleurs assez bien l’efficacité d’un album irrésistible, bourré de punchlines drolatiques et de traits d’humour désespérés. Le rappeur a l’air sincèrement surpris. « J’ai l’impression qu’aujourd’hui, les gens comprennent mieux ce que je fais. » Cela n’a pas toujours été le cas.
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Au moment de lancer la machine promo, le rappeur a ainsi bien failli être une nouvelle fois rattrapé par une vieille polémique. Accusé à ses débuts d’incitation à la haine et à la violence envers les femmes (le morceau Sale pute, diffusé sur le Net, mais jamais publié sur disque), Orelsan a été par deux fois relaxé par la justice. Fin du débat? C’était sans compter la vague de protestation provoquée par la récente une des Inrocks, consacrée à Bertrand Cantat, et sur laquelle il se retrouvait également annoncé en bandeau. Un peu too much, surtout en pleine vague #metoo… Quelques semaines plus tard, Orelsan semble pourtant être passé à travers les gouttes. Mieux: il fait aujourd’hui quasi l’unanimité.
C’est une figure acrobatique assez compliquée à effectuer, mais, à l’instar d’un Damso, Orelsan l’a réalisée avec une maestria épatante: combiner succès critique et reconnaissance du public, adhésion des spécialistes et ouverture au mainstream. Sur La fête est finie, le rappeur invite aussi bien le très crédible Nekfeu que l’ultrapopulaire Maître Gims ou le rassembleur Stromae. En toute fin de parcours, il convie même les soeurs du duo Ibeyi. À un autre moment, on aurait parlé volontiers de grand écart. Aujourd’hui, la démarche donne l’impression de parfaitement résumer l’air du temps. Celui-là même, dont on répète un peu partout, qu’il a fait du rap la « nouvelle variété ». Le son de 2017? Orelsan l’incarne mieux que quiconque. Il y a six ans, il annonçait sur le morceau Raelsan: »Je suis de retour avec ma « sous-culture »/Sauf que c’est nous le futur. » Il avait raison. Aujourd’hui, il peut rapper sur San: « Quand j’disais: « C’est nous, le futur », je parlais d’maintenant/Je parlais de cet instant/Le futur, c’est maintenant. »
La folie de glandeurs
Aurélien Cotentin de son vrai nom est né en 1982, dans l’Orne, Normandie. Il a grandi à Alençon, avant que sa famille (ses deux parents travaillent dans l’enseignement) ne bouge jusqu’à Caen. De sa province, il garde aujourd’hui encore l’accent traînant. Fait-il ses 35 ans? Absolument. Très précisément, même. Notamment parce qu’il peut les porter, tout en pouvant se permettre d’afficher un look streetwear ado sans que cela ne paraisse incongru ou sonner faux. Le parfait entre-deux.
Au tout début de La fête est finie, sur le morceau San, il explique ainsi être « à la fin du début de [sa] carrière ». Après trois albums, Orelsan semble être en effet à la fin d’un chapitre. Ou au début d’un autre, c’est selon. « C’est pour cela que j’aimais bien le titre La fête est finie. Il peut être pris dans les deux sens. C’est à la fois ce moment un peu triste où les lumières se rallument. Mais cela peut être aussi le démarrage de quelque chose de nouveau, cet instant où vous vous retroussez les manches pour aborder quelque chose de neuf, et monter au front. »
De jeune rappeur générationnel, vaguement sulfureux, né avec la PS4 et MySpace, Orelsan est ainsi en passe de devenir un chroniqueur dont les états d’âme peuvent parler au plus grand monde. Est-ce l’époque qui a évolué? Ou lui qui a « mûri »? Sans doute un peu des deux. Foncièrement, ce n’est pas tant que le rappeur a arrondi les angles ou changé tellement de ton. Il fallait peut-être juste un peu de temps pour compléter le portrait. Pour cela, entre Le Chant des sirènes en 2011 et La fête est finie, Orelsan n’est pas resté inactif, loin de là.
Avec son pote Gringe (Guillaume Tranchant), il a formé les Casseurs Flowters (deux albums studio). Le duo est également à la base de la série Bloqués, née dans le prolongement du carton des capsules Bref, sur Canal +. En 2015, Orelsan a également fait ses débuts comme réalisateur (et acteur). Loin des comédies franchouillardes et lourdingues, Comment c’est loin a pu en surprendre plus d’un, avec sa poésie en creux. Premier long métrage largement autobiographique, le film propose un buddy movie aussi savoureux que lunaire. Une ode à la glande et à la procrastination (et à son dépassement), qui a précisé le profil d’Orelsan. Où ce qui frappe est moins les outrances du « Eminem français » (sic) que ses errances et ses doutes. « Ça fait mal à la fierté, j’ai du mal à l’admettre/Mais j’ai jamais été aussi perdu », lâche-t-il ainsi encore en ouverture de son nouvel album.
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Grâce à ces échappées vers le cinéma et la télé, Orelsan a également pu affiner son storytelling. Le rappeur a toujours eu les fulgurances très cinématographiques. Sur La fête est finie, il soigne particulièrement sa mise en scène. Ce n’est sans doute pas un hasard si un morceau comme Tout va bien semble reproduire la mécanique de La vie est belle, de Roberto Benigni, le narrateur maquillant la réalité pour la rendre plus supportable: « Petit, tout va bien/Si la voisine crie très fort, c’est qu’elle a pas bien entendu/Si elle a du bleu sur le corps, c’est qu’elle a joué dans la peinture. » Ailleurs, c’est une scène à la Festen qui se joue dans Défaite de famille. Lors de la grande réunion familiale annuelle, Orelsan règle ses comptes. Oncles, cousins, tantes, grands-parents… Personne n’est épargné, de « tata, le genre de crevarde qui lave les assiettes en carton » à Arnaud « venu se prendre en photo pour alimenter ses réseaux sociaux/Profiter d’être avec quelques prolos pour pouvoir encore plus jouer les bobos ». Un défouloir assez jubilatoire avant d’attaquer le marathon des fêtes de famille de fin d’année… « Aujourd’hui, c’est le titre qui fonctionne le mieux sur Internet, s’amuse Orelsan. Pourtant, à la base, je ne voulais pas partir là-dessus. La première version était nettement plus bienveillante. Ou en tout cas moins méchante (rires). Dans le refrain, je levais par exemple un toast en disant un truc du genre: « Voilà malgré nos défauts, on est quand même tous là, on a tous fait l’effort de se réunir et de se retrouver dans notre campagne de merde » (rires). Ce n’était pas nul du tout, je trouvais même la mélodie super cool. Elle avait un truc un plus bluesy, j’ai eu du mal à la lâcher. Mais parfois il faut faire des sacrifices. » Et couper au montage, pour mieux recentrer le propos. « Skread (Matthieu Le Carpentier, fidèle producteur d’Orelsan, NDLR) me disait tout le temps: « Il y a un truc, mais pas LE truc. » Du coup, je me suis mis à retravailler le texte. Après quatre versions, je suis arrivé au morceau final, qui est plus féroce. Même si cela reste une blague, hein. »
Mec lent, vie rapide
Chassez le naturel, il revient au galop? Pas si vite. Si la plume d’Orelsan continue de pratiquer le cynisme et l’ironie (voire l’auto-ironie, quand il raconte par exemple « On m’appelle « Nekfeu » quand on m’croise dans la rue », dans Christophe), elle se permet aussi de baisser la garde ici et là. « J’sais pas ce qu’ils ont glissé dans mon verre/Pour que la nuit devienne la lumière », explique-t-il sur La Lumière. En couple et amoureux, Orelsan ose les grandes déclarations, dont la naïveté n’a d’égal que la crudité de certains de ses textes les plus trash –« Ça fait sept ans qu’on sort ensemble depuis deux semaines », glisse-t-il sur Paradis. « En fait, dans ma tête, je voulais faire un album super positif. C’était l’intention de départ. Je pensais que le mec un peu paumé des deux premiers albums, c’était bon, j’avais fait le tour. C’est comme ça que je me suis retrouvé à écrire une première série de trois, quatre titres, dont Paradis. » Mais la base posée, Orelsan plafonne. La machine s’enraye. On ne se débarrasse pas si facilement de son mauvais esprit. « J’ai eu quatre mois très compliqués. Je n’arrivais pas à terminer le moindre morceau. Ce qui peut vite devenir très déprimant. Voire complètement flippant, quand votre vie consiste précisément à faire de la musique. Je bossais tous les jours et rien de valable ne sortait. Vous vous mettez alors à repenser à tous vos chanteurs favoris qui à un moment donné ont fini par perdre le « truc », et vous vous dites que c’est peut-être votre tour. Alors j’ai un peu revu mes plans. J’ai réalisé que j’avais peut-être été trop vite, et que j’avais écrit la fin de l’histoire avant même d’avoir raconté le début. J’ai également pris conscience que je m’étais un peu menti à moi-même, que je n’étais pas si établi que ça dans la vie, que certaines choses tanguaient toujours. Alors, j’ai commencé à faire un inventaire. J’ai fait le tri. »
Cette démarche est résumée en toute fin de disque, avec le morceau Notes pour trop tard. épaulé par Ibeyi aux choeurs, Orelsan y déroule une longue litanie (plus de sept minutes) où il s’adresse à celui qu’il était ado. De cette période, on ne sort jamais complètement, reconnaît-il –« le seul remède, c’est le temps », conclut celui qui, quand il ne rappe pas, semble toujours légèrement en décalage. « Mec lent, vie rapide », détaille-t-il un peu plus tôt. « Au fond, je serais incapable de dire si je suis un hyperactif ou un gros fainéant. »
Les paradoxes, Orelsan a toujours adoré ça, et continue tout le long de jongler avec. Par exemple quand il revient une nouvelles fois sur ses origines provinciales normandes:« Je viens de la France où l’on danse la chenille », moque-t-il sur La Pluie, avec Stromae au refrain, avant d’avouer: « Trempé, j’aurais jamais pensé/Que le mauvais temps finirait par me manquer. » Ou qu’il aborde la popularité désormais massive de la scène hip-hop. »J’aimais le rap avant que la hype ne le gentrifie », insiste-t-il sur San, tout en invitant plus loin Maître Gims, rappeur des familles, qui se décrit lui-même comme « le pont entre Young Thug et George Moustaki » (!), ne comprenant toujours pas « pourquoi autant de Blancs me kiffent » (l’hilarant Christophe).
Contradictoire? Au contraire. Quand il est arrivé, Orelsan était souvent présenté comme le rappeur qui rendait accessible le rap alternatif. Aujourd’hui, il est celui qui rend crédible le rap mainstream. Et si c’est un exercice d’équilibriste, l’intéressé l’a en réalité toujours pratiqué. « C’est vrai que quand j’ai commencé, personne n’écoutait de rap autour de moi, y compris dans les gens de mon âge. C’était un désert. Maintenant, tout le monde en écoute. Et c’est très bien comme ça. » En 2011, il prévenait déjà: « Dites à la ménagère qu’on a ressuscité CloClo. » Qu’il ait pris aujourd’hui les traits droopy d’Orelsan est particulièrement réjouissant. Rhaaaaaa!
Orelsan, La fête est finie, distr. 7th Magnitude/Pias. Notre critique.
En concert le 23/03, à Forest National.
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