Odd Future: « Jamais je n’écrirai une chanson pour rendre un autre heureux. »

Viols agressions, drogues, kidnappings, meurtres… Emmenés par Tyler The Creator, les jeunes rappeurs d’Odd Future (OFWGKTA) crachent aux oreilles et aux yeux de l’Amérique les maux qui la rongent. Swag.

« Notre musique, c’est comme le bacon. C’est affreux pour ta santé mais c’est tellement bon que tu peux pas t’empêcher d’en bouffer. » On nous l’annonçait turbulent. Intenable. « Difficile de prévoir une interview traditionnelle. Il a du mal à tenir en place plus d’un quart d’heure », justifiait même le label XL qui sort ces jours-ci Goblin, son premier album à bénéficier d’une vraie distribution. Casquette vissée sur la tête, skate à portée de main, Tyler The Creator, 20 ans, est peace, sage comme une image, installé dans l’immense hall couvert d’un luxueux hôtel texan.

Alors que la devanture de l’établissement ressemble à une cour de récréation, que ses potes surfent sur le bitume dans la pente en colimaçon qui mène au parking souterrain, Tyler se plie au petit jeu de la promo. Le jeune homme fait aussi peur que Bob l’éponge et Winnie l’Ourson. On peinerait presque à croire qu’il s’agit de la nouvelle terreur du hip hop west coast. Celui qui est en train de retourner South by Southwest, le festival indé aux 2000 groupes, comme il va dans les prochains mois, semaines, c’est même sans doute une affaire de jours, marcher sur la planète.

Pour comprendre Tyler Okonma, il faut déjà assimiler le mot « swag ». « Swag », dans l’argot de ces gamins californiens, ça veut dire « cool ». Et Tyler, il est méchamment swag. Celui qu’on surnomme aussi Ace et Wolf Haley est le fer de lance d’OFWGKTA, lisez Odd Future Wolf Gang Kill Them All.

« Si on parle musique, il s’agit juste d’une petite dizaine d’entre nous. Mais Odd Future est un collectif de 40 artistes. Une famille de photographes, d’écrivains, de skateurs. Un putain de gang. Tous ces niggaz ont grandi ensemble et pas trop mal tourné. Ces mecs, je les ai tantôt rencontrés lors de mes études de ciné, tantôt au skatepark. D’autres sont tout simplement des potes de longue date avec qui je jouais à la Xbox et faisais des conneries d’ados. C’est juste une putain de bande, une clique de jeunes types qui partagent quelques mêmes centres d’intérêt. »

A ceux qui se demandent ce qui peut encore choquer en 2011, Tyler et sa bande apportent un élément de réponse. Avec ses textes violents et ses clips glauques, Odd Future déclenche déjà l’indignation voire la haine de tous les réactionnaires et bien-pensants niais qui bouffent avec leurs gamins devant les journaux télévisés avant de les mettre au lit.

« J’ai ce morceau Fish qui parle d’être un pêcheur mais qui sonne comme si je violais une fille, la droguais et la séquestrais dans ma cave. Tout ce que je donne l’impression de commettre sur une gonzesse, je le fais en fait à un poisson. » Comme pour nous jeter au visage, tel un Michael Haneke du rap, qu’on est aussi cinglé que lui.

Viols, meurtres, kidnappings, blasphèmes… Tout y passe. Odd Future met en scène les cauchemars de l’Amérique. « Je dévore pas mal de bouquins. J’ai lu des tas d’ouvrages sur les dictateurs. Puis je me suis penché sur les serial killers. J’aime bien Ottis Toole mais mon « préféré », c’est Jeffrey Dahmer. » Né en 1960, Dahmer, surnommé le monstre de Milwaukee, a tué 17 garçons et filles. Des sans-abris, des homosexuels, des Noirs, des Asiatiques… Cannibale, nécrophile, il découpait les corps en morceaux, les jetait dans de l’acide, les mangeait ou en décorait sa cheminée.

« Enfin voilà, je me demande juste ce qui passe par la tête de ce genre de types. Ce qui leur trotte dans l’esprit. Il y a quelque chose de cool là-dedans. De là à expliquer ce qui me fascine… Aucune idée. J’essaie juste souvent de savoir à quoi ils pensent. Et comme je rappe sur ce qui m’intéresse… »

Le Wu-Tang, Stereolab et les Liars…

Certains auront tôt fait d’y voir une provoc mercantile. De dénoncer le voyeurisme gratuit. Voire de crier tout simplement au scandale. Tyler s’en balance. « Je dis ce que je veux, quand je veux et comme je le veux. Mes propos vous semblent agressifs? C’est qu’ils doivent sortir comme ça. Je ne suis pas du genre à me mordre la langue. Je tiens juste à pouvoir m’exprimer librement. Les rappeurs et tous les groupes d’aujourd’hui ne crient plus ce qu’ils veulent. Ils beuglent ce que les gens espèrent entendre. Moi, quand à la fin d’une journée j’ai terminé un titre, je sais que j’ai envie d’écouter ce putain de morceau sur mon iPod. Et si j’ai du bol, il plaira à quelqu’un. Jamais de ma vie, je n’écrirai une chanson pour rendre un autre heureux. »

Reflets flippants d’une époque à la violence banalisée, les trublions d’Odd Future sont des gamins de 16 à 23 ans majoritairement venus des quartiers sud de Los Angeles, Crenshaw (patelin d’Ice Cube et d’Ice-T) et Hawthorne (là où ont grandi le Beach Boy Brian Wilson et ses frères). D’autres sortent de Ladera Heights, le Beverly Hills noir.

C’est sur une planche à roulettes que Tyler a découvert la musique. « J’ai appris à marcher sur un skate. Puis, j’y ai aussi fait connaissance avec le rap, le rock… J’ai grandi bercé par le hip hop mais j’avais pas mal de potes dans des groupes à guitares. Punks ou autres. Je suis tout sauf un ardent défenseur des genres. Music is music. »

On a beau qualifier OFWGKTA de nouveau Wu-Tang, Tyler aime le jazz, les Liars, Stereolab. « Je me sens comme un petit gamin et j’ai l’impression de fêter Noël quand j’entends leurs albums et la voix de Laetitia Sadier. » Le dernier Grizzly Bear l’a même rendu complètement dingue. « Ce n’était pas du remplissage comme les trois quarts, et le reste, des disques d’aujourd’hui. »

Pourtant, Tyler ne court pas les salles. « Le premier concert auquel j’ai assisté et qui m’intéressait, c’était NERD. Et ça remonte au mois d’octobre. » Pas plus qu’il ne collectionne les vinyles. « Je vais éviter de dire que c’est une question de génération. J’aime tout simplement pas ça. Moi, je découvre la musique via iTunes. Les potes et Internet m’ont initié au prog, aux vieilles musiques de films italiennes, au jazz… »

Beats et textes malsains

Odd Future n’est pas né hier devant la télé en bouffant du bacon et en buvant du red bull assis sur le coin d’un skate. Une dizaine de disques sont déjà disponibles en téléchargement gratuit sur son site Internet. Et Tyler, qui a une culture musicale bien plus vaste que 9 rockeurs sur 10 de son âge, y a dévoilé son premier album, Bastard, le 25 décembre 2009.

« J’ai commencé dès ce jour à bosser sur son successeur, Goblin . Goblin reflète l’année 2010. Je ne sais pas si mon moteur est la colère. Mais elle m’habitait il y a un an. Comme elle agite tous les ados. Elle doit donc s’entendre sur mon disque. »

Un rap anxiogène où les beats tordus et malsains collent à son flow lent et à sa voix grave. « Je ne suis pas un amateur de sample. Loin de moi l’idée d’en offenser les maîtres. Mais je ne suis pas terrible avec ce genre de bazar. Moi, je veux du neuf. Pas monter une boucle sur ce qu’a fait un type il y a 20, 30 ou 40 ans et en tirer toute la gloire. Je veux pondre des trucs excitants que des kids essaieront justement de sampler dans une vingtaine d’années. »

Tyler, le créateur, a déjà adorateurs et protecteurs. Parmi eux, ni plus ni moins que Flying Lotus. « Il m’a invité chez lui. M’a fait écouter des beats. Ce mec me veut du bien. Il veut me voir réussir. Il m’a déjà filé des tas de conseils. Contrairement à la plupart des autres, je sens qu’il n’est pas intéressé. Qu’il n’entend pas en tirer profit. On a déjà jammé avec lui et le Gaslamp Killer. » On peut sous certains angles voir Odd Future comme le punk anglais en version rap californienne. Avec sa provoc. Son énergie rebelle. Son marketing DIY. Mais les Kids n’ont pas besoin d’un Malcolm McLaren. Ils savent que nous sommes tous des lamentables voyeurs qui ralentissons à hauteur des accidents de voitures.

Puis, ils maîtrisent YouTube et le Web 2.0. Un petit tour sur Internet et le site officiel du collectif (www.oddfuture.com) valent mieux qu’un long discours. Les clips d’Odd Future sont aussi graves que ses morceaux. Dans celui de French, Tyler se fait braquer en train de rapper face caméra. Un gars et une fille se mettent sur la tronche. Un type est éjecté d’une bagnole en marche…

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Vous pouvez y voir la main invisible d’un management racoleur… Tyler l’a tourné lui-même. Il vient d’une école de cinéma. Annonce même que, plus vieux, il veut juste diriger des clips et des longs métrages. « Je ne me suis pas pour autant gavé de films sanguinolents en enregistrant ce disque. Je n’ai même pas regardé de films du tout. Je voulais mettre sur CD la musique que j’avais dans la tête. Je vois tout comme du cinéma. Chaque chanson de cet album est un film en soi. Il suffit de visualiser l’histoire. »

Le jeune Californien aime Toy Story, Moi, Moche et méchant. La comédie, l’action, l’horreur. Il est surtout un inconditionnel de Tarantino. « Tu peux pas imaginer à quel point j’ai envie de composer pour l’un de ses films. J’ai un morceau, Radicals , un putain d’incroyable tube. S’il pouvait diriger ce clip, ce serait vraiment un truc de dingue. Tu as vu Nos Voisins, les hommes? Cette scène où les gosses foutent le feu partout. C’est ce que m’évoque cette chanson. »

Pour l’instant, Odd Future a juste rejoué une scène du Wassup Rockers de Larry Clark pour le show de Marc Jacobs à la New York Fashion Week. « Pour tout vous dire, je l’ai jamais vu. Mais Kids m’avait troué le fion. J’ai pas trop compris ce qu’on nous voulait. Mais en tout cas, il y avait quelques jolis petits culs. »

TYLER THE CREATOR, GOBLIN, DISTRIBUÉ PAR XL RECORDINGS.

Rencontre Julien Broquet, à Austin

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