NTM moi non plus: « Normalement, une bio, c’est pour les gens morts, non? » (+vidéo)
Après des concerts annoncés comme les derniers, et avant un film et une série, les pionniers du rap français sortent leur biographie officielle. A base de popopop!
C’était le 15 novembre dernier. Ce soir-là, NTM donnait officiellement son tout dernier concert belge, à Bruxelles, dans un Palais 12 rempli à ras bord (voir les photos du concert, par Olivier Donnet). Même au stand merchandising, les tee-shirts l’annonçaient: cette fois, c’est « La Der ». Une semaine plus tard, à Paris, le compte à rebours installé au fond de la scène augmentait encore un peu plus la dramaturgie des adieux. Cinq, quatre, trois, deux, un… Cette fois, NTM, groupe pionnier du rap français, c’est bel et bien fini. Enfin, probablement. Ou du moins jusqu’à la prochaine reformation… C’est qu’après un premier retour en 2008, le duo formé par Kool Shen et JoeyStarr avait déjà fait comprendre qu’il ne fallait pas en attendre plus… avant de relancer une tournée l’an passé. L’ultime. Vraiment? A voir. Même l’un des deux principaux intéressés, JoeyStarr, tergiverse: « Je n’ai pas de réponse définitive à donner. […] Quand on me demande pourquoi la tournée 2019 s’appelle La Der, je dis: « Ah, mais c’est du marketing, là. » C’est notre promoteur qui a décidé que ce serait l’argument de vente du moment. »
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Cette explication, on peut la trouver, texto, dans la biographie du groupe qui vient tout juste de sortir. Sobrement intitulée Suprême NTM (1), elle est cosignée Olivier Cachin. Elle est la preuve que si l’avenir de NTM est incertain, son passé, lui, est encore un enjeu. Peut-être plus que jamais. A l’heure où le rap, et ses variantes pop, est devenu le genre dominant en France – et à peu près partout dans le monde -, NTM a un héritage à défendre, une histoire à raconter. Qui l’eût cru? Dans leur récit, Bruno Lopes (53 ans), alias Kool Shen, et Didier Morville (52 ans), l’homme que l’on nomme JoeyStarr, l’expriment chacun à leur tour: « J’ai la notion d’héritage, je veux qu’on parte avec le maillot jaune, invaincus »; « On avait cette envie de laisser une trace »… Une empreinte, même. Outre l’actuelle bio, celle-ci fera d’ailleurs l’objet d’une série en douze épisodes, produite par Arte et Netflix, et derrière laquelle on retrouve Katell Quillévéré (qui avait tourné l’adaptation de Réparer les vivants, avec Kool Shen); mais également d’un film réalisé par Audrey Estrougo.
Tic et Tac
Sans doute le parcours de l’une des plus importantes formations hip-hop de l’Hexagone le vaut bien. Des rappeurs pionniers qui, avec IAM et MC Solaar, prouveront au début des années 1990 que ce que certains imaginaient n’être qu’une mode (le smurf!) était bien là pour durer. NTM est aussi l’un des attelages les plus pétaradants du rap français. « On ne peut pas faire personnalités plus différentes », explique Olivier Cachin, rencontré quelques heures avant le concert bruxellois. « C’est pile et face. L’un est très analytique, mathématique (NDLR: Kool Shen, si ce n’était pas clair), tandis que l’autre est complètement freestyle, incontrôlable. Le premier est relativement discret; l’autre prend toute la lumière dès qu’il arrive. » Forcément, cela crée des étincelles. « Ils ont cette façon de se rentrer dedans, et en même temps de s’adorer. » Illustration ce jour-là, où seul l’un des deux protagonistes se présente aux interviews. « Et ce n’est pas forcément celui auquel vous pensez… » Alors que JoeyStarr déboule en pantoufles de douche, Kool Shen fait la tronche dans sa chambre: visiblement, il n’a pas digéré que son camarade ait pris la semaine de répétition écoulée avec son habituelle « décontraction »…
De manière assez symbolique, la bio de NTM est d’ailleurs présentée comme un récit à deux voix, chacun s’exprimant dans des chapitres séparés. Olivier Cachin: « Pour moi, c’était la seule solution possible pour que ce soit vivant et réaliste. J’ai donc réalisé toutes les interviews séparément. Chacun a une personnalité vocale, une façon de s’exprimer qui est tellement spécifique que cela n’avait pas d’intérêt de mélanger les deux. » De fait, si la bio n’évite forcément pas les redites, chacun des deux intervenants raconte la trajectoire du groupe. De manière plus détaillée et précise, mais pas moins cash, dans le cas de Kool Shen. Plus fouillis et bordélique, mais toujours savoureuse, dans celui de JoeyStarr, le premier à concéder qu’il n’a, par exemple, aucune mémoire des dates. « Franchement, une bio, j’ai jamais demandé à en faire. Ça fait toujours un peu dépôt de bilan. Normalement, c’est pour les gens morts, non? » glisse le rappeur, et désormais aussi acteur. Même s’il a déjà lui-même deux autobiographies à son crédit (Mauvaise réputation en 2007, suivi de Le Monde de demain il y a deux ans)… Et donc, bientôt aussi, un biopic au cinéma. « Oui, mais si l’idée était de juste retracer l’histoire de NTM, j’aurais dit: « OK, c’est combien? » Le projet d’Audrey Estrougo, c’est plutôt de montrer le cheminement de jeunes gens dans les années 1980, comment la culture peut tirer vers le haut. Filmer l’émulsion des banlieues aussi, et un certain optimisme, même si on avait les deux pieds dans la merde. »
NTM représente aujourd’hui un certain « patrimoine », une légende que les deux compères semblent bien décidés à préserver. Etonnant pour un duo qui a toujours carburé à l’instinct? « C’est clair qu’au départ, la démarche est très spontanée. Mais on évolue tous. Pour ma part, je dirais que c’est arrivé avec le fait d’avoir des enfants. Cela change forcément votre ligne de conduite. Tout ce que je fais aujourd’hui, je me dis que cela va être comme un album de famille pour eux. » Un album où les morceaux de bravoure et autres anecdotes improbables ne manquent pas. De JoeyStarr qui, à 15 ans, se tire plusieurs mois en Italie pour danser dans la rue, au chaos du concert du festival Banlieues bleues de 1991; de la signature folklorique avec la major Epic au tournage foireux du clip avec le rappeur américain Nas, à New York; en passant par les ennuis avec la justice et la police. Olivier Cachin: « Au fond, NTM, ce n’est que quatre albums. Mais cela rend chaque disque essentiel. Et puis, sur scène, aucun groupe ne leur arrive à la cheville, et pas seulement en rap français. En concert, ils l’ont toujours joué à la Attila, l’herbe ne repoussait jamais derrière eux. Mais ce qui est étonnant, surtout eu égard à l’image de barbares qu’ils traînaient au début, ce sont leur textes conscients, humanistes, parfois même anticapitalistes. Qui a fait des morceaux comme Laisse pas traîner ton fils ou L’argent pourrit les gens? On est bien au-delà de leur image de provocateurs… »
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