Critique | Musique

Nos albums de la semaine: The Divine Comedy, De La Soul, La Femme…

Neil Hannon (The Divine Comedy) © Raphael Neal
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dans ce premier album en six ans, les orchestrations luxuriantes confirment la pop symphonisante de Divine Comedy en version autobiographique mature. On vous parle également des albums de La Femme, De La Soul, Banks & Steelz, Morgan Delt, Crystal Castles, Thelonious Monk, Blue Mitchell, Manuel Rocheman et Stefano Bollani.

The Divine Comedy – « Foreverland »

POP. DISTRIBUÉ PAR PIAS. ****(*)

EN CONCERT LE 30/01 AU CIRQUE ROYAL.

Former un groupe en Irlande du Nord en 1989 et se baptiser du titre d’un ouvrage phare de la littérature médiévale –La Divine Comédie de Dante prouve déjà qu’on a des nerfs. Ainsi, le petit (en taille) Neil Hannon bravait-il l’ennui d’une province d’Ulster encore soumise à la guerre civile, pour tutoyer les anges et mystères d’une bravoure orchestrée. Entre 1990 et 2010, mentor de The Divine Comedy, Neil réalise dix albums, cousins des cordes néoclassiques d’un Michael Nyman et des BO pour films tarabiscotés de Peter Greenaway. Sans grande surprise, The Divine Comedy sera davantage apprécié sur le Continent qu’en Grande-Bretagne, où la sophistication de la musique est volontiers perçue comme sacrilège aux attributs du mâle alpha rock. À sa charge, sur la longueur, Neil Hannon n’a jamais dédaigné ni les kilos de trompettes rococos ni le piston triomphant du baroque, pour la confection d’une chantilly parfois chargée. Alors Foreverland tempère-t-il ses élans au profit d’une plus modeste lumpenpop? Que du contraire.

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Le disque annonce ses manières avec Napoleon Complex, première chanson sur les pistes de la séduction: Neil y fait son tour de philosophie, gloire et puissance, alors qu’une voix de petite fille espiègle répète à satiété le titre, gâté par des marées de cordes. Procédé récurrent où l’auteur se charge de personnages historiques (Catherine the Great) ou de fictions (I Joined the Foreign Legion (To Forget)) pour dénuder -métaphoriquement- ses sujets face à l’amour. Au sens très large et cette façon un peu vinaigre de mixer ironie et grandeur, même s’il y a moins dissimulation de soi qu’auparavant. Ce n’est pas le seul cadrage: Foreverland décolle sur des choeurs masculins d’une ferveur d’église et un hautbois qui passe son chemin. Pur moment de nostalgie si l’on connaît la bio du chanteur, fils d’un pasteur anglican aujourd’hui perdu dans son Alzheimer. Le même sentiment d’inexorable brouillage du temps domine une partie du disque, symptomatique de la quarantaine tassée, Neil étant né en 1970. Le plus bel exemple de cela pourrait être To the Rescue. Construit sur un mid-tempo spleen, Neil y chante « So many heartbreaks/So little time/Too many tragedies/Too many crimes/Put your body armour/Repay your alibi/Cause there’s no one else/Gonna put it right ». Sur des arrangements splendides qui traquent toujours les mêmes obsessions de symphonies orchestrales mêlées de résonances cabaret. Celles-ci s’expriment à divers degrés, entre un symptôme irlandais dépouillé –Other People– et la déclaration finale triomphante de The One Who Loves You. Donnant à cette mer de sentiments et de sons l’impression d’une jouissance particulière: celle de s’accepter et d’en être au fond ravi. (Ph.C.)

La Femme – « Mystère »

POP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***(*)

« Le mois de septembre va commencer. Un peu de spleen, c’est la fin de l’été. […] Je sens le stress qui m’empêche de profiter [… ] Fini les plages et toutes ses belles soirées. Pour neuf mois, me voilà condamnée. » C’était inéluctable. La cloche de la rentrée a sonné. Et avec elle celle du deuxième album pour les petits Français un peu plus calmes et moins psychédéliques de La Femme. Trois ans après Psycho Tropical Berlin, sa cabale Antitaxi et ses déhanchements Sur la planche, le sextet parigot-biarritzo-marseillo-breton se frotte aux seins de Tatiana (un nouveau Nous étions deux), taille la causette avec des putes (S. S. D.), pleure entre amis l’amour pas partagé (Elle ne t’aime pas) et raconte les joies des champignons mal placés (Mycose)… Mixé à Los Angeles par ces héritiers de Jacno, de Taxi Girl et de Marie et les Garçons mais aussi des amateurs de surf music, de The Cure et du Velvet, Mystère (le nom qu’ils ont utilisé lorsqu’ils ont composé la bande-son d’un défilé pour Yves Saint Laurent) fait danser les sixties avec la new et la cold wave. L’album chante au masculin, au féminin et en arabe (Al Warda) des nouveaux tubes bâtards des années 60 et 80 pour ceux qui ne les ont pas connues. Célébrée en 2014 aux Victoires de la musique dans la catégorie album révélation de l’année, La Femme partira bientôt à la conquête de l’Europe puisqu’elle assurera la première partie des Red Hot Chili Peppers en Italie, en Espagne et en Suisse. (J.B.)

Banks & Steelz – « Anything But Words »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR WARNER. ***(*)

C’est un peu la curiosité de la semaine. Banks & Steelz n’est pas le dernier duo de flics télé, façon Starsky & Hutch, mais bien l’association inédite entre Paul Banks et RZA. Soit le leader d’Interpol et l’un des maîtres d’oeuvre du Wu Tang Clan. Ce n’est pas la première fois, que rockeurs et rappeurs se rencontrent. Généralement, le résultat est assez musclé (du Walk This Way, de Run DMC/Aerosmith à la collaboration Public Enemy/Anthrax). Ici, la formule proposée gratte un peu plus loin. Parfois carrément emballante (Conceal), dans tous les cas surprenante, elle ne fonctionne certes pas à tous les coups. Mais les bonnes pioches sont plus nombreuses que les moments de perplexité, offrant même l’occasion à Florence Welsh de nuancer son chant (Wild Season). (L.H.)

Morgan Delt – « Phase Zero »

POP. DISTRIBUÉ PAR SUB POP/KONKURRENT. ***(*)

Il a la gueule et la musique d’un surfeur hippie congelé dans les années 60 qui aurait fondu avec le réchauffement climatique. Morgan Delt, bientôt la quarantaine, nage le papillon dans les eaux troubles et chaudes du psychédélique californien. Enregistré dans son home studio de Topanga Canyon, sur les hauteurs de Los Angeles, Phase Zero se la joue musique du soleil en mode insolation. Cramé par l’écoute des Byrds, de Love, des Zombies et probablement des Flaming Lips. Plus proche de nous, ce deuxième album hallucinatoire, le premier pour le label Sub Pop, fricote avec la pop des Anversois de Bed Rugs (I Don’t Wanna See What’s Happening Outside). Bien perché ce Morgan des toits… (J.B.)

Crystal Castles – « Amnesty (I) »

ELECTRONICA. DISTRIBUÉ PAR FICTION. ***

Formé à Toronto au milieu des années 2000, le duo Crystal Castles a eu le temps de sortir trois albums avant de subir un coup d’arrêt: en 2014, l’emblématique chanteuse Alice Glass tirait sa révérence, laissant Ethan Kath seul à la manoeuvre. Autant dire que l’on ne donnait pas cher de la peau du projet électro-punk-indu. La première surprise est donc de voir débouler ce Amnesty (I). Mais c’est aussi la seule. La nouvelle recrue, Edith Frances, n’est pas vraiment le problème -elle tire plutôt son épingle du jeu. Le souci est que Kath n’en profite jamais pour renouveler l’esthétique, de plus en plus datée -à l’image de Frail, par exemple, et son gimmick trance, dont on ne sait pas trop s’il tient de la caricature volontaire ou non. (L.H.)

De La Soul – « And the Anonymous Nobody »

HIP HOP. DISTRIBUÉ PAR KOBALT. ****

Pour financer leur dernier album, De La Soul a fait appel au crowdfunding. Et prouve qu’il y a bien une vie, non pas après le rap, mais bien à côté.

De De La Soul, on ne savait plus trop quoi attendre. Depuis The Grind Date, en 2004, le trio n’avait plus pensé à alimenter sa discographie. Certes, cela n’a pas empêché l’entité de continuer à tourner, toujours assez jouissive sur scène. Mais les vétérans hip hop (leur classique 3 Feet High and Rising date de 1989!) semblaient condamnés à errer un peu à la marge, confinés par exemple dans le rôle de réservistes de luxe chez Gorillaz (le tube Feel Good Inc, qui leur a valu, jusqu’ici, le seul Grammy de leur carrière).

L’an dernier, l’annonce d’un nouvel album, financé via la plateforme de crowdfunding Kickstarter, n’était qu’à moitié rassurante. Soyons honnêtes: présenté comme le moyen pour les artistes indépendants de doubler les labels, le système de financement participatif a rarement permis l’avènement de réels chefs-d’oeuvre (eh oui, c’est un euphémisme)… Dans le cas de De La Soul, l’opération a eu au moins un premier mérite. En récoltant quasi cinq fois l’objectif fixé (600.000 dollars sur les 110.000 revendiqués, soit la seconde plus grosse campagne de l’histoire de Kickstarter), le trio a pu être rassuré sur sa notoriété et sa capacité à mobiliser les fans. C’était déjà ça de gagné.

Here and now

Restait à conclure l’essai. Avec le magot amassé, De La Soul a commencé par accumuler les heures dans son studio Vox, à Los Angeles. Longtemps, les trois rappeurs ont privilégié les samples, pas toujours autorisés. Cette fois, il s’agissait d’échantillonner la musique issue de leurs propres sessions d’enregistrement. Soit quelque 300 heures de matériel en tout. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison de la nature foncièrement organique de and the Anonymous Nobody (deux échantillons à peine, ultraclassiques -James Brown notamment-, moins références que clins d’oeil à l’exercice même du sample). Fluide, souple, le disque se laisse couler d’un groove à l’autre.

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La liste d’invités est également conséquente, de Damon Albarn à Snoop Dogg en passant par Usher ou Jill Scott. Certains s’en tirant mieux que d’autres: David Byrne, par exemple, a du mal à sortir de son rôle habituel sur Snoopies et Justin Hawkins ne fait qu’enfoncer le clou rock franchement pénible de Lord Intended. Malgré cela, and the Anonymous Nobody réserve majoritairement des bonnes surprises. À l’instar par exemple de Pain (avec Snoop Dogg), groove pépère qui sonne presque comme une version laidback de A Roller Skating Jam Named « Saturdays » de 1991.

De La Soul ne ressuscite pas ici l’esprit des débuts. C’est même tout le contraire. La grande réussite de and the Anonymous Nobody est bien de proposer un album « adulte ». On n’a pas dit « classique », encore moins « vintage ». Non, ce que De La Soul parvient à faire ici, c’est bien de baisser la garde. Plus besoin de faire les fanfarons, à l’image du beat nocturne de Property of Spitkicker.com (avec Roc Marciano), ou de la ballade douce-amère de Memory of… (US) (avec Pete Rock et Estelle). En fin de disque, le touchant Here in After proclame: « We’re still here now ». Et cela sonne moins comme une affirmation revancharde que comme la conscience du temps qui passe. Et la volonté farouche de le savourer. (L.H.)

Thelonious Monk – « 5 Originals Albums »

JAZZ. RIVERSIDE 7236930 (UNIVERSAL) ****(*)

Après avoir quitté Prestige où il n’aura fait qu’un bref passage (1952-1954) pour deux albums publiés, Monk est signé par Orrin Keepnews, un fan de la première heure et le fondateur du nouveau label Riverside. Pendant les six ans qui vont suivre, Monk, mis en confiance par son producteur, va imposer l’évidence d’un génie qui fera du paria excentrique l’une des icônes du jazz moderne. Ce coffret contient cinq des treize albums gravés par le pianiste entre 1955 et 1961. Il commence par deux trios avec Plays Duke Ellington et The Unique (1956) où il interprète la musique des autres pour un retour discret au premier plan avant que Brillant Corners (1956) n’explose tous les préjugés attachés au talent de son leader. Enregistré par un mirifique quintette (Ernie Henry et Sonny Rollins, saxos, Oscar Pettiford, contrebasse, Max Roach, batterie), Monk nous offre son chef-d’oeuvre absolu à la tête d’une formation en délivrant notamment des versions définitives de Ba-lue Bolivar, Ba-lues-are et Pannonica. At the Black Hawk (1960) et Monk in Italy (1963), constituent deux témoignages de l’aisance sur scène du pianiste, cette fois en quartette, un format qui sera le véhicule essentiel de sa musique dans les années 60 -le tout réuni dans un petit coffret idéal pour tous ceux qui aimeraient découvrir l’art singulier de Thelonious Monk. (Ph.E.)

Blue Mitchell – « The Thing to Do »

JAZZ. BLUE NOTE ST-84178 LP (UNIVERSAL) ****

Lorsque le pianiste Horace Silver décide, six ans plus tard, de dissoudre le groupe formé en 1958, ses deux solistes, le trompettiste Blue Mitchell et le saxophoniste Junior Cook, vont poursuivre leur association au sein du Blue Mitchell Quintet. The Thing to Do (1964) constitue le sommet de leur discographie et nous offre l’une des premières apparitions enregistrées de Chick Corea -pianiste dont les débuts consistaient à jouer le répertoire d’Horace Silver. Une de ses compositions figure d’ailleurs au sein de ce sommet du hard bop des années 60 dans lequel Mitchell et Cook délivrent quelques brûlants solos, tous magnifiquement restitués par ce magnifique LP audiophile réédité dans le cadre des 75 ans du label Blue Note. (Ph.E.)

Manuel Rocheman – « misTeRIO »

JAZZ. BONSAÏ BON160401 (HARMONIA MUNDI) ****

Jamais réellement convaincu par le talent de Manuel Rocheman, nous étions resté toutefois intrigué par les compliments que lui a toujours dispensés Martial Solal. Avec ce disque, un pan du voile s’est enfin soulevé. En effet, misTeRIO se révèle être non seulement le plus convaincant des albums (du moins parmi ceux que nous avons entendus) parus sous le nom du pianiste français. Entouré par sa rythmique habituelle (Mathias Allamane, basse, et Matthieu Chazarenc, batterie), Rocheman nous a fait traverser, tout au long de ses compositions, des ambiances contrastées qui nous ont permis enfin de comprendre (et ressentir) ce que veut dire Solal lorsqu’il évoque la densité de « son toucher de piano » ou sa « science harmonique ». Recommandé. (Ph.E.)

Stefano Bollani – « Napoli Trip »

JAZZ. DECCA RECORDS 927132 (UNIVERSAL) ****

Étrange musicien que Stefano Bollani. Une face Docteur Jekyll (ses disques jarretiens pour ECM), une autre Mister Hyde dont ce Napoli Trip est une magistrale illustration. Hommage sensible mais grinçant rendu à Naples, le disque (où le Fender se substitue souvent au piano acoustique) conjugue différentes approches qui s’écoutent comme on regarderait un film (auquel ses ambiances renvoient) alternant les ambiances de Viaggio in Italia de Rossellini avec celles du Fellini Roma, dans une opposition que traduisent standards (signés Horace Silver ou repris par Harry Belafonte), bossa (Veloso, Jobim) et même une canzone chantée par le pianiste, le tout servi par de remarquables musiciens transalpins et quelques invités de marque. (Ph.E.)

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